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L'Art Français sur le Rhin
AU XVIIP SIÈCLE
Ouvrages du même Auteur
Cologne (Les Villes d'art célèbres). — Paris, 1908.
Peter Vischer et la sculpture franconienne (Les Maîtres de
VArt). Paris, 1909.
Les Primitifs allemands (Les Grands Artistes). — Paris, 1910.
Mathias Grûnewald et le retable de Colmar. — - Nancy-Stras-
bourg, 1920.
Saint-Pétersbourg (^les Villes d'art célèbres). — Paris, 1913.
L'Art russe. — 2 volumes. Paris, 1921-1922.
Correspondance de Falconet avec Catherine II. — Paris,
Champion, 1921.
Etienne-Maurice Falconet. — 2 volumes. Paris, 1922.
Louis REAU
Docteur es lettres
Ancien Directeur de l'Institut Français de Tétersbourg
L'Art Français
sur le Rhin
AU XVIir SIÈCLE
Ouvrage illustré de 12 similigravures
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, QUAI MALAQUAI8 (VI*).
1922
Tous droits réservés
TABLE DES MATIÈRES
I. — L'art français sur le Rhin
Prédominance de l'art français en Rhénanie au moyen âge et au xvm»
siècle» — Principaux centres d'art français classés dans un ordre topogra-
phique : Strasbourg, Mannheim, Mayence, Coblence et Bonn,
I. — Alsace.
Résidences des cardinaux de Rohan : le château de Saveme et le palais
épiscopal de Strasbourg construits sur les plans de l'architecte Robert de
Cotte, décorés par le sculpteur Robert Le Lorrain, — Les hôtels de la rue
Brûlée. — Plan d'embellissement de Strasbourg par Jacques-François Blondel.
Expansion de l'architecture française en dehors de Strasbourg : l'église
Notre-Dame de Guebwiller.
II. Électorat Palatin.
Salomon de Caus dessine au pied du château d'Heidelberg l'Hortus Pala-
tinus (1613-1620). — Nicolas de Pigage achève la construction du nouveau
palais électoral de Mannheim, trace les jardins de Schwetzingen, construit
près de Dusseldorf le petit château de Benrath.
Même prédilection pour l'art français chez les ducs de Deux-Ponts et les
princes de Salm. — Pierre Patte est premier architecte du duc de Deux-
Ponts ; Jacques-Denis Antoine trace pour le prince de Salm-Kirbourg les plans
du château de Kirn.
III, — Électorat de Mayknce.
Boffrand dessine les pavillons et les jardins de la Favorite, résidence d'été
des électeurs de Mayence, copie de Marly. — Robert de Cotte corrige les
plans de l'hôtel des princes de Tour et Taxis à Francfort. — Le Chapitre de
Mayence consulte en 1770 l'Académie d'architecture de Paris sur la réfection
de la flèche de la cathédrale. — Jean-Charles Mangin construit à Mayence
l'hôtel de la Grande Prévôté (1782-1786).
IV. — Électorat de Trêves,
Jean Antoine construit pour l'électeur Jean-Philippe de Walderdorf le
château de Wittlich (1762-1764). — Le nouvel électeur Clément Wenceslas,
oncle de Louis XVI, confie d'abord à Michel d'Ixnard, puis, sur la recomman-
dation de l'Académie royale d'architecture, â Peyre le jeune, la construction
VI * TABLE DES MATIÈRES
du palais électoral de Coblence (1779-1786). — Projets de Peyre et de Mangin
pour Kârlich, résidence d'été de l'électeur.
Près de Trêves, Mangin construit en 1779 le château de Mon aise.
V. — Électorat db Cologne,
Correspondance de l'électeur Joseph Clément avec Robert de Cotte (1704-
1715). _ Plans de R. de Cotte pour les châteaux de Bonn, Poppelsdorf et
Briihl. — Projets de décoration d'Oppenord. — Michel Leveilly bâtit à Bonn
l'hôtel de ville (1737) et la porte Saint-Michel (1751).
Le château de Briihl, commencé en 1725 sous l'électeur Clément Auguste
est en majeure partie une création do l'art français. — Le pavillon de
Falkenlust par Cuvilliés.
Le contre-courant : les artistes rhénans à Paris. — Le peintre Antoine de
Peters, le sculpteur Jean-Jacques Flatters, les architectes Gau et Hittorf.
Ce n'est pas seulement Bonn, mais toute la Rhénanie qui est au xviii» siècle
une province de l'art français.
Livrée à la Prusse en 1814, la Rhénanie a été orientée de force vers Berlin.
— Nécessité de renouer la tradition interrompue d'une collaboration franco-
rhénane.
II. — Documents.
I. — Alsace.
1. Palais de Saverne et de Strasbourg.
Documents sur Robert de Cotte et sur Robert Le Lorrain.
2. Incendie de la cathédrale de Strasbourg.
3. Plans de Blondel pour la ville de Strasbourg.
II, — Élkctorat Palatin.
Documents sur Nicolas de Pigage.
III. — Électorat de Mayence.
1. Description"de La Favorite.
2. Hôtel de Tour et Taxis à Francfort.
3. Reconstruction de la flèche de la cathédrale de Mayênce.
4. Description de la Grande Prévôté de Mayence.
TABLE DES MATIÈRES VU
IV. — Électorat de Trêves.
1. Palais électoral de Coblence.
2. Château de Kârlich.
3. Pavillon de Thiburg, près de Trêves.
V. — Élbgtorat de Cologne.
Correspondance de l'électeur Joseph-Clément et de Guillaume Hauberat avec
Robert de Cotte.
Annexes
Bibliographie.
Répertoire des artistes français ayant travaillé dans ou pour les Pays
Rhénans.
Répertoire des artistes rhénans formés en France.
Répertoire des principaux monuments de l'art français en Rhénanie.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Planches Pages
1 Robert de Cotte. Projet de décoration pour le salon du château
de Saverne 10 bis
2 Robert de Cotte et Massol. Le palais Rohan à Strasbourg . 14 bis
3 Salomon de Caus. Frontispice de l'Hortus Palatinus (1620) . 22 bis
4 Nicolas de Pigage. Château de Benrath 24 6ts
5 Robert de Cotte et Hauberat. Hôtel de Tour et Taxis à
Francfort 30 bis
6 Charles Mangin, Coupe de la galerie de la Grande Prévôté
de Mayence 34 bis
7 Michel d'Ixnard. Projet pour le palais électoral de Coblence
(1777). — Peyre le jeune. Le palais électoral de Coblence
(1779-1786) i2bis
8 Vivien. Portrait de l'électeur de Cologne, Joseph-Clément,
gravé par B. Audran 48 bis
9 Robert de Cotte. Projet de façade du palais électoral de Bonn.
— R. de Cotte et Hauberat. Château de Poppelsdorf . b2bis
10 Grand escalier du château de Briihl 54 bis
L'Art Français sur le Rhin
AU XVIII- SIÈCLE
Le Rhin est beaucoup plus français
que ne le pensent les Allemands.
V. Hugo : Le Rhin.
L'expansion de l'art français du xviii* siècle en Allemagne
— et spécialement en Rhénanie — est un sujet qui aurait
dû tenter depuis longtemps les historiens. On s'explique à
la rigueur que des savants prussiens ou prussianisés aient
fait systématiquement le silence sur cette pénétration de
l'art français en pays rhénan. Mais qu'aucun érudit français
n'ait encore eu l'idée d'orienter ses recherches de ce côté
et de célébrer le prodigieux rayonnement de notre art
national par delà nos frontières, c'est ce qui semblera
plus étonnant et presque incompréhensible, surtout si
l'on songe à l'intérêt actuel autant que rétrospectif d'une
pareille enquête.
Dans ses belles leçons sut Le génie du Rhin, professées
à l'université de Strasbourg, Maurice Barrés, étudiant
successivement tous les contacts de la France avec les
pays rhénans pour déduire de ce passé la méthode la plus
appropriée à une future coopération franco-rhénane, a lumi-
neusement expliqué tout ce que les Rhénans doivent à la
France dans le domaine économique, intellectuel et reli-
gieux. Il n'a oublié qu'une chose : le magnifique apport de
l'art français. Et cependant, si notre puissance d'expansion
se manifeste quelque part avec évidence; c'est bien dans
a L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
le domaine artistique. Autant que l'esprit de prosélytisme
religieux ou que renchevêtrement des intérêts matériels,
le prestige de notre art a puissamment contribué à la
pénétration pacifique de la France sur les bords
du Rhin.
C'est cette lacune que nous voudrions essayer de
combler. Mais une pareille entreprise n'est pas sans
risques. En démontrant que la Rhénanie était auxvm*^ siècle
une colonie de l'art français, nous nous exposons à être
accusé outre-Rhin — et peut-être même outre-Manche — de
nourrir des arrière-pensées impérialistes et de vouloir
servir cauteleusement une politique d'annexion plus ou
moins déguisée. Pour couper court à de si ridicules
interprétations et désarmer à l'avance les critiques qui
seraient tentés de travestir cette étude historique en
pamphlet de propagande, nous avons pris la précaution
de nous référer toujours de préférence au témoignage
d'écrivains allemands tels que Gurlitt, Renard, Dehio
que nul ne songera, je pense, à soupçonner de par-
tialité en faveur de la France. Bien plus, nous nous
sommes astreint à reproduire in extenso les documents
originaux que nous avons coUationnés aux Archives
Nationales et au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque
Nationale.
La correspondance des électeurs rhénans a servi de
base à notre étude. Aucun terrain n'est plus solide. Il
suffira à tout lecteur de bonne foi, qu'il soit Allemand
ou Français, de confronter nos affirmations avec ces
documents pour se convaincre que nous n'avons ni
sophistiqué ni sollicité les textes et que nous ne forçons
pas la note pour les besoins de notre cause. Si nous
nous permettons de conclure, après le dépouillement de
ce copieux dossier de pièces pour la plupart inédites
rassemblé ici pour la première fois, que la Rhénanie a
été depuis la fin du règne de Loui» XIV jusqu'à la
AU XVIIl^ SIÈCLE
Révolution une province de l'art français, c'est que
nous croyons en toute sincérité en avoir fourni la
preuve
La Rhénanie — qu'on prenne ce mot dans son sens
large : la vallée du Rhin de sa source à son embouchure,
ou dans son sens étroit qui est à vrai dire le plus usuel :
portion du territoire allemand de la rive gauche du
Rhin comprise entre l'Alsace et la Hollande — a tou-
jours été particulièrement perméable à la civilisation
occidentale. Par sa situation même, elle est prédestinée
à servir d'intermédiaire entre le monde latin et les
Allemagnes, entre la Romanie et la Germanie.
A quel pointée pays a été imprégné de culture romaine,
c'est ce dont témoignent éloquemment les monuments de
Trêves, les musées d'antiquités de Mayence et de Bonn et
jusqu'au nom des villes comme Cologne (Colonia Agrip-
pinensis) et Coblence (Confluentes) que les vieilles
estampes topographiques du xvi« siècle appellent « la ville
de Confluence où la rivière de Moselle entre dedans le
'Rhin ))(!).
A partir du moyen âge, c'est l'influence française qui
prédomine. Les moines de Cluny et de Citeaux essaiment
sur les rives du Rhin. Les architectes de l'Ile-de-France,
delà Bourgogne et de la Picardie enseignent aux Germains
attardés la supériorité de l'architecture dite gothique, qui
n'est, en réalité, que rarchitecture française (^opus franci-
genum) : la charmante église polylobée Notre-Dame de
Trêves emprunte son plan à Saint- Yved de Braisne ; le
chœur de la cathédrale de Cologne se modèle sur celui
d'Amiens. La sculpture française triomphe également sur
(1) L'équivalent français de Coblentz serait Conllans.
4 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
le Rhin : les magnifiques jubés qui décoraient autrefois la
cathédrale de Mayence étaient, suivant Thistorien alle-
mand Dehio, des chefs-d'œuvre de l'école de Reims (i).
Au xvi*' siècle, le Français Pierre des Mares peint, pour
une église de Cologne, un retable de saint Maurice (2).
Dans le domaine des arts précieux, quelques-unes des
œuvres les plus célèbres dont on faisait jadis honneur à
l'orfèvrerie et à l'émaillerie rhénanes ont dû être restituées
à l'émaillerie mosane, donc française : la fameuse châsse
des Bois Mages^ la merveille du trésor de la cathédrale de
Cologne, est sortie de l'atelier de maître Nicolas de
Verdun.
Il est vrai qu'au xv® siècle Finfluence française semble
s'effacer momentanément devant l'école des Pays-Bas.
Les peintres rhénans s'inspirent plus ou moins servilement
de Rogier van der Weyden ou de Melchior Broederlam ;
les imagiers subissent l'ascendant du vigoureux génie de
Claus Sluter. Mais il est bon de ne pas oublier que Broe-
derlam et Sluter étaient, comme Jan van Eyck, au service
des ducs de Bourgogne et œuvraient à Dijon, ville fran-
çaise, et que le peintre que nous -nous obstinons à
dénommer Rogier van der Weyden s'appelait de son vrai
nom Roger de la Pasture et était natif de Tournai, vieille
cité de langue française.
A partir du xvii® siècle, la France, auréolée par le
prestige du Grand Roi, reconquiert toute sa puissance
d'attraction et d'expansion. Même ses fautes les plus
lourdes, comme la révocation de l'Édit de Nantes, contri-
buent à son rayonnement. Dans l'Allemagne rhénane,
(1) Dehio. Handhuch der deutschen Kunstdenhmàler ; IV, p. 220 — « Die
wenigen Reste verraten dass mit den beiden Lettnern herrliche Kunstwerlce
uns verloren gegangen sind und die Spur der Herkunft des Meisters weist
nicht nur nach Frankreich uberhaupt, sondern ganz iiberzeugend auf die
Schule von Reims. »
(2) Ce triptyque a passé avec la collection Boisserec à la Pinacothèque de
Munich.
AU XVIIie SIÈCLE 5
restée en grande partie catholique, les huguenots réfugiés
n'ont jamais joué qu'un rôle presque négligeable. En
revanche il faut tenir compte du voisinage de l'Alsace,
devenue partie intégrante du royaume de France et qui
fut, comme nous le verrons, un merveilleux agent d'expan-
sion française en Rhénanie.
Les souverains allemands, aussi fastueux que besogneux,
sont presque tous aux gages de la cour de Versailles, qu'ils
s'efforcent de singer en proportion de leurs moyens. A
partir de i65o, on peut dire que la capitale politique de la
Rhénanie fut bien plutôt Paris que Vienne (i). Les princes
de la rive gauche du Rhin s'intitulaient eux-mêmes : les
Allemands de France. Les Allemands pullulaient dans le
royaume. Frédéric II constate que déjà avant son règne
« toute ^Allemagne voyageait en France » et qu' « un
jeune homme passait pour un imbécile s'il n'avait séjourné
quelque temps à la cour de Versailles ». Inversement,
nombreux étaient les Français qui cherchaient et faisaient
fortune outre-Rhin. C'était un merveilleux débouché pour
les hommes d'État sans emploi, pour les artistes sans
commandes, voire même pour les aventuriers en quête de
dupes. La suprême élégance pour un prince allemand était
d'avoir un premier ministre français, un premier architecte
et un premier peintre français et naturellement une maî-
tresse française.
Uarl de cour qui se développe à cette époque sous
l'influence toute-puissante du goût français se distingue
profondément de Vart bourgeois de la fin du moyen âge
et de la Réforme, non seulement parce qu'il s'adresse à
une aristocratie restreinte plutôt qu'au peuple, mais parce
qu'il perd tout caractère national et même local. L'art
allemand ancien était essentiellement particulariste et les
historiens qui étudient la peinture rhénane sont amenés
(l) Reynaud, Histoire générale de Vinfluence française en Allemagne.
Paris. 1914.
6 I.'aRT français sur le RHIN
à distinguer une école du haut Rhin, une école du
Rhin moyen, une école du bas Rhin, qui ont suivi
des orientations très difTérentes et présentent des
caractères propres A partir du xvii'' siècle au contraire,
ces particularités locales tendent à disparaître. L'art,
comme la société cosmopolite à laquelle il s'adresse,
s'uniformise. Un idéal commun à toute l'Europe civilisée
s'impose de plus en plus et, de môme que tous les
« honnêtes gens » parlent et pensent en français, tous
les artistes : architectes, sculpteurs ou peintres, s'effor-
cent de créer des œuvres « à la française ».
Il n'y a donc pas lieu de distinguer entre les nombreux
centres d'art qui apparaissent au xviii^' siècle sur les bords
du Rhin. L'empreinte française est aussi forte à Mannheim
qu'à Strasbourg, à Bonn qu'à Coblence. C'est partout le
même style, évoluant comme en France depuis la pompe
baroque jusqu'à la froide sévérité du classicisme, en
passant par les sémillants caprices du rococo. La seule
différence qui sépare l'imitation du modèle est une incoer-
cible tendance à l'exagération, à la surcharge, au faste
ostentatoire qui décèle toujours le goût allemand.
Néanmoins, comme l'ordre chronologique, le plus ration-
nel en apparence, nous obligerait à voyager en zigzag de
Bonn à Strasbourg, de Strasbourg à Bruhl, de Brûhl à
Coblence, et deviendrait par suite une source de confusion
presque inextricable, nous croyons préférable, pour la
clarté de notre exposé, d'adopter un ordre topographique
basé sur les divisions politiques de la Rhénanie.
Trop allongée pour avoir un centre, la vallée du Rhin
n'a jamais formé une unité politique ou même morale.
Elle a toujours été sectionnée entre une multitude de
souverainetés constituant des Etats indépendants comme
la France, la Suisse, la Hollande, ou rattachées par un lien
plus ou moins lâche à une vaste fédération : Saint Empire
Romain Germanique, Confédération germanique, Empire
AU XVIIie SIECLE 7
allemand. Au xviii*' siècle, les pays de la rive gauche du
Rhin sont divisés en cinq parties : V Alsace, devenue
depuis Louis XIV une province française et quatre
électorats relevant de l'Empire germanique, Yélecloral
palatin et les trois électorats ecclésiastiques de Mayence,
Trêves et Cologne. Comme Tart de cette époque est
un art de cour, il s'ensuit que toute l'activité artistique de
la Rhénanie se concentre dans les résidences du Prince
évêque de Strasbourg et des quatre électeurs rhénans : à
Mannheim, à Mayence, à Coblence et à Bonn. Descen-
dons le cours du Rhin, et à chacune de ces étapes nous
verrons apparaître le visage de la France.
1. Alsace
Sur l'art français en Alsace, nous pouvons nous borner
ici à des indications très brèves : car ce sujet si attachant
sera traité prochainement dans' toute son ampleur et
avec une exceptionnelle autorité par M. S. Rocheblave,
professeur d'histoire de l'art à l'université de Strasbourg (i).
Toutefois, notre étude serait incomplète si nous n'en
disions quelques motsj puisque aussi bien l'Alsace est
essentiellement un pays rhénan et qu'elle a été le plus
solide des points d'appui pour notre pénétration artistique
en Rhénanie.
L'art français a conquis l'Alsace bien avant Louis XIV.
Supprimez par la pensée la flèche ajourée de grès rose
plantée au xv« siècle sur Tune des tours du Munster par un
architecte de Cologne et vous aurez une cathédrale de pur
style français, sœur de Notre-Dame de Paris et d'Amiens.
Sainte-Foy de Sélestat est fille de Tabbaye bénédictine de
Conques en Rouergue et la célèbre commanderie des
Antonites d'Isenheim, d'où provient l'émouvant retable
de Mathias Griinewald, conservé au musée de Colmar,
reconnaissait comme maison mère l'abbaye française de
Saint- Antoine de Viennois (2).
(1) M. Rocheblave a déjà tracé une première esquisse de ce sujet dans une
communication sur YA7't français en Alsace et les artistes alsaciens à
Paris au xyiii* siècle dont il a donné lecture au Congrès international
d'histoire de l'Art tenu à Paris en octobre 1921 : elle sera prochainement
publiée dans les Actes du Congrès.
(2) Louis RÉAU. Mathias Gruneivald et le retable de Colmar. Paris et
Strasbourg. Berger-Levrault. 1920.
10 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
Néanmoins, on peut dire que la « francisation » de l'art
alsacien ne s'est définitivement accomplie qu'au xviii® siècle,
grâce au mécénat des quatre cardinaux de la famille de
Rohan qui se succédèrent sur le siège épiscopal de Stras-
bourg depuis 1704 jusqu'à la Révolution. Le rôle de cette
dynastie de prélats fastueux est comparable à celui des
électeurs ecclésiastiques de Mayence, de Trêves et de
Cologne. Leurs palais de Saverne et de Strasbourg
rivalisent avec les somptueuses résidences que les princes
de l'Eglise allemands se faisaient élever à la même époque
à Bonn et à Bruhl, à Bruchsal et à Wurzbourg.
Les origines du château de Saverne sont antérieures à
l'intronisation du premier des cardinaux de Rohan ; elles
remontent à son prédécesseur Egon de Furstenberg (i).
Mais Armand-Gaston de Rohan-Soubise y fit exécuter
d'importants agrandissements et embellissements, sur les
plans de Robert de Cotte. Élève, beau-frère et successeur
de Jules Hardouin-Mansard dans les charges de premier
architecte du Roi et de directeur de l'Académie royale
d'architecture, cet artiste a joué un rôle de premier ordre
dans l'expansion de l'architecture française en Rhénanie.
On retrouve son nom mêlé à l'histoire de toutes les gran-
des constructions entreprises non seulement en Rhénanie,
mais dans TAllemagne entière entre 1700 et 1785. Trop
occupé à Paris pour se déplacer aisément, il donnait des
consultations aux bâtisseurs dans l'embarras, envoyait
ou corrigeait des plans et faisait conduire l'exécution par
des élèves dociles, formés dans son bureau et nourris de
ses leçons, qui lui rendaient compte minutieusement de
la marche des travaux.
Il est assez difficile de se représenter exactement l'œuvre
(1) Le cardinal de Furstenberg- y fit travailler le célèbre sculpteur Coy-
sevox. Son biographe Fermel'huys parle avec admiration d'une corniche de
stuc qu'il avait composée pour le grand salon, des figures d'Apollon et des
neuf Muses, des Termes en grès rose des jardins. Rien n'a survécu.
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à I
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I. ALSACE II
de R. de Cotte et de ses collaborateurs Carbonnet et
Le Chevalier au château de Saverne, car tout a disparu
dans l'incendie de 1779. Toutefois les liasses de lettres et
les portefeuilles de dessins conservés au Cabinet des
Estampes de la Bibliothèque Nationale — véritable trésor
de documents précieux qu'il faudra bien se décider à
publier intégralement le jour où l'on voudra connaître
l'histoire de la formation et de l'expansion de notre archi-
tecture classique (0 — nous permettent de préciser que le
grand architecte parisien avait dessiné pour le cardinal de
Rohan les plans d'un Pavillon des Bains et de nombreux
projets de décoration pour les appartements. La plupart
de ces dessins sont annotés et ces notes destinées au
cardinal constituent une petite correspondance assez
curieuse : « Dessein du salon. Une grande partie de la
menuiserie est faite. Ce côté est suivant votre dessein. Ce
côté est suivant Texécution. — L'on peut exécuter votre
dessein. Monsieur, dans cette voussure et à celle de
vis-à-vis. — Cela est dessiné suivant votre dessein.
Monsieur. Il n'y a dans cette voussure que les trophées de
faits. »
La décoration plastique était due en grande partie à
Robert Le Lorrain (2', le sculpteur attitré de la maison de
(1) Les papiers de R. deCotteont été inventoriés par M. P. Marcel. Inven-
taire des papiers manuscrits du cabinet deR. de Cotte, Pâtis. Champion, 1906.
Malheureusement on a extrait un grand nombre de dessins des porte-
feuilles de R. de Cotte pour les éparpiller dans les séries topographiques, ce
qui complique fâcheusement les recherches. Les dessins relatifs au château de
Saverne se trouvent dans la Topographie de la France. V. à 165. Les plus
intéressants représentent le salon de l'appartement du cardinal de Rohan, le
cabinet du cardinal de Rhoan (sic), le salon au bout de la chapelle du palais
de Saverne, le Projet pour les Bains.
(2) La « Description des ouvrages de sculpture que feu M. Lelorrain,
professeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, a fait pendant
plusieurs années au château de Saverne, tinies en 1723 et au palais épiscopal
de Strasbourg en 1735, 1736, 1737», nous est conservée en deux exemplaires à
la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et à Strasbourg, aux
Archives départementales du Bas-Rhin.
12 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
Rohan, qui avait déjà décoré les deux hôtels jumeaux de
Rohan et de Soubise, construits par Tarchitecte Delamaire
dans le quartier du Marais. Le fougueux haut-relief des
Chevaux du Soleil qui surmonte encore aujourd'hui la
porte des écuries de l'hôtel Rohan, de même que les
statues conservées au palais de Strasbourg, ne peuvent
que faire déplorer la destruction des sculptures de Saverne.
C'est dans ce magnifique décor conçu et réalisé par des
artistes parisiens que les cardinaux de Rohan, « qui
avaient, dit un contemporain, un état de souverain »,
recevaient toute la province et tous les étrangers de dis-
tinction. Où l'Alsace, où l'Allemagne auraient-elles pu
prendre de meilleures leçons de goût français ?
Malheureusement, ce petit Versailles alsacien fut complè-
tement anéanti en 1779 par un incendie. Il fut reconstruit
de fond en comble à la veille de la Révolution par un
architecte de grand talent. Salins de Montfort, dont la vie
et l'œuvre sont fort mal connues (i). Dans son délabrement
actuel, ce château qu'on a transformé en caserne et dont
on a indignement massacré le parc à la française garde
encore fort grand air avec sa majestueuse façade rj'thmée
par de gigantesques pilastres et son imposant péristyle de
colonnes corinthiennes.
Rien que Saverne fût le séjour préféré des archevêques,
ils ne pouvaient se dispenser d'avoir une résidcncfî a
Strasbourg. Le palais épiscopal qu'Armand-Gaston de
Rohan- Soubise se fit construire au pied de la cathédrale
est si typiquement français que les historiens allemnrids
eux-mêmes sont obligés d'en faire l'aveu. Ce n'est pas un
château à l'allemande, confesse Dehio. La « Résidence,
écrit Gurlitt (2), est un bâtiment de style authentiqiicment
(1) On sait cependant qu'il avait fait, concurremment avec d'Irnartl, un
projet pour le palais électoral de Coblence et que plus tard, vers 180J, il
construisit à Francfort la maison Passavant-Gontard. Cf Dehio, iv, p. 97.
(2) Gurlitt. Geschiohte des Barockstiles, 1888, p. 254.
I. ALSACE l3
français : Die Residenz ist ein Bau echt franzôsischer
Art. » En réalité et pour mieux dire, c'est un hôtel
parisien du Marais ou du faubourg Saint-Germain trans-
porté sur les bords de l'Ill.
Dehio prétend que l'auteur du plan est probablement,
mais non cerlainement Robert de Cotte (i). S'il avait pris
la peine de consulter les papiers de l'architecte à la Biblio-
thèque Nationale, il aurait pu s'épargner cette incertitude.
Les lettres de Le Chevalier et de Massol, que nous repro-
duisons plus loin, ne laissent en effet place à aucun doute.
Le Chevalier écrit à de Cotte le 28 octobre 1780 :
« Son Altesse m'a remis vos plans pour son Palais épis-
copal, lesquels j'étudie tous les jours pour lors de l'exécu-
tion être en état de les faire construire aussy parfaitement
qu'ils le méritent » et Massol, qui fut chargé de diriger la
construction dès 1781, (et non à partir de 1786, comme le
croit Dehio), confirme la version de son prédécesseur en
rendant compte à de Cotte de la marche des travaux. Il est
donc absolument démontré que ce sont les projets de R. de
Cotte qui furent adoptés et qu'à défaut d'un certain Gour-
lade, ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome,
qui avait été primitivement choisi par le cardinal de Rohan
pour diriger la construction de son palais de Strasbourg (2)^
c'est Le Chevalier et ensuite Massol(3)qui furent les agents
d'exécution.
Le plan est d'une clarté magistrale. Sur la place de la
cathédrale s'ouvre un noble portail encadré de colonnes
jumelées aux fûts bagués qui donne accès dans la cour
d'honneur, au fond de laquelle se dresse, entre les deux
ailes réservées aux écuries et aux cuisines, le principal corps
(1) Dehio. Handbuch. IV, p. 407.
(2) Lettre de Wleughels du 13 novembre 1727. Correspondance des Directeurs
de l'Académie de France à Rome. VII, p. 130.
(3) Le Musée des Arts Décoratifs de Strasbourg possède une élévation de
l'entrée du Palais Rohan signée Massol.
t4 l'art français sur le RHlN
de logis. Cette façade sur cour garde un air d'intimité. La
façade en bordure de l'Ill a au contraire un caractère
monumental; la belle ordonnance de son avant-corps
central, orné d'un ordre de quatre demi-colonnes et
couronné d'un fronton qui se détache entre deux pavillons
d'angle, est rehaussée par un soubassement imposé par
la déclivité du terrain entre la cathédrale et la rivière : de
cette nécessité, l'architecte a su tirer un très heureux parti.
La décoration sculpturale, exécutée par Robert Le Lorrain
de 1735 à 1737, est d'une sobriété pleine de distinction : les
figures allégoriques de la Religion et de la Clémence sur-
montent l'entablement du portail ; les cintres des grandes
fenêtres sont ornés de clefs sculptées en forme de mascarons.
Le grand appartement du cardinal occupait tout le rez-
de-chaussée du principal corps de logis ; il comprenait la
salle du synode, la salle des évêques, la chambre du dais,
la salle d'assemblée, la bibliothèque avec de charmantes
armoires à livres, la chapelle. Malheureusement ce bel
ensemble décoratif est dans un état de délabrement navrant:
les plafonds s'effritent; le mobilier a été dispersé (i). Ces
salles d'apparat, dont la restauration s'impose, servent
présentement de magasin et de resserre au musée installé
au premier étage.
On retrouve, avec des proportions naturellement plus
modestes, le même art des distributions, le même raffine-
ment décoratif dans les charmants hôtels en grès rose —
parure exquise du vieux Strasbourg — construits pour le
doyen et les chanoines du grand chapitre entre la rue
Brûlée et la promenade du Broglie. La disposition de
ces hôtels strasbourgeois rappelle celle des hôtels
(1) Quelques débris de ce mobilier ont échoué dans des collections parti-
culières. M. Edouard Kann possède à Paris, dans son bel hôtel de l'avenue
d*léna,une bibliothèque en acajou, garnie de bronzes ciselés et dorés, provenant
du palais Rohan de Strasbourg. Cf. le Catalogue de la collection R. Kann. Objets
d'art, t. II.
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I. ALSACE 1$
parisiens du faubourg Saint-Honoré avec leurs jardins en
bordure des Champs-Eiysées.
L'histoire de ces hôtels Louis XV est loin d'être com-
plètement éclaircie. Nous savons par la correspondance
de Robert de Cotte avec le prince Frédéric de la Tour
d'Auvergne, doyen du chapitre de Strasbourg, que le
grand architecte parisien fut chargé de passer un marché
pour trois cheminées de marbre du doyenné et qu'il fut
consulté pour le tracé du jardin. Nous savons d'autre part
qu'en 1728 le comte de Hanau demanda à R. de Cotte des
plans pour un hôtel qu'il se proposait de faire bâtir à
Strasbourg. Le Chevalier, élève de de Cotte, travailla
également pour le comte de Hanau et le prince de Birken-
feld. On admet généralement queVhôtel des landgraves de
Barmstadt, affecté aujourd'hui à l'hôtel de ville, a été bâti
par Massol en 1781, à l'époque où il dirigeait les travaux
du palais épiscopal. Quant à Vhôtel du duc de Deux-Ponts
(résidence actuelle du gouverneur militaire), qui est
peut-être le plus bel hôtel de la rue Brûlée et dont le grand
vestibule inondé de lumière, sur lequel s'embranchent deux
escaliers, est une pure merveille, on ne sait à qui l'attri-
buer. On serait tenté de songer à Pierre Patte qui était
l'architecte attitré de la petite cour bipontine et qui décora
rhôtel de Deux-Ponts à Paris. Mais Patte (i), écrivain
fécond et fort infatué de son mérite, ne fait aucune allu-
sion à cette œuvre qui lui aurait fait le plus grand honneur
et nous savons, par ailleurs, que l'hôtel en question,
construit pour un chanoine du chapitre, ne fut acheté
que plus tard par le duc de Deux-Ponts.
(1) Patte, plas connu comme écrivain que comme architecte, est l'auteur de
la Description des monuments à la gloire de Louis XF et le continuateur du
Cours d'Architeeture de J.-F. Blondel. Ce célèbre ouvrage est illustré de
nombreux dessins de Patte gravés par Ransoniiette. La planche LU (t. V) :
Décoration d'une chambre à alcôve exécutée à l'hôtel de Deux-Ponts, est, écrit
Patte, « l'élévation d'une alcôve de notre composition et que nous avons fait
exécuter à Paris à l'hôtel de Deux-Ponts ».
l6 l'art français sur le RHIN
Quoi qu'il en soit, qu'ils aient été construits par Massol,
Le Chevalier ou Patte, les hôtels de la rue Brûlée méritent
d'être considérés comme de parfaits exemplaires de l'art
de Robert de Cotte et de Jacques-François Blondel, dont
les architectes strasbourgeois du temps de Louis XV ont
fidèlement traduit les idées et propagé renseignement.
La cathédrale de Strasbourg n'a heureusement pas
souffert de ces remaniements de style baroque ou rococo
qui ont défiguré, au xviii^ siècle, tant de nos cathédrales
gothiques. Toutefois, le Chapitre demanda à R. de Cotte
un plan d'allongement du chœur que le prince de La Tour
d'Auvergne, archevêque de Vienne, se proposait de faire
exécuter à ses frais, du consentement des chanoines: Le
plan de R. de Cotte, rectifié sur place par son élève Le
Chevalier, ne fut pas exécuté, et le chœur roman, que le
Chapitre jugeait trop exigu, fut respecté.
En 1759, la foudre tomba sur la cathédrale et mit le feu
aux combles; la voûte du chœur s'écroula et écrasa le
maître-autel. L'architecte de la Guêpière, qui était depuis
1752 au service du duc de Wurtemberg, sollicita la faveur
d'être chargé des travaux de réfection.
On consulta comme toujours l'Académie Royale d'Ar-
chitecture qui fut chargée d'examiner les mémoires relatifs
aux réparations. Son rapport fut enregistré le 10 mars 1760.
L'année suivante la Compagnie fut sollicitée de donner son
avis sur la construction d'un dôme avec lanterne et flèche
en pierre; elle estima à l'unanimité qu'il y aurait danger à
élever au-dessus de l'ancienne coupole une deuxième
voûte en forme de dôme. Cette proposition n'eut pas
de suite (^).
Jacques-François Blondel est certainement, après Robert
de Cotte, l'architecte qui, par lui-même ou par ses élèves,
a exercé l'influence la plus forte sur le développement de
(1) Procès-verbaux de l'Académie d'Architecture, Vil, p. 33, 72.
I. ALSACE 17
l'architecture française à Strasbourg. 11 avait déjà été
chargé en 1764 par le maréchal d'Estrées, de « procurer
plus d'ensemble » aux édifices de la ville de Metz. En 1767,
sous le ministère du duc de Ghoiseul, il fut désigné pour
tracer tout un plan d'alignement et d'embellissement de
Strasbourg (1), dont les rues étroites et tortueuses, compri-
mées dans une enceinte fortifiée, ne répondaient plus aux
exigences de la nouvelle esthétique urbaine. Le plan définitif,
où Blondel s'était efforcé, non sans peine, « de concilier les
idées de grandeur puisées à Versailles avec celles d'économie
qui lui furent recommandées à Strasbourg », fut approuvé
par le Roi en 1768. Deux places étaient ménagées au centre
de la ville : \ix place d'Armes (place Kleber), dont il proposait
de masquer l'irrégularité par des plantations d'arbres ;
la place Royale (place Gutenberg), où la statue de
Louis XV se serait dressée devant la façade du Sénat
et en vue du portail de la cathédrale ou, pour parler
comme Blondel, « en face du temple deThémis et vis-à-vis
de celui de la Religion ». Tous les carrefours devaient
être élargis, les rues régularisées de façon à faciliter le
défilé des troupes de la [garnison sans nuire à la circu-
lation des habitants. A vrai dire, de ce beau plan
presque rien ne fut exécuté et la façade de l'Aubette, sur
la place Kleber, est à peu près le seul vestige qui subsiste
de cette tentative de « Blondelisation » de Strasbourg, qui
aurait précédé de cent ans 1' « Hausmannisation » de
Paris (2).
Strasbourg, ville de guerre située en avant-poste à la
frontière du royaume, à la porte de l'Allemagne, était trop
(1) Blondel. Cours d'architecture, t. IV. Paris. 1773,
PoLACZEK. Zeitschrift fiir die Geschichte des Oberrheins, 1914.
Brinckmann. Stadtbaukunst des XVIIl*^ Jahrhunderts. Berlin. 1914.
(2) Les plans que Blondel avait élaborés pour Metz ont été au contraire en
partie exécutés. On peut imaginer ce qu'il aurait fait de Strasbourg en voyant à
Metz la place contiguë à la cathédrale, dont il avait rhabillé le portail en style
classique.
l8 L*AKÏ FRANÇAIS SUR LE UHIN
étroitement enserrée dans ses murailles pour se prêter aux
expériences de Blondel. A défaut de grands ensembles
d'architecture comme les places Royales créées par Héré
à Nancy, par les Gabriel à Bordeaux et à Paris, elle
dut se contenter de quelques exemplaires clairsemés
de Tart des grands architectes parisiens, qui ne portè-
rent aucune atteinte fâcheuse au pittoresque médiéval de
la vieille cité. Sous le règne de Louis XVI, Michel
d'Ixnard, disgracié par l'électeur de Trêves, se réfugie
à Strasbourg^ où il construit la Tribu des marchands sur
la grande rue (1780) et où il publie en 1791 son Recueil
d'architecture. C'est également lui qui construit à Colmar
le théâtre et la bibliothèque du collège royal, où il inaugure
« un nouvel ordre d'architecture tenant de l'ionique et du
dorique ».
L'architecture française ne reste pas en effet confinée à
Strasbourg: elle se répand dans toute la province. Dans
le Bas-Rhin, Massol dessine les plans du château de
Reichshoffen. A Guebwiller c'est à l'architecte bisontin
Beuque que le chapitre de l'abbaye de Murbach, lequel
relevait d'ailleurs du siège archiépiscopal de Besançon (i),
demande les plans de la nouvelle église Notre-Dame.
L'Académie royale d'architecture de Paris fut invitée à
examiner, dans sa séance du 16 août 1769, les plans,
coupes, profils et élévations de cette église de Gueb-
willer (2). C'est une basilique à colonnes dont la façade
avec ses deux ordres superposés rappelle^Sainte-Madeleine
de Besançon. L'historien allemand F.-X. Kraus la consi-
(1) Les limites des diocèses ne concordaient pas toujours avec les frontières
des provinces ou des États : au point de vue ecclésiastique, Verdun dépendait
de Trêves, Colmar de Besançon, De là une interpénétration très favorable à
la ditfusion de l'art français.
(2) Procès-verbaux de l'Académie d'architecture. Bibliothèque de l'Institut
Les archives de Strasbourg possèdent des copies de ces plans, dont les
originaux appartiennent à la fabrique de l'église Notre-Dame de Gueb-
willer.
i. — ALSAtJB Î9
dère comme une des meilleures œuvres d'architecture de
style rococo W.
Sous l'influence de ces Français de l'intérieur se forme
une école d'architecture alsacienne d'esprit et de style
purement français. Ses meilleurs représentants, à la fin du
XVIII® siècle, sont Samuel Werner, auquel on doit les nobles
façades du quai Saint-Thomas, et Jean-Baptiste Kleber,
plus connu comme général que comme architecte, mais
qui n'en fut pas moins, comme l'a montré son descendant,
M. Danis, un des bons élèves de Chalgrin. Les archives du
Haut-Rhin conservent ses intéressants projets de l'hôtel
de ville de Bel fort et de r hôpital de Thann.
Ainsi l'Alsace, convertie sous Louis XIV en province du
royaume de France, devient sous le règne de Louis XV
une province de l'art français. C'est en vain qu'on cher-
cherait le moindre élément germanique dans le palais
Rohan ou dans les hôtels de la rue Brûlée : parfaits modèles
du goût français et même parisien acclimaté sur les bords
de rill par les élèves de R. de Cotte et de J.-F. Blondel.
(1) Kraus. — Kunst imd Altertum in Elsass-Lothringen. Strasbourg, 1884,
II, p. 108.
11. Electorat Palatin
On dit souvent que l'expansion de l'art français moderne
en Allemagne ne date que de la révocation de l'Edit de
Nantes. 11 est certain que l'exode des huguenots, désas-
treux pour nos industries, a été pour la diffusion de notre
art un adjuvant précieux. Mais nos artistes étaient déjà
fort appréciés en Rhénanie du temps de Louis XIII. La
preuve en est que l'électeur palatin Frédéric, qui fut l'es-
pace d'un hiver roi de Bohême, s'adressa dès i6i3 au
célèbre architecte-ingénieur Salomon de Caus pour tracer
les jardins de son château d'Heidelberg.
Salomon de Caus (i), Normand originaire du pays de
Caux, s'était d'abord expatrié en Angleterre, où il jouis-
sait de la faveur du prince de Galles, Henri, fds de Jac-
ques P'". Ce prince étant mort, il suivit à Heidelberg sa sœur
Elisabeth, qui avait épousé, en 161 3, l'électeur palatin.
C'est pendant son séjour à Heidelberg qu'il publia son
célèbre traité : Les Raisons des forces mouvantes, tant
utiles que plaisantes, auxquelles sont adjoints plusieurs
desseings de grotes et fontaines. Francfort, i6i5. Le pre-
mier livre est dédié au roi de France, dont il se reconnaît
le sujet, et sa qualité de Français est d'ailleurs attestée par
le privilège du roy, qui le qualifie de « maistre ingénieur
estant de présent au service de nostre cher et bien-aimé
cousin le prince électeur Palatin ».
L'électeur le chargea de créer au pied de son château
(1) DussiBUX. — Les artistes français à Vétranger, p. 193.
22 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
d'Heidelberg un jardin en terrasse « orné de toutes les rare-
tés que Ton y pourrait faire ».^ Salomon de Caus avait
presque terminé, en novembre 1619, lorsque la guerre de
Trente Ans vint apporter un « retardement aux ouvrages
dudit jardin ». Chassé de son royaume et de son électorat,
le prince détrôné dut renoncer à jouir des merveilles pré-
parées pour sa délectation et se réfugier à la Haye. Cette
catastrophe tragique n'empêcha pas Salomon de Caus de
« mettre les desseings dudit jardin en lumière, tant de ce
qui était achevé comme de ce qui restait encore à faire », et
en 1620, avant de rentrer en France, il publia, à Francfort,
en un volume in-folio, le recueil des dessins du jardin d'Hei-
delberg, sous le titre d'Hortus Palalinus (i).
Ce précieux recueil d'estampes, d'un intérêt capital pour
l'histoire de l'ai'chitecture de jardins, est tout ce qui nous
reste de cette étonnante création du génial fontainier, dont
la ville d'Heidelberg s'enorgueillissait autant que de son
château et de son gigantesque tonneau [dolium enormae
magniiiidinis). On y admirait « un parterre de broderie où
sont huit muses alentour et une au milieu dite Uranie
laquelle montre l'heure avec une vergette », une orangerie
de pierre avec des colonnes en forme de troncs d'arbre,
une grande grotte avec des colonnes à bossages surmon-
tées de figures d'animaux, un vivier où est une figure de
dix-huit pieds représentant le Bhin et une fontaine rustique
de Narcisse se mirant dans l'eau. A en juger d'après les
gravures, ces « curiosités » témoignaient souvent de plus
d'ingéniosité que de bon goût. Toujours est-il que le
jardin palatin d'Heidelberg réalisa, avant le parc royal de
Vers-ailles, le type idéal du jardin français.
La guerre du Palatinat fut fatale au château d'Heidel-
berg, qui devint une ruine fort poétique, mais inhabitable.
(1) Le titre complet de l'ouvrage est : Hortus Palatinus a FrédetHco, Rege
Boemiœ, Electori Palatino, Heidelhergae exstructus. Salomone de Caus
Architecto 1620. Francofurti apud Joh. T/ieod. de Bry.
Frontispice de l'Horlus Palatinus de Salomon de Caus.
11. - ÉLECTORAT PALATIN 23
A la fin du xvii^ siècle les électeurs palatins transférèrent
leur résidence à Mannheim, au confluent du Neckar et du
Rhin. Le nouveau palais électoral, destiné à remplacer
celui d'Heidelberg, fut presque entièrement construit par
des Français. On peut voir au Cabinet des Estampes de la
Bibliothèque Nationale (i) une « veue du Palais de Mon-
sieur rÉlecteur Palatin pour bâtir à Manheim du dessein
du s^ Marot. » Ce premier projet de Daniel Marot ne fut
pas exécuté.
Le château actuel, de dimensions colossales, commencé
par Jean-Clément Froimont et Guillaume Hauberat, fut
achevé par le Lorrain Nicolas de Pigage, élève de l'Aca-
démie d'architecture de Paris.
Ce Pigage, presque inconnu en France, joua un rôle de
premier plan à la cour de l'électeur palatin Charles Théo-
dore, où il arriva en 1749, et fut nommé en lyoS directeur
général des bâtiments et jardins de Son Altesse Électorale.
C'est lui qui traça les fameux jardins de Schweizingen (2),
résidence d'été de l'électeur, située à mi-chemin entre Hei-
delberg et Mannheim, l'ancienne et la nouvelle capitale.
L'ordonnance du parc rappelle celle des jardins de
Louis XIV : deux masses de verdure formant coulisses
encadrent une large allée centrale prolongée par un grand
canal. Des transformations dans le goût anglais ou anglo-
chinois furent faites, comme à Versailles, à partir de 1775,
mais sans altérer les grandes lignes du tracé à la
Lenôtre.
(1) Topographie de l'Allemagne, Vc. 307.
(2) Les jardins de Schwetzingen ont été popularisés par la gravure et par
de nombreuses descriptions,
Kuntz a gravé, d'après Pigage, six vues des jardins de Schwetzingen et
Lerouge leur a consacré un des cahiers de ses Jardins anglo-chinois à la
mode.
Parmi les descriptions récentes on consultera Sillib, Schloss und Garten in
Schwetzingen, Heidelberg, 1907. et l'excellent article de M. Pierre du Colom-
bier, Une œuvre d'art française en Allemagne : les jardins de Schwetzingen^
« La Renaissance », août 1922.
\
24 l'art français sur le RHIN
A défaut d'un nouveau château qui resta à l'état de
projet, Pigage embellit le parc d'une multitude de « fabri-
ques » : une charmante maison de bains (1769), dont le
salon ovale est une merveille de goût; à côté un berceau
de treillage qui s'arrondit autour d'un bassin dans lequel
des oiseaux lancent des jets d'eau : cette fantaisie est un
souvenir du parc de la Malgrange, près de Nancy, et ce n'est
pas la seule trace de l'influence de la cour de Lorraine sur
les cours rhénanes (i). Non loin de là se dressent le temple
d'Apollon (1774)' le temple de Minerve, le temple de la
Botanique, l'inévitable mosquée qui témoigne du goût de
cette époque pour les turqueries. La salle de théâtre, où
l'électeur Charles-Théodore lit jouer Zaïre devant Voltaire,
fait particulièrement honneur au goût de Pigage par son
ornementation discrète et sa délicate harmonie de cou-
leurs tendres.
Pigage exerça également son activité dans la région de
Dûsseldorf, seconde résidence des électeurs palatins, qui
étaient en même temps ducs de Berg. Il publia en 1778
un luxueux catalogue, enrichi de 365 petites estampes
gravées par le Bâlois Mechel, de la galerie électorale de
tableaux de Dûsseldorf (2) : « ouvrage que j'ai composé,
écrit-il, par goût particulier pour le bel art de la peinture
qui a tant de liaison avec celui de l'architecture que je
professe. »
Son chef-d'œuvre le plus parfait est sans doute le déli-
cieux petit château de Benrath, près de Dûsseldorf, dont
les façades, d'une simplicité raffinée, annoncent déjà la
(1) Les fontaines en plomb des jardins de Schwetzingen représentant Arion
monté sur son dauphin, des groupes d'enfants, un sanglier attaqué par des
chiens qu'on attribue généralement à Bouchnrdon, mais qui sont plus proba-
blement de Gruibal, proviennent des bosquets de Lunéville : on sait qu'elles
furent achetées par l'électeur palatin, en 1766, après la mort du roi Sta-
nislas.
(2) Une seconde édition plus modeste de ce catalogue, sans les estampes, a
paru à Bruxelles en 1781.
w
II. ÉLECTORAT PALATIN 25
renaissance du classicisme. De Taveu de Thistorien alle-
mand Gurlitt, ce pavillon, qui rappelle par ses proportions
menues V Amalienburg des électeurs de Bavière et le Sans-
Souci du roi de Prusse, est de pur style français. C'est le
goût de l'Académie de Paris, écrit-il en propres termes,
qui se manifeste ici dans toute sa pureté. « Es isi der
Geschmack der Pariser Akademie, der sich hier in voiler
Reinheit geltend macht. »
A Benrath comme à Mannheim et à Schwetzingen,
Nicolas de Pigage trouva un collaborateur de premier
ordre dans la personne d'un Flamand francisé : Pierre-
Antoine Verschaffelt, qui, après s'être formé à Paris dans
l'atelier de Bouchardon, puis à Bome, où il fit quelques
quelques beaux bustes, fut appelé en 1700 à la cour de
l'électeur palatin (i). Il avait alors une quarantaine d'an-
nées et était en pleine possession de son talent. Il com-
mença par décorer la façade et les autels de la nouvelle
église des Jésuites. Au palais Bretzenheim ses gracieux
bas-reliefs d'enfants symbolisant les quatre saisons rap-
pellent les bas-reliefs analogues de la fontaine de Grenelle
sculptés par son maître Bouchardon. Architecte en même
temps que sculpteur, il construisit dans le goût de Pigage
l'arsenal de Mannheim. Ses œuvres les plus remarquables
sont les statues des jardins de Schwetzingen et les frontons
et dessus de portes du château de Benrath.
La peinture française n'était pas moins en faveur à la
cour de Mannheim que l'architecture et la sculpture. Le
peintre favori de l'électeur Charles Théodore est l'excellent
portraitiste Paul Goudreaux (2) et en 1767 il charge son
ministre plénipotentiaire à Paris le baron de Sickingen de
commander à Joseph Vernet trois tableaux pour sa galerie.
Les ducs de Deux-Ponts (Zweibrûcken) , alliés à la
(1) Beringer. Peter Anton von Verschaffelt. Strasbourg, 1Q02.
(2) GoLDscHMiDT. P. Goudreaux. Munchner Jahrbuch der hildenden Kunst-
1911.
26 l'art français sur le RHIN
famille des électeurs palatins, avaient presque plus d'atta-
ches en France qu'en Allemagne. Chrétien IV, prince
palatin, duc de Deux-Ponts (1735-1773), avait épousé
morganatiquement une danseuse de l'Opéra. Son frère
le prince Frédéric [était lieutenant-général au service
de la France. Aussi les voit-on tout naturellement s'entou-
rer d'artistes français. Le premier architecte de la cour
bipontine, Pierre Patte, construisit deux corps de bâti-
ment du palais ducal et le palais de Saresbourg, imité
du Grand Trianon. Au Salon de 1781 le sculpteur Monnot
exposait deux figures en marbre de grandeur naturelle :
r Amour et Psyché, « destinées à orner le lit de S. A. S.
Mgr le Prince de Deux-Ponts» . Le charmant ornemaniste
Dugourc, beau-frère de l'architecte Bellanger, se vante
dans ses Mémoires d' « avoir conduit l'ameublement du
duc des Deux Ponts i^) ». Enfin il est à noter que presque
tous les tableaux de maîtres français de la Pinacothèque de
Munich proviennent de l'ancienne galerie de Deux-Ponts.
Comme les principicules bipontins, les princes de Salm-
Kirburg avaient un pied en France et l'autre en Allema-
gne. Ils étaient d'origine vosgienne. Si Kirburg est en
Allemagne sur la Nahe, leur fief patronymique de Salm. se
trouvait en France, près de Senones. Le prince Frédéric,
qui avait passé sa jeunesse à Paris et qui devait y mourir
sur l'échafaud en 1794? y fit construire par Rousseau le
charmant hôtel de Salm, devenu le Palais de la Légion
d'honneur (2). Pour son château de Kirburg, près de Kreuz-
nach, il s'adressa à Jacques-Dehis Antoine, l'architecte
de la Monnaie. Le Cabinet des Estampes a recueilli toute
une série de plans très détaillés de cette résidence prin-
cière intitulés : Plans du château de Kirn pour Son Altesse
Sérénissime Mgr le Prince de Salm-Kirbourg par Antoine,
(1) Davillier. Le Cabinet du duc d'Aumont. Paris, 1870
(2) T BiKio>i . Le palais de la Légion d'honneur. Versailles, 1883.
II. — ÉLEGTORAT PALATIN 2^
architecte du Boy et de r Académie royale d'architecture
à Paris CO. Une grande cour d'honneur avec des rampes
en hémicycle encadre la façade principale du château,
dont la salle à manger centrale est surmontée d'une
coupole. Du côté du parterre, des statues couronnent un
élégant portique de colonnes ioniques annelées. Le cazin
qui devait être construit dans les jardins présente quatre
façades différentes.
(1) Cab.Est. Topographie. Prusse, province du Rhin. Régence de Cohlentz
ir, Vc. 250.
111. Electorat de Mayence
Les trois électeurs ecclésiastiques qui se succédaient
le long de la « rue des Prêtres » (Pfaffengasse) n'étaient
pas moins férus d'art français que l'électeur palatin.
L'électeur de Mayence Lothar Franz von Schonborn
(1675-1728), dont Mignard nous a laissé le portrait (i),
était un fervent admirateur de Louis XIV. Gomme les
moyens lui manquaient pour remplacer son massif palais
en grès rose par un petit Versailles, il se contenta d'une
imitation de Marly qu'il baptisa La Favorite. Ce château
de plaisance passe pour avoir été construit par Maximilien
von Welsch, le meilleur architecte rhénan de cette époque,
mais sous l'inspiration directe de l'architecte français Bof-
frand, qui fut également consulté par les Schonborn pour
la résidence épiscopale de Wurzbourg. Boffrand aurait
corrigé le plan d'ensemble, dessiné les pavillons et les
fontaines des terrasses. C'est sans doute lui qui avait eu
l'idée du salon de porcelaine, une des merveilles de la
Favorite, inspirée évidemment par le Trianon de porce-
laine i^).
La situation de La Favorite et de ses jardins en ter-
rasses, tout bruissants de fontaines., était admirable. La
résidence d'été de l'électeur dominait en effet le confluent
(1) Musée de Cologne, n^ 582.
(2) M. Danis, directeur des Beaux-Arts d'Alsace-Lorraine, est l'auteur d'une
remarquable restitution du Trianon de porcelaine qui figurait à l'exposition
d'architecture de Strasbourg.
3o L'ARt FRANÇAIS SUR LE RïllN
du Rhin et du Mein. « La situation de ce jardin, écrit
Lerouge dans son septième cahier des jardins anglo-
chinois^ peut se comparer à celle de Saint-Gloud ou de
Saint-Germain. Mais il a un avantage particulier : outre
qu'il est situé le long du Rhin, qui n'en est séparé que par
un quay de six toises, il se trouve encore vis-à-vis de
l'embouchure du Mein, ce qui augmente l'agrément des
promenades qui sont distribuées en amphithéâtre. »
Il ne subsiste malheureusement plus rien de ce Marly
rhénan, qui fut victime du bombardement de 1793. Nous
ne pouvons plus nous le représenter que d'après les gra-
vures de Kleiner et de Lerouge. Le château de pur style
français construit à Biebrich, sur la rive droite du Rhin
par le duc de Nassau, peut en donner quelque idée.
Par contre nous pouvons voir encore aujourd'hui non loin
de Mayence, dans l'ancienne ville libre de Francfort-sur-le-
Mein, un spécimen fort bien conservé de l'architecture
française de ce temps : c'est Vhôtel des princes de Tour et
Taxis ^ récemment transformé en musée (i). Un mémoire très
détaillé de R. de Cotte, daté du 7 septembre 1727, nous
apprend que c'est le premier architecte du roi de France qui
fut chargé de reviser et de remanicT les plans primitifs et
nous permet de saisir sur un exemple précis ce souci de com-
modité, de confort, cet art raffiné des distributions qui est
la caractéristique de l'architecture française du xviii® siècle.
R. de Cotte propose de placer le grand appartement au
rez-de-chaussée : disposition qui sera reprise au palais
Rohan de Strasbourg; un péristyle de colonnes et des
galeries en arcades à droite et à gauche de la cour d'hon-
(1) LuTHMER. Dekorationen aus detn Palais Thurn und Taxis zu Frank-
furt a. M. 1890.
(2) Les plans de R. de Cotte pour l'hôtel de Tour et Taxis sont conservés au
Cabinet des Estampes. Topographie. Villes libres. Dans les papiers de de
Cotte, portefeuille 17, on trouvera le « Plan au crayon du rez-de-chaussée d'un
palais au prince de La Toui* Taxis en la ville de Francfort ».
Robert de Cotte et Hauberat. — Hôtel de Tour et Taxis, à Francfort.
m. ÉLECTORAT DE MAYENCïi 3l
neur permettront de cheminer à couvert dans toute la
maison. Il prend bien garde que le salon, « qui est la pièce
honorable où se doit assembler la compagnie », ne serve
pas de passage, u La chambre à coucher aura ses commo-
dités, des petits cabinets et des garderobes convenables
avec une antichambre qui a son entrée séparée afin que
le prince et la princesse puissent se retirer quelquefois de
la compagnie pour donner des ordres. J'ay cru devoir
placer la chapelle au rez-de-chaussée avec une tribune
pour la commodité du premier étage ; tous les gens de la
maison pourront entendre la messe commodément au rez-
de-chaussée même de la salle. » Il ne craint pas d'entrer
dans les plus humbles détails : si l'on met des poêles dans
le salon, on pourra charger le bois par derrière sans passer
dans les appartements. « Si cette idée convient, écrit-il
pour conclure, on peut la communiquer à l'architecte qui
a fait les premiers desseins pour lui donner l'occasion de
mieux penser encore. »
Le prince de la Tour et Taxis répond le 20 octobre à R. de
Cotte qu'il a trouvé son dessein « parfaitement beau » et que
ce plan « trouvera sans conteste l'approbation générale ».
Par qui fut-il exécuté? Les historiens allemands Dohme
et Gurlitt attribuent la construction de l'hôtel francfortois,
aussi parisien d'aspect que le palais Rohan de Strasbourg,
à un certain deîT Opéra. Sous ce masque italien il
faut reconnaître le Français Guillaume Hauberat, dont le
nom apparaît souvent dans les documents d'archives de
Dûsseldorf et de Bonn sous la forme estropiée Obra ou
Obéra. Cet excellent élève de R. de Cotte avait dirigé de
1716 à 17231a construction des châteaux de Bonn et de
Poppelsdorf : comme la mort de l'électeur de Cologne
Joseph-Clément le laissait sans emploi, son maître, tirant
parti de l'expérience qu'il avait acquise en Allemagne, le
fit agréer par le prince de Tour et Taxis pour diriger les
travaux de son hôtel de Francfort. Cette famille princière
32 l'art français sur le RHIN
conserve dans ses archives de Ratisbonne des lettres
écrites de Francfort par Hauberat entre 1780 et 1742.
Il serait intéressant de comparer le palais Tour et Taxis
de Francfort et le palais Rohan de Strasbourg, exécutés
tous les deux à la même date sur les plans de Robert de
Cotte : l'un par Hauberat, l'autre par Massol.
L'influence française persiste à Mayence dans la seconde
moitié du xviii'' siècle : la preuve la plus démonstrative
de son prestige est l'histoire des réfections de la cathé-
drale de Mayence après le terrible incendie du 12 mai
1767 (1). Frappée par la foudre, la flèche colossale en
charpente s'était écroulée. Le Chapitre hésitait à la
reconstruire en pierre malgré les assurances de François-
Ignace-Michel Neumann le jeune, fils du célèbre archi-
tecte de la résidence de Wurzbourg, qui se faisait fort
de réédifier le clocher sur des fondations d'une solidité
à toute épreuve. Neumann était un architecte de grand
mérite qui s'était formé en France : non content de
travailler à Paris, où il s'était lié avce l'académicien
Le Roy, connu par son livre sur Les monuments de Vanti-
quiié, il avait voyagé en province et étudié avec grand
soin la cathédrale de Rouen (die gothische Metropolitan-
kirche) pour laquelle il professait une grande admiration.
Malgré les garanties qu'il offrait, le Chapitre de Mayence
n'osait s'aventurer à sa suite. Il consulta l'Alsacien Samuel
Werner, architecte de la ville de Strasbourg (2), qui, ne se
fiant pas à ses propres lumières, proposa de rédiger un
mémoire et de l'envoyer à l'Académie d'architecture de
Paris pour avoir le sentiment de cette illustre Compagnie
(um von diesem ansehnlichen Collegio dessen Gutachten
und Meinung dar liber zu begehren).
(1) P. Schneider. Der Dom zu Mainz. Berlin, 1886.
(2; L'architecte municipal Samuel Werner, mort en 1775, dessina l'Arc de
Triomphe élevé à Strasbourg à l'occasion de l'entrée de la Dauphine Marie-
Antoinette.
m. ÉLECTORAT DE MAYENCE 33
Dans sa séance du 18 juillet 1770, le Chapitre approuva
cette proposition et pria Neumann d'exécuter lui-même
une copie de son plan pour le soumettre, avec tous les
éclaircissements nécessaires, à l'aréopage parisien.
L'Académie, officiellement saisie de l'affaire par le
marquis de Marigny, directeur des bâtiments, nomma
immédiatement une commission composée de cinq mem-
bres qui fut chargée de rédiger un rapport. Ce rapport,
déposé le 10 décembre 1770 (i), conclut que, la solidité
des fondations étant douteuse et Temploi de tirants
en fer n'excluant pas le danger de tassements inégaux,
il serait plus prudent de reconstruire le clocher en
charpente.
Ces conclusions timorées ne faisaient pas l'affaire de
Neumann, qui répliqua le 12 février 1771 par une volumi-
neuse dissertation en un français assez raboteux intitulée
Remarques et oppositions. Il déclarait que les rapporteurs
avaient mal lu son exposé, qu'ils n'apportaient aucune
preuve à l'appui de leurs objections et ne tenaient pas
compte notamment de ce que le tuf rhénan était beaucoup
plus résistant, malgré sa porosité, que les matériaux de
même nature employés en France ; il invoquait l'exemple
de la flèche de la cathédrale de Rouen, beaucoup plus haute
que celle projetée pour Mayence, et, pour finir, il se por-
tait personnellement garant de la solidité de son clocher.
« Quand la tour sera achevée, je demande la faveur de me
poster avec huit canons chargés à blanc sur la voûte de
l'octogone et de mettre toutes les cloches en branle : je
mettrai moi-même le feu aux pièces pour ainsi proclamer
aux quatre points cardinaux et jusqu'à la frontière de
France par le son des cloches et le tonnerre des canons la
solidité et la parfaite exécution de mon projet qu'on a
(1) Procès-verbaux de l'Académie d'architecture. Bibliothèque de l'Institut.
Les documents que nous reproduisons plus loin sont encore inédits.
34 l'art français sur le rhiK
décrié comme téméraire, inexécutable et en contradiction
avec les réelles de l'architecture ».
Impressionné par cet audacieux défi, le Gliapitrc fit con-
fiance à Neumann le jeune et trois ans après, en 1774? la
construction de la nouvelle tour en pierre, où l'ornementa-
tion de style baroque se marie assez heureusement aux
formes gothiques, était achevée. Il faut reconnaître en
toute franchise que, malgré les craintes formulées
par l'Académie d'architecture de Paris, elle a résisté
victorieusement au bombardement de 1798 et qu'elle
domine encore aujourd'hui la masse gigantesque de la
cathédrale (i).
Quoi qu'il en soit, le fait que l'Académie royale d'archi-
tecture ait été consultée prouve le cas qu'on faisait en
Rhénanie de son autorité (2).
A la fin du xviii^ siècle c'est l'architecte français Jean-
Charles Mangin (1721-1807) <3) qui introduit à Mayence le
style classique. On sait peu de chose sur sa formation : il
est probable qu'il fut à Paris l'élève d'Ange-Jacques Ga-
briel dont il nous apparaît comme un des meilleurs disci-
ples. A peine avait-il achevé le joli château de Mon aise
près de Trêves qu'il fut appelé à Mayence par le comte
Damien Frédéric von der Leyen qui venait d'être nommé
grand prévôt de l'archevêché et projetait de reconstruire
de fond en comble Yhôtel de la grande Prévôté (Dom-
propstei), bien qu'il fût presque neuf et eût été réédifié
(1) C'est également à Neamana le jeune qu'est due la reconstruction du dôme
de Spire. Son projet fut préféré à celui de Nicolas de Pigage.
(2) Dehio ne dit pas un mot de cette consultation dans son historique, très
complet par ailleurs, de la cathédrale de Mayence. Ilandhuch der deutschen
Kunstdenkmàler, p. 225.
(3) F. Dorst. Charles Mangin und seine Bauten in den Trierer und Main-
zer Landen. Mainzer Zeitschrift, 1918. Cet excellent article nous a été si-
gnalé par M. Griiniher, directeur du musée de Coblence, que nous tenons à
remercier ici de son obligeance. Nous avons depuis complété celte étude sur
divers points. Cf. L. Réau. Vn grand architecte français en Rhénanie :
Jean-Charles Mangin. L'Architecture, 1922.
Cl
3
O
u
III. ÉXEGTORAT DK MAYENCK 35
vers 1740 par un de ses prédécesseurs « dans le nouveau
style français. »
Deux médiocres gravures de Contgen et du chevalier de
Nicéville et la « coupe de la gallerie de la grande Prévôté
de Maience » exécutée par Mangin lui-même en 1790 nous
permettent de reconstituer l'aspect intérieur et extérieur
de cet édifice qui fut malheureusement incendié 'par les
Prussiens et les Autrichiens coalisés lors du bombarde-
ment de 1798. Le corps de logis principal, flanqué
de deux ailes basses, était décoré de six colonnes corin-
thiennes de plus de 10 mètres de hauteur portant un
entablement couronné de six statues allégoriques qui
symbolisaient les arts. Les grandes baies du rez-de-
chaussée étaient cintrées tandis que celles de l'étage
étaient rectangulaires. A l'intérieur la galerie ou salle
des fêtes émerveillait les visiteurs par ses proportions
grandioses : 27 m. 52 de long sur 8 m. 95 de large
qu'amplifiaient encore deux absides creusées dans les
petits côtés du rectangle. Sa large voûte en berceau était
portée par trente-six colonnes. De magnifiques statues-
lampadaires étaient régulièrement disposées dans les
entrecolonnements.
L'admiration des contemporains avive nos regrets de
la disparition de ce chef-d'œuvre si malencontreusement
détruit quelques années à peine après son achèvement.
Après Lang, dont nous reproduisons en appendice l'inté-
ressante description, Vogt écrit dans ses Ansichten
des Rheins : « Le plus bel édifice de la ville, la grande
Prévôté fut pendant le bombardement la proie des flam-
mes. Le comte von der Leyen l'avait fait construire à
ses frais d'après les dessins et sous la direction de l'excel-
lent architecte Mangin. La seule chose qui manquait à
ce palais était un entourage approprié : autrement
c'était à tout point de vue un chef-d'œuvre d'art gracieux
et noble. »
36 l'art français sur le rhin
Plus éloquent encore est le témoignage du grand Gœthe
qui raconte avec émotion dans sa description du siège de
Mayence : « Par un sentiment de vieille affection, je courus
au Doyenné (^) qui m'avait laissé le souvenir d'un petit
Paradis architectural : le portique était encore debout
avec ses colonnes et son fronton : mais bientôt je foulai
les décombres des belles voûtes effondrées : ça et là on
voyait encore quelques restes de l'ancienne splendeur.
Ainsi cette demeure idéale (dièse Musterwohnung) était
détruite à jamais. »
Les ruines continuèrent à s'effriter pendant une dizaine
d'années. En i8o4 Napoléon P*" décréta que les six colon-
nes de la Prévôté seraient utilisées pour former le portique
du nouveau théâtre. Mais la guerre arrêta les travaux et
il ne reste plus aujourd'hui de cet éphémère chef-d'œuvre
que quelques débris de sculptures dans la cour du château
électoral.
La fatalité s'est acharnée contre tous les édifices conçus
ou construits par Mangin. Le projet qu'il avait formé pour
l'achèvement de la tour de l'église de Saint-Ignace ne fut
pas exécuté. La belle maison de son protecteur le conseil-
ler Guiollett sur la place de la cathédrale, le petit château
du Gartenfeld en forme de temple grec, le château de
Wôrrstadt : tout a disparu, soit pendant le bombardement,
soit par suite de démolitions.
En 1793, il dut s'enfuir de Mayence où il avait acquis
droit de cité et s'était construit une maison ; sur les récla-
mations de ses créanciers, ses biens furent mis sous
scellés et vendus. Il passa les dernières années de sa vie
à Nantes où il mourut le 4 février 1807 à l'âge de quatre-
vingt-sept ans. Il laissait un Recueil de modèles d'archi-
tecture dont on a malheureusement perdu la trace (2).
(1) Gœthe confond évidemment avec la Prévôté.
(2) L'hôtel de ville de New-York a été construit en 1803 sur ses dessins.
Cf. Greber. L'architecture aux États-Unis. Paris, 1920.
m. ELECTORAT DE MAYENCE 3^
Son œuvre fut continuée o Mayence sous Napoléon P''
par Eustache de Saint-Far qui élabora un projet gran-
diose d'aménagement de la vieille ville, resté d'ailleurs
à Tétat de projet, et les plans du nouveau Théâtre qui
occupe à peu près remplacement de la Prévôté de
Mangin (i).
(1) Saint-Far travailla également en Alsace. Le musée du Louvre possède
ses plans du palais du Conseil souverain d'Alsace à Colmar.
IV. Electorat de Trêves
Les monuments d'architecture française que nous ren-
controns sur le territoire de l'ancien electorat de Trêves
appartiennent presque tous à la fin du xviii'^ siècle. Si nous
suivions un ordre chronologique, il nous faudrait parler
auparavant de l'électorat de Cologne : car le palais
électoral de Bonn appartient au début du règne de
Louis XV alors que le palais électoral de Coblence est
de pur style Louis XVL
L'électorat de Trêves entretenait de longue date les
relations les plus étroites et les plus amicales avec le
royaume de France. Nous avons déjà noté cette inter-
pénétration des limites religieuses et politiques qui faci-
litait sous l'ancien régime les rapports d'État à État
et effaçait presque la notion de frontière. Il ne faut
pas oublier que le domaine spirituel des archevêques de
Trêves s'étendait en France sur les évêchés de Metz, de
Toul, de Verdun (les trois évêchés), de Nancy et de
Saint-Dié. L'université 'de Trêves avait été réformée sur
le modèle de l'université de Paris (i). L'assimilation de ce
pays avait fait de tels progrès que le ministre de France
pouvait écrire en 1760 au duc de Choiseul : « A mesure
que les occasions se présenteront, vous apercevrez, Mon-
seigneur, que l'électoral de Trêves diffère peu de sentiments
d'une province de France la plus affectionnée au roi. »
L^influence française est déjà prépondérante sous le règne
de l'électeur Jean-Philippe de Walderdorf (1756-1768).
(1) Jean de Pange. « Un grand Rhénan : Nicolas de Hontheim. U Alsace
rançaise. 15 juillet 1922.
4o l'art français sur le RHIN
C'est à Jean Antoine, architecte et arpenteur de la géné-
ralité de Metz, que ce prince demanda les plans de son
château de Wittlich, charmant rendez-vous de chasse, qui
fut bâti de 1761 à 1764 et reçut le nom de Philippsfreude :
la Révolution n'en a malheureusement rien laissé subsis-
ter (^). Cet architecte messin, qu'il ne faut pas confondre
avec son confrère et homonyme parisien Jacques-Denis-
Antoine, l'architecte de la Monnaie, publia- à Trêves, en
1768, un important ouvrage intitulé : Traité d'architecture
ou proportions des trois ordres grecs sur un module de
douze parties. On y voit, à côté de plans destinés à être
exécutés en France : projets d'une grandiose place Royale
à Metz, du palais épiscopal de Toul, plusieurs dessins très
curieux qui se rapportent à l'Allemagne : notamment un
essai de reconstitution de la Porta Nigra et un « grand
escalier projeté pour l'abbaye de Saint-Mathias de Trêves
qui est pris dans une partie d'oval ». Jean- Antoine a
exercé une grande influence sur l'architecte trévirois
Joli. Seiz.
Cette intimité entre la France et Trêves allait se resserrer
encore à partir de 1768, grâce à l'avènement d'un prince
de la maison de Saxe, fils cadet du roi de Pologne
Frédéric-Auguste III, Clément- Wenceslas. Le nouvel
électeur était frère de Marie-Josèphe de Saxe et par
conséquent oncle du dauphin, le futur roi Louis XVI.
Il était tout acquis à la France. Le comte de Vergennes,
accrédité auprès de sa cour, mandait à Versailles le
20 novembre i774qu' a uni au roi par les liens du sang, il
se jette entre les bras de Sa Majesté et les complaisan-
ces qu'il témoigne être prêt à lui marquer n'auront d'autres
bornes que celles que l'amitié et le propre jugement de
S. M. voudront y mettre (2)».
(1) LoHMEYER, Johannes Seiz. Heidolberg: 1914.
(2) Arch des Aff. Et. Trêves. — Cf. Ch. Schmidt. Les sources de Vhistoire
des territoires hénans de 1792 d 1814. Paris, 1921.
IV.
ÉLECTORAT DE TRÊVES 4^
Avec de pareils sentiments on ne s'étonnera pas que
lorsque l'électeur résolut de se faire construire un nou-
veau palais à Coblence, qui était sa résidence habituelle, il
se soit adressé à un architecte français. L'ancien château
électoral se trouvait sur la rive droite du Rhin, au pied
de la forteresse d'Ehrenbreitstein : en hiver lorsque le
fleuve charriait des glaces les communications entre le
château et la ville devenaient très difficiles ; de plus les
bâtiments étaient délabrés et nécessitaient des répara-
tions continuelles. Ces considérations décidèrent l'élec-
teur à faire bâtir un nouveau palais sur la rive gauche du
Rhin, du côté de la ville.
A Joh. Seiz, l'architecte du palais électoral de Trêves,
et à Salins de Montfort qui s'était mis également sur
les rangs, il préféra Michel d'Ixnard, originaire de
Nîmes, qui avait été patronné à Strasbourg par le
cardinal de Rohan et qui s'était fait avantageusement
connaître en Allemagne par sa reconstruction de Tabbaye
bénédictine de Saint-Biaise dans la Forêt Noire (1768) (i).
Les travaux étaient déjà assez avancés lorsque l'élec-
teur s'aperçut que les projets trop ambitieux et trop
onéreux de d'Ixnard outrepassaient considérablement ses
revenus. C'est alors que par l'intermédiaire du comte
d'Angiviller, directeur des bâtiments du roi, il demanda
à l'Académie d'architecture de Paris de bien vouloir re-
viser des plans adoptés avec trop de précipitation.
Les commissaires désignés parla Compagniejugèrent sé-
vèrement les plans de d'Ixnard. Dans leur rapport du 16 août
1779 (2), ils déclarèrent que la distribution était vicieuse,
que la proportion de l'entrée principale sur la place était
(1) Le Recueil d'architecture publié par'd'Ixnard à Strasbourg en 1791 est
dédié à Son Altesse Révérendissime Monseigneur Martin de Gerbert, prince
du Saint Empire Romain, abbé du monastère et congrégation des Bénédictins à
Saint-Biaise dans les Forêts Noires [sic).
(2) 11 a été publié par Lohmeyer, dans son livre sur /. Seiz^ 1914.
42 l'art FRAKÇAIS sur le RHIN
lourde et écrasée et qu'en général le « genre d'architecture
employé dans ce monument laissait à désirer plus de
pureté et plus de noblesse dans le style ».
Pour corriger ces erreurs, l'Académie délégua un de
ses membres les plus distingués Antoine-François Peyre
(1729-1828), appelé communément Peyre le jeune pour
le distinguer de son frère aîné Marie-Joseph, également
architecte, qui construisit avec de Wailly le théâtre
de rOdéon. Aussitôt arrivé à Coblence le 7 novembre
1779, Peyre s'employa activement à comprimer les
devis. En supprimant des ailes inutiles, en diminuant
la hauteur des combles et en remaniant la distribution,
il réussit à économiser la moitié des dépenses prévues.
L'électeur, enchanté de ce résultat, se prit pour Peyre
d'un véritable engouement, le nomma à la place du
pauvre d'Ixnard son architecte en titre et le fît venir régu-
lièrement tous les ans pour diriger les travaux.
Le nouveau palais électoral, nommé Clemensburg, du
nom de son fondateur, ne fut terminé qu'en 1786, peu de
temps avant la Révolution. L'électeur y reçut les émigrés
français réfugiés à Coblence. Le prince de Condé note
dans son journal d'émigration : « C'est un château su-
perbe, dans le grand genre et meublé avec le dernier
goût. »
Les deux façades, du côté de la ville et du côté du Rhin,
animées simplement par des avant-corps ornés de colon-
nes, sont, quoi qu'en dise Quatremère deOuincy (i), d'une
simplicité un peu froide. Le plan primitif de d'Ixnard,
abandonné pour des raisons d'économie, avait certaine-
ment plus de grandeur. Le principal mérite du palais
construit par Peyre le jeune pour l'oncle de Louis XVI
est l'harmonieuse unité de la décoration intérieure. « On
(1) Quatremère de Quincy. Notice historique sur la vie et les ouvrages de
M. Peyre. 1823.
Michel_~D'IxNARD.[— Projet pour le Palais ÉlecloraPde Coblence {1777)-
U
Peyre le jeune. — Le Palais Électoral de Coblence ('1779-1786).
IV. ÉLECTORAT DE TREVES 4^
remarqua, écrivent Percier et Fontaine (^) qui furent char-
gés de restaurer cet édifice sous Napoléon I", que la sculp-
ture et la peinture s'alliaient d'une manière remarquable
dans une harmonie rare, dans un accord parfait, sans
nuire à l'architecture. »
Nous connaissons le nom de quelques-uns des colla-
borateurs de Peyre. L'architecte M angin fournit de nom-
breux dessins de meubles et d^ornements en stuc. Le
sculpteur Lecomte exposait au Salon de 1789 un dessin
représentant la Religion et les Vertus théologales, com-
posé pour le devant de la chaire de la chapelle de
S. A. S. l'électeur de Trêves. Le plafond de la salle
d'audience qui symbolise la Justice punissant le vice fut
composé par Lagrenée jeune. La salle du trône était
ornée de tableaux de maîtres français : le Bélisaire de
David, la Clémence d'Auguste envers Cinna par Vincent,
la Continence de Scipion par Ménageot. En somme l'art
français y régnait en maître et les émigrés réfugiés à
Coblence pouvaient caresser l'illusion d'être encore à
Versailles.
Cet édifice, auquel les historiens de l'art du xviii*^ siècle
n'ont pas prêté jusqu'à présent une attention suffisante i^\
présente, indépendamment de ses mérites intrinsèques, un
grand intérêt historique. C'est non seulement l'œuvre la
plus importante de Peyre le jeune, qui n'a rien construit
de comparable en France, et l'un des spécimens les plus
caractéristiques du style Louis XVI à l'étranger; mais
c'est le premier édifice de stgle classique qui ait été
élevé sur les bords du Rhin et à ce titre on ne saurait
(1) Percier et Fontaine. Résidences de souverains. Paris, 1833.
(2) Signalons cependant les recherches du D' Lohmeyer, directeur du
Musée Palatin de Heidelberg, un des meilleurs connaisseurs de l'ar
allemand du xviii* siècle et la monographie en cours de préparation de
M. Ernst Hager dont nous n'avons pu malheureusement prendre connais-
sance.
44 l'art français sur le RHIN
exagérer son importance dans l'histoire de l'architecture
allemande.
L'activité de Peyre ne se borna pas à la construction du
château électoral de Coblence. Nous savons par ses Œuvres
d'architecture publiées à Paris en 1818 qu'il dressa encore
pour l'électeur de Trêves les plans d'un pavillon destiné
aux jardins de Kûrlich sur les bords du Rhin. 11 exposa au
Salon de 1795 le plan, la coupe et l'élévation en perspec-
tive de ce cazin qui avait été projeté en 1788 et dont les
circonstances empêchèrent l'exécution. Au centre du pa-
villon devait se trouver une volière et « comme l'usage en
Allemagne est de faire de la musique dans les maisons de
plaisance des princes et des grands seigneurs pendant
l'heure des repas, il y aurait eu autour de la volière quatre
tribunes pour les musiciens. Les sons de la musique en-
tendus distinctement de toutes les pièces du pavillon se
seraient mêlés au chant mélodieux des oiseaux ».
Mangin qui avait collaboré à la décoration intérieure du
château de Coblence dessina également pour le parc du
château de Kàrlich un petit temple rond orné de quatre
portiques dont le plan signé et daté (4 mars 1787) a été
retrouvé par M. Lohmeyer aux archives de Coblence.
Près de Trêves, à Thiburg sur la Moselle, Peyre dessina
encore pour le baron de Kerpen, chanoine du chapitre,
une ferme et un petit pavillon tandis que Mangin construi-
sait en 1779 pour le comte Philippe de Walderdorf le
charmant château de Mon aisei^) àoni la façade, ornée de
quatre colonnes ioniques, est d'une simplicité distinguée.
Comme il arrive toujours, l'exemple donné par le souve-
rain fut suivi par ses courtisans et l'influence française se
répandit de Coblence dans tout l'électorat.
(1) Ce ravissant château, inhabité et abandonné depuis de longues années,
semble malheureusement voué à une ruine prochaine. Cette perte serait
d'autant plus regrettable que c'est le seul ouvrage de Mangin conservé en
Allemagne.
IV. ÉLECïORAT DE TRÊVES ^5
Entre l'électoral de Trêves et l'électorat de Cologne, la
petite principauté de Wiq,d constitue au xvm^ siècle un
centre particulièrement actif de culture française. La colo-
nie de Frères Moraves (Herrnhuter) établie à Neuwied
comprenait un assez grand nombre de Français. L'un de
ces Frères Moraves, le célèbre ébéniste David Rœntgen,
fit consacrer sa réputation à Paris où il prit le titre d'ébé-
niste-mécanicien de la reine' Marie-Antoinette.
La Société typographique de Neuwied imprimait quan-
tité de gazettes et d'ouvrages en langue française. C'est de
ses presses que sortit notamment en 1789 le Monument
du costume, ce charmant tableau de la société française à
la fin de l'Ancien Régime, dont le texte dû à Restif de la
Bretonne est' commenté par les spirituelles estampes de
Moreau le jeune.
V. Electorat de Cologne
Depuis le moyen âge, Cologne, métropole historique et
religieuse de la Rhénanie, a toujours eu mission de trans-
mettre à l'Allemagne les influences civilisatrices de l'Occi-
dent, représenté essentiellement par la France et les Pays-
Bas. A partir de la fin du xvii*' siècle, l'influence française,
refoulant l'influence hollandaise, s'impose sans conteste.
Cologne est à cette époque en décadence et ne compte
plus au point de vue artistique. Mais l'art français s'im-
plante dans la ville \oîsine de Bonn, résidence favorite
des électeurs et rayonne de là dans toute la basse Rhénanie.
C'est à l'électeur Joseph-Clément (1688-1728) et à son
neveu et successeur l'électeur Clément-Auguste (1728-
1761), tous les deux cadets de la maison de Bavière, que
l'art français du xviii'' siècle est particulièrement redevable
de cette conquête (i).
Joseph-Clément de Bavière avait pourtant été élu en
1688 contre le candidat français : Guillaume Egon de
Furstenberg, évêque de Strasbourg. Mais il ne tarda pas à
se rapprocher de Louis XIV pour obtenir des subsides. En
1701, lorsque éclata la longue guerre de succession d'Espa-
gne, il prit ouvertement parti pour la France et lui laissa
même enrôler des troupes sur son territoire à l'insu de ses
États. Cette fidélité devait lui coûter cher. Ses châteaux
(1; Le meilleur travail publié sur l'art français dans l'électorat de Cologne
est une dissertation de doctorat de Renard : « Die Bauten der Kurfursten
Joseph-Clemens und Clemens-August von Kôln», qui a paru dans le Bonner
Jahrbuch en 1896.
48 l'art français sur le RHIN
de Bonn et de Brûhl furent bombardés et à moitié détruits.
En 1702 il fut chassé de son électorat parla coalition et
dut se réfugier dans le nord de la France, à Lille et à Va-
lenciennes. Son exil dura douze ans : il ne fut restauré
qu'en 1714? à la faveur du traité de Rastadt.
Ébloui par les magnificences de la cour de Louis XIV, il
se consolait de sa déchéance momentanée en esquissant
des projets grandioses de transformation de sa résidence
de Bonn, où il espérait bien rentrer un jour avec l'aide de
son puissant allié. Dès 1704 il s'abouchait avec le célèbre
architecte Robert de Cotte, beau-frère et successeur de
Jules Hardouin Mansard, et jusqu'en 1720 il échangea avec
lui une correspondance très active qui est conservée au
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale (i).
Cette correspondance se divise en deux parties : la pre-
mière comprend les lettres d'exil (1704-1715) qui se pres-
sent surtout à partir de 1712 quand la paix est en vue et
que l'exilé espère rentrer dans ses Etats ; la seconde se
compose des lettres datées de Bonn, après la restauration
de l'électeur.
Nul mieux que R. de Cotte, intendant des bâtiments et
premier architecte de Sa Majesté très chrétienne, n'était
capable de donner à ce principicule allemand la flatteuse
illusion d'être un petit Louis XIV. Aussi ne tarit-il pas
d'éloges sur le génie du grand homme qui consent, malgré
ses multiples occupations, à l'éclairer de ses lumières.
« Vous avez si bien donné dans ma pensée, lui mande-t-il
le 11 juillet i7i4;» qu'il n'y a rien à dire et j'en suis content
au delà de tout ce qu'on saurait s'imaginer... Je vous prie
très instamment de continuer à m'assister jusqu'à la fin de
vos bons conseils et avec un tel secours j'espère de faire
sans contredit un des plus beaux palais qui soient en Alle-
magne. »
(1) Nous en publions en appendice de nombreux extraits.
Vivien. — Porfra// de l'Électeur de Cologne Joseph-^Clémenl. gravé par B. Audran.
V. ÉLECTORAT DE COLOGNE 49
De Cotte était beaucoup trop absorbé par ses fonctions
de premier architecte du roi et de directeur de l'Académie
d'architecture pour venir conduire sur place les bâtiments
de l'électeur de Cologne. Il ne semble pas qu'il soit jamais
venu à Bonn. Mais il y délègue ses lieutenants : Benoît
de Portier, puis Guillaume Hauberat qui travaillent sur ses
plans et ne font rien sans le consulter. En outre c'est lui
qui se charge de recruter à Paris toute la main-d'œuvre
nécessaire, d'engager menuisiers, doreurs, serruriers. Bref,
il est à distance le véritable maître de l'œuvre.
Afm de faciliter sa besogne, l'électeur décide, en 1716,
que toutes les mesures lui seront envoyées désormais, non
plus en pieds du Rhin, mais en toises de France. « Pour
éviter tout embarras, j'ay ordonné à tous les ouvriers qui
travaillent à mes bâtimens de ne se servir dorénavant dans
tous leurs ouvrages que du pied de France et pour cet
effet j'ay fait attacher à la porte de mon palais une vergq
de fer longue d'une toise pour qu'ils se règlent là-dessus. »
La grande ambition de l'électeur, son rêve ou, si Ton
préfère, sa marotte était d'imiter de son mieux au bord du
Rhin, dans ses résidences de Bonn et de Bruhl, les mer-
veilles qu'il avait admirées à la cour de France. « Je souhai-
terais fort, insiste-t-il, que ma gallerie eût la même lar-
geur que celle des Thuilleries où sont les plans des villes
et forteresses conquises par Sa Majesté très chrétienne. »
Quant à ses appartements intimes, il tient à ce qu'ils soient
décorés « comme étaient les appartements de feu M. le
Dauphin à Meudon ».
Malheureusement les ressources de l'électeur n'étaient
pas toujours à la hauteur de ses ambitions. On aurait pu dire
de lui ce que le comte de Moustier disait de l'électeur de
Trêves, Clément-Wenceslas : qu'il était un très haut, mais
pas un très puissant seigneur. Dans sa correspondance, il
se plaint amèrement, à maintes reprises, de la mauvaise
volonté de ses chanoines, de la lésinerie de ses sujets qui
4
%0 L^ART FRANÇAIS SUR LE RHi:«
lui marchandent les crédits nécessaires. Il s« voit obligé, à
son corps défendant, de rogner les projets trop fastueux de
R. de Clotte. « Je vous prie, Monsieur, lui recommande-t-il,
d'avoir eïi totit ceci plus d'égards au b^on golit et à la com-
modité qu'à la magnificence qui accompagne tout ce que
vous ordonnez pour S. M. T. C. laquelle doit avoir
ïivec justice des palais qui correspondent à sa grandeur
et à sa puissance ; mais il faut que mes bâtiments
cadrent à mes moyens qui ne sont rien en comp^araison
des siens. »
Pour faire des économies il commande à Paris des
modèles en se réservant de les faire co^^ier sur place à
meilleur compte. 11 se contentera par exemple de deman-
der à Vernansal une esquisse de plafond qu'il fera peindre
par un barbouilleur à ses gages. De Gotte lui avait con-
seillé de faire exécuter les ornements en argent de sa salle
d'audience par l'orfèvre du roi Ballin. « Je suis persuadé,
lui répond le besogneux électeur, qu'il ne sort de ses mains
que des ouvi^ages accomplis. Mais les façons chez lui
moulent si haut qu'elles excèdent souvent le prix de la
matière. Aussi je suis résolu de faire exécuter ces orne-
mens en Allemagne où l'on travaille fort bien et à beau-
coup "meilleur marché, pourvu que l'on fournisse de bons
modèles aux ouvriers. »
Son secret désir aurait cté de faire solder par la cour de
France les mémoires de ses fournisseurs parisiens. C'est
ce qu'il n'eut pas honte de faire demander au duc d'Antin,
directeur des bàtiments;, par rintermédiaire de R. de Cotte,
« mes finances, explique-t-il pour excuser sa mendicité,
étant iprésentem eut effroyablement dérangées par il-opiniô-
treté et les mauvaises intentions de mes Etats, en haine de
mon alliance avec le feu roi très chrétien ». «Ma passion
pour bâtir est toujours égale, gémissait-il ; mais les moyens
me manquent pour la satisfaire. » Ges sollicitations plus ou
moins indirectes n'eurent pas l'effet désiré et le pauvre
V. ÉLECTOll^T DE COLOGNE 5l
électeur dut se résigner, bon gré niai gré, à payer ses
fournisseurs sur sa propre cassette.
Si l'on ajoute à ces perpétuels embarras d'argent le
tempérament indécis et brouillon de Joseph Clément dont
les velléités se contrariaient ssjis cesse et qui faisait con-
stamment modifier les plans en cours d'exécution, on ne
s'étoimera pas que plusieurs des bâtiments dessinés par
R. de Cotte soient restés sur le papier. De ,tous les plans
conçus pour les quatre résidences de l'électeur : JBonn^
Poppelsdorf, Godesberg et Briihl, bien peu ont été intégra-
lement exécutés.
Le château de Bonn avait été commencé par l'Italien
Enrico Zuccali : de sorte que R. de Cotte n^avait pas les
mains entièrement libres. Il était en outre paralysé par les
irrésolutions de l'électeur, qui ne savait même pas s'il
-devait conserver l'ancien palais en le remaniant ou en faire
construire un nouveau. Il aurait Lien voulu que sa rési-
dence fut en bordure du Rhin : mais il redoutait les inon-
dations du fleuve et surtout il craignait d'être salué un
beau jour à grands coups de canon par son voisin l'élec-
teur palatin, qui résidait à Diisseldorf sur la rive droite.
Finalement il se décida à conserver l'ancien emplacement :
cependant^ pour jouir de la vue du Rhin et pour recevoir
plus commodément ses hôtes arrivant par eau, il ima-
gina de greffer sur son château une aile interminable
s'allongeant comme un disgracieux tentacule vers le
fleuve.
Avec un pareil développement en largeur, tout à fait
démesuré, l'aspect extérieur du château ne pouvait être
très satisfaisant. Par contre la décoration intérieure des
chambres de parade et des appartements intimes devait
être une merveille. L'ensemble et les détails avaient été
étudiés avec le plus grand soin par R. de Cotte, dont on
peut admirer les dessins au Cabinet des estampes. L'enfi-
lade des pièces d'apparçit se composait de la salle des
52 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
Gardes, de la salle des Electeurs, de la salle d'audience,
tendue de six tapisseries de haute lisse, où se dressait sous
un dais le trône de l'électeur, de la chambre du conseil
décorée aux couleurs de Bavière : bleu et blanc, du
cabinet des glaces et de la grande galerie. De là on
pénétrait dans les appartements intimes du Buen-retiro^
que l'électeur avait prescrit de décorer dans le goût
des appartements du dauphin à Meudon avec des « gro-
tesques » de Claude Audran, des panneaux de glace et des
laques chinois.
Toute cette décoration fut malheureusement anéantie
dès la fin du xviii^ siècle dans l'incendie de 1777. Le châ-
teau restauré fut affecté, en 1818, par le gouvernement
prussien à l'université : ce qui acheva sa ruine (^). Si l'on
excepte quelques plafonds miraculeusement préservés, il
ne reste plus rien aujourd'hui du charmant décor si
amoureusement concerté par Joseph Clément et R. de
Cotte.
Le petit château de Poppelsdorf, relié à celui de Bonn
par une belle avenue d'arbres, a moins souffert bien qu'il
ait été dévolu également à l'université, qui y a installé des
musées et des laboratoires d'histoire naturelle. Son plan,
très exceptionnel, a peut-être été emprunté par de Cotte à
la Villa Rotonda de Palladio : les bâtiments se groupent
autour d'une cour ronde entourée d'arcades au-dessus
desquelles règne une terrasse (2). La décoration très gra-
cieuse des appartements ainsi que delà chapelle, affectée à
la confrérie des fleuristes, se distingue par des motifs
rustiques ou lloraux. Une des principales curiosités de
ce château de plaisance est la fameuse salle de coquillages
(Muschelsaal)y véritable tour de force du Bordelais Pierre
(1) L'université occupait auparavant le couvent des Jésuites.
(2) Les plans de R. de Cotte relatifs à Poppelsdorf sont conservés au Cabinet
des Estampes. Topographie. Province du Rhin. Vc. 254.
n
IftltlirLrrrTftFfrÉitïrfrrrfrfrrf r r
mmnmrnrmr :
Robert de Cotte. — Projet de façade du Palais Électoral de Bonn
Robert de Cotte et Hauberat. — Château de Poppelsdorl.
V. ÉLECTORAT DE COLOGNE 53
Laporterie, qui consacra à ce travail de patience sept
années de sa vie (i).
Le château de Briihl, vieux manoir féodal situé à mi-
chemin entre Cologne et Bonn, qui servit pendant plusieurs
mois d'asile au cardinal Mazarin, avait été bombardé et
à moitié détruit en 1689. Joseph-Clément songea à
le remettre en état et demanda des plans à R. de Cotte.
Dans une lettre très curieuse datée du 4 niai lyib, il expose
ses propres idées et stipule 1" : que le nouveau château
devra avoir l'apparence d'une maison ouverte, pour éviter,
en cas de guerre, un second bombardement ; 2° qu'on utili-
sera, autant que possible, les anciennes fondations qui sont
encore fort bonnes, en se contentant de masquer ces ves-
tiges archaïques par des constructions neuves. Dans ce
programme nous retrouvons les mêmes préoccupations de
sécurité et d'économie qui avaient guidé l'électeur pour
son château de Bonn. Le château de Briihl ne devait d'ail-
leurs être construit qu'après sa mort.
R. de Cotte et ses lieutenants Benoît de Portier et Hau-
berat ne sont pas, tant s'en faut, les seuls artistes français
que Joseph-Clément emploie pour la construction et la
décoration de ses bâtiments. Parmi les talents qu^il mit à
contribution, il faut citer surtout le grand architecte-déco-
rateur Gilles-Marie Oppenord, directeur général des bâti-
ments et jardins de Mgr le duc d'Orléans, régent du
royaume, dont il avait certainement admiré l'ingéniosité et
le goût au Palais-Royal. Dans le recueil des OEiivres d' Op-
penord^ gravé par Huquier (2), on trouve quatre projets
conçus pour le palais de Bonn, qui se rapportent à la déco-
(1) Les principales œuvres de Laporterie en Allemagne sont outre la grotte
de Poppelsdorf, la chapelle de Falkenlust près de BrUlil, la grotte de Neuwied
et la grotte du château de Wilhelmstal près Cassel. Voir sa biographie dans
les Materialien ziir Statistik des niederrheinischen und tcestfàîischen
Kreises, 1781.
(2) Il a été publié en photographie par l'éditeur Rouveyre. Paris, 1888.
54 l'Art français sur le rhin
ration de la salle des Gardes, à une grotte dans un jardin,
à un grand salon à Titalienne. Dans la correspondance d'IIau-
berat avec R. de Cotte, il est question de plusieurs dessins
exécutés par Oppenord pour la décoration du cabinet des
glaces. Enfin E. Renard a retrouvé aux archives de Dûs-
seldorf le devis détaillé d'un corps de logis portatifs sorte
de maison roulante en bois comportant une chambre à
coucher, une salle à manger et même une chapelle,
qu'Oppenord était chargé de faire exécuter à Paris par les
meilleurs artistes afin de permettre à l'électeur vieilli
et valétudinaire de voyager sans fatigue.
Autour de ces deux chefs de file, on relève dans la cor-
respondance et dans les comptes de l'électeur les noms de
quantité d'artistes et d'artisans français : les uns déracinés
comme l'architecte Michel Leveilly qui construisit à Bonn
V hôtel de ville (l) (1787), et la porte Saint-Michel ou porte
de Coblence (1751), le sculpteur Rousseau, les peintres
Vivien et Laroque — les autres exécutant à Paris les
commandes de l'électeur, tels que les peintres Audran,
Desportes et Vernansal, le célèbre orfèvre Thomas Germain
qui cisela, en 1720, pour rarchevêque de Cologne, un
magnifique calice en or enrichi de plusieurs médaillons
représentant des scènes de la Passion (2), le médailleur
Jean Duvivier, de Liège, qui exécuta un très beau portrait-
médaillon du prélat, ^son premier mécène (3).
(1) Le projet de la façade de cet édifice par Leveilly est conservé au
Rathaus de Bonn. Leveilly a également construit à Bonn la Vigne du Seigneur
(Vinea Domini), maison de plaisance de l'électeur, située dans un clos de
vignes au bord du Rhin, et des hôtels particuliers comme l'hôtel Metternich,
aujourd'hui disparu.
(2) Gr. Bapst. Les Germain, p. 39.
(3j Joseph Clément était, en même temps qu'archevêque de Cologne, év êque
de Liège; ce qui explique ses relations avec le grand médailleur liégeois.
ÉLECTORAT 1>E COLOGNE 55
A la mort de Joseph-Clément, en 1728, tout le chantier
français de Bonn se dispersa. Mais il ne tarda pas à se
reconstituer sous le nouvel électeur Clément-Auguste,
frèi'e cadet de l'empereur Charles-Alhert de Bavière, qui
continua les traditions de faste de son oncle.
Le château de Brûhl (Augustusburg), auquel il a atta-
ché son nom, est avec le palais électoral de Coblence le
chef-d'œuvre de l'architecture française du xviii^' siècle sur
les bords du Rhin. Commencé eniyaSet achevé seulement
en 1770, il est assurément beaucoup moins homogène ;
mais en revanche on peut y étudier mieux que partout ail-
leurs révolution du rococo depuis le style Régence où il
est en germe jusqu'à la renaissance du classicisme.
La merveille de Briihl est l'escalier monumental, dont on
peut critiquer certains détails : l'abus des stucages à l'ita-
lienne, le plafond trop bariolé, mais qui n'en est pas moins,
par l'ampleur de la conception^ le magnifique rythme ascen-
sionnel, l'égal des escaliers grandioses de Wûrzbourg et de
Bruchsal. L'architecture duxviii^ siècle atteintici son apogée.
Les historiens d'art allemands se sont naturellement
efforcés de revendiquer la meilleure part de oe chef-d'œu-
vre pour deux architectes d'outre-Rhin : le Westphalien
Johann-Conrad Schlaun et le Franconien Johann-Balthasar
Neumann. Mais leur argumentation est si pauvre et si fra-
gile qu'elle ne résiste pas à l'examen. A l'encontre de
Gurlitt, Renard avoue loyalement que Neumann, qui n'ap-
paraît à la cour de l'électeur de Cologne que vers 1740, a
joué un rôle de conseiller plutôt que de créateur et que sa
participation aux travaux de Brûhl est fort douteuse. Son
nom ne figure dans aucune pièce d'archives. Lui-même
ne mentionne parmi ses œuvres rhénanes que la Scala
Santa de Kreuzberg, près Bonn, et l'autel de l'église
des Franciscains à Bruhl. Il fait quelque part allusion à
66 l'art français sur le rhin
une grande idée (haubt idée). Mais cette grande idée con-
cerne-t-elle l'escalier de Brûhl ? C'est une pure hypothèse.
En somme, du fait que Neumann a conçu les escaliers de
Wurzbourg et de Bruchsal, on induit qu'il doit être aussi
pour quelque chose dans le chef-d'œuvre de Briihl. On
avouera que le raisonnement est faible et que le moindre
document ferait bien mieux notre affaire.
A cette hypothèse nous pouvons opposer tout un fais-
ceau de documents irréfutables qui démontrent que le
château de Brûhl appartient non pas à l'architecture alle-
mande, mais à l'architecture française en Allemagne.
1° Dans une lettre du 4 niai 171 5, que nous avons déjà
signalée, l'électeur Joseph-Clément demande à R. de Cotte
un plan de reconstruction du château de Brûhl. L'existence
de ce plan initial n'est donc pas douteuse et tout porte à
croire qu'il a servi de base pour la construction com-
mencée dix ans plus tard, en 1725.
2° Les travaux de construction furent dirigés successive-
ment par deux architectes français : Michel Leveilly et
Etienne Dupuis.
3° Presque toutes les décorations intérieures furent exé-
cutées sur les dessins ou de la main d'artistes tels que
Cuvilliès, Radoux, Roussaux dont le nom n'a assurément
rien de germanique.
5° Le parc fut dessiné par Girard, élève de Lenôtre, qui
avait travaillé aussi en Bavière, à Nymphenbourg et à
Schleissheim. Le jardin du château de Brûhl, écrit
TAllemand Renard, est une oeuvre remarquable de l'ar-
chitecture française de jardin: Der Brûhler Schlossgarten
ist ein vorzûgliches Werk der franzôsischen Garten-
baukunst.
Tous ces documents, tous ces témoignages nous auto-
risent à conclure que le château de Brûhl, chef-d'œuvre
deTarchitecture rococo en Rhénanie, est en majeure partie
une création du génie français. C'est d'ailleurs également
Grand escalier du Château de Briihl
Photo Ollivier.
V. ÉLECTORAT DE COLOGNE 5^
la conclusion de Renard, que nous reproduisons d'autant
plus volontiers qu'elle ne peut être suspecte de partialité
en notre faveur : « Bonn et Bensberg(i) ayant été détruits
ou complètement transformés, Brûhl reste le monument le
plus important de l'art du xviii^ siècle dans la province
rhénane, l'expression du faste des électeurs de Cologne et
de leur prédilection pour les modèles français. »
Les fabriques semées autrefois dans le parc renforçaient
encore cette impression. Le kiosque chinois appelé Sans
Gêne et le belvédère en colimaçon [Schneckenhaus) ont
disparu et ne nous sont plus connus que par les estampes
de Metz et Mettel. Mais le pavillon de chasse deFalkenlust
subsiste et on ne saurait rêver architecture plus purement
française. C'est une fantaisie exquise de Cuvilliés, archi-
tecte favori de l'électeur de Bavière, frère de l'électeur de
Cologne (2). Construit entre 1780 et 1787, il est admira-
blement conservé. Un salon forme avant-corps sur le
jardin. Dans le vestibule, les bas-reliefs qui décorent les
dessus de portes et les groupes de putti jouant avec des
faucons (3) sont du sculpteur français Le Clerc. Dans le
trumeau d'une cheminée s'encadre la figure de l'électeur
Clément-Auguste en négligé, vêtu d'une robe de chambre
de soie bleu et blanc, couleurs de la Bavière, et tenant à
la main une tasse de chocolat fumant : cet excellent
portrait est signé Vivien (4). Deux charmants cabinets :
(1) Bensberg est un château bâti par l'Electeur Palatin Jean-Guillaume
dans le duché de Berg, à quelques lieues de Cologne.
(2) Le pavillon de Falkenlust est reproduit dans l'œuvre de Cuvilliés gravé
par les soins de son fils en 1770. Plan général de Falquenloust, bâtie par
S. A. S. E. de Cologne dans le parc de Bruell, surnommé Augustenbourg,
exécuté sur les desseins de Cuvilliés père et mis au jour par son fils en 1770.
(3) Falkenlust était consacré à la chasse au faucon.
(4) « Ce tableau est des plus beaux que j'aie vus, écrit avec une admiration
naïve l'auteur d'un Voyage sur le Rhin : il égale à mon avis ceux de Van
Dyck et de Rigaud; fraîcheur de coloris, expression, vérité, vigueur du
pinceau, tout y est léuni; la fumée qui sort de la tasse est parfaitement
rendue ; le prince semble respirer ; il ne manque â ce portrait que la
parole... >»
58 l'art français sur le rhin
l'un décoré de laques à la chinoise, l'autre de glaces avec
des consoles supportant des porcelaines, sont dûs à un
décorateur parisien. Dans ce pavillon presque intact
qu'affectionnait l'électeur, plus passionné de chasse que
de dévotion^ il n'y a rien qui ne soit français. Dans le
bois contigu à ce petit château^ on voyait une chapelle en
coquillages, de forme ronde, dédiée à sainte Marie TEgyp-
tienne : c'était un ouvrage du Français Laporterie, l'au-
teur de la Grotte de Poppelsdorf.
Clément-Auguste avait plusieurs autres rendez-vous de
chasse : en Westphalie, le pavillon de Clemenswerth, bâti
par Schlaun, mais dont la décoration intérieure fut dirigée
par Michel Leveilly; près de Bonn, le vaste château
d'Herzogsf rende, construit aux frais de l'électeur, dans le
style des maisons de plaisance de J.-F. Blondel, par Johann
Heinrich Roth qui avait fait, en 1751, un voyage d'études
à Paris.
Ainsi nous rencontrons partout des traces de la prédi-
lection de l'électeur Clément-Auguste pour l'art français.
En veut-on d'autres exemples? Lorsqu'en 1742 il voulut
paraître avec toute la pompe d'un prince de l'Eglise au
couronnement de son frère Charles-Albert de Bavière, qui
venait d'être élu empereur par la Diète, c'est à Lyon qu'il
fît tisser la célèbre Chapelle Clémentine, composée de cinq
chapes brodées aux armes des cinq évêchés dont il était
titulaire (1). Il fonde une manufacture de tapis sur le
modèle de la Savonnerie, à la tête de laquelle il place
le tapissier français Duvarlet. En 1749 c'est à l'orfèvre
parisien Roettiers qu'il commande un magnifique surtout
en argent représentant une chasse au cerf, entouré de
quatre flambeaux en forme de chênes '2). Ses collections,
qui furent dispersées à Paris après sa mort, le 10 décembre
(1) Cette « chapelle » fait aujourd'hui partie du trésor de la cathédrale de
Cologne.
(?) Duc DE LuYNES. Mémoires, juillet n49, IX, p. 14?,
V. ÉLECTORAT DE COLOGNE %
1764, contenafent un grand nombre de sculptures et de
peintures de l'école française parmi lesquelles on remar-
quait huit tableaux de chiens, gibiers et équipages de
chasse de son peintre favori Desportes.
Cette hégémonie de rartîfrançais se prolonge dans l'élec-
torat de Cologne jusqu'à la Révolution et même au delà.
En 1767, le chapitre de Saint-Géréonl^) commande à un
tapissier d'Aubusson : Jean Fourié, une tenture de l'/T/s/oiVe
de Joseph qui orne encore aujourd'hui le chœur de la
vieille église. Ce même Fourié avait exécuté précédem-
ment, en 1765, des tapisseries pour l'hôtel d'un patricien
colonais, le baron Geyr von Schweppenburg : elles sont
conservées aujourd'hui au musée d'art industriel {Kunst-
gewerbemuseum) de Cologne. C'est la preuve que les tapis-
series d^Aubusson étaient très recherchées en Allemagne.
En 1786, sous le dernier des électeurs de Cologne, Maxi-
milien, Tarchitecte Peyre, recommandé sans doute par
l'électeur de Trêves, est chargé de composer un projet pour
la chapelle du château de Bonn.
Ce qui est intéressant à noter, c'est qu'un contre-courant
tend à s'établir. En échange de nos artistes, Cologne nous
envoie les siens : le charmant peintre et dessinateur An-
toine de Peters, un des meilleurs élèves de Greuze (2) ; plus
tard les architectes Gau et Hittorf qui se firent l'un et
l'autre naturaliser Français (3). Peu de Parisiens se dou-
tent que nous devons à ces deux architectes rhénans Sainte-
Clotilde et Saint-Vincent de Paul, la gare du Nord et l'ar-
rangement actuel de la place de la Concorde.
Le sculpteur Jean-Jacques Flatters (4), né à Crefeld
(1) RATaoENs. Die Kunstdenkmâler der Stadt Kôln. Diisseldorf, 1911,
t. VII des Kunstdenkmâler der Rheinprovinz, p. 70.
(2) FoRTLAGE. Anton de Peters. E'm Côlner Maler des xviiite- Jahrhunderts»
Strasbourg, 1910.
(3) Merlo. Kôlnische Kunstler, 2* éd. Dusseldorf, 1895.
(4) R. EscHOLiER. Un sculpteur rhénan jpére d'un héros français. (Le
Figaro, 10 sept. 192?.)
60 l'art français sur le RHIN
en 1784, fut, grâce à la protection de Napoléon, admis
en 1806 dans l'atelier de Houdon et se fixa à Paris,
où il mourut en i845; c'est le père du colonel Flatters
qui devait tomber glorieusement au service de la
France.
De tous ces faits, comment ne pas conclure avec l'his-
torien allemand Renard, dont nous avons déjà si souvent
évoqué le témoignage, que l'électorat de Cologne a été,
pendant plus d'un siècle, une province de l'art français ?
Bonn, confessc-t-il en propres termes, était alors une colo-
nie d'artistes français : Bonn war damais eine Kolonie
franzôsischer Kunsiler .
*
* *
Ne faut-il pas élargir et généraliser cette conclusion
partielle? Ce qui est vrai de Bonn peut s'appliquer pareil-
lement à Coblence, à Mayence, à Mannheim. Ce n'est pas
seulement l'électorat de Cologne, c'est toute la Rhénanie
qui a été, au xviii*^ siècle, une colonie de l'art français.
Ne craignons pas de répéter cette vérité trop méconnue,
d'abord parce que c'est la vérité historique et ensuite parce
qu'elle est tout à l'honneur delà France. Depuis Louis XIV
jusqu'à Napoléon, la capitale artistique de la Rhénanie n'est
ni Berlin, ni Munich, mais Paris. C'est vers Paris et Ver-
sailles que regardent tous ces petits princes rhénans que la
Révolution allait balayer ; c'est à l'Académie royale d'ar-
chitecture qu'ils demandent conseil dans les cas difficiles
et il est rare qu'ils ne s'inclinent pas devant ses arrêts ;
c'est à des artistes et à des artisans français qu'ils confient
le soin de construire et de décorer leurs résidences.
Les voyageurs qui descendent le Rhin ne sont guère
sensibles qu'à la poésie romantique qui se dégage des
« dômes » et des « burgs » en ruines : ils ne se rendent pas
V. ÉLECTORÀT DE COLOGNE 6l
compte que ce pittoresque médiéval n'est pas toujours de
très bon aloi, que les imposantes cathédrales de Worms,
de Spire, de Cologne sont en grande partie modernes et
que beaucoup de repaires de burgravés sont moins véné-
rables qu'ils n'en ont l'air. S'ils savaient se dégager des
admirations traditionnelles, qui sont parfois convention-
nelles, ils découvriraient avec surprise que ce Rhin
légendaire est jalonné de monuments souvent gran-
dioses ou charmants de l'art français du xviii*' siècle.
Robert de Cotte, Boffrand, Jacques-François Blondel,
Peyre et leurs élèves ont égrené le long du fleuve des
répliques de Versailles, de Marly et de Trianon. A
Strasbourg, le palais Rohan se tapit au pied de la cathé-
drale en grès rose. A sa suite défilent les palais électoraux
de Mannheim, de Coblence, et de Bonn, Brûhl et son escalier
rococo, Benrath et son ordonnance de pur style Louis XVI,
tout un siècle d'architecture française. Victor Hugo avait
encore plus raison qu'il ne le pensait lorsqu'il écrivait en
1842 : Le Rhin est beaucoup plus français que ne le
pensent les Allemands.
L'art français ne s'arrête pas d'ailleurs à la barrière du
Rhin. Les cours de Stuttgart et de Munich, de Cassel et de
Berlin sont aussi francisées que les cours rhénanes de
Mannheim, deMayence, de Coblence ou de Bonn. Le pavil-
lon à'Amalienburg, près de Munich, le Sans-Souci de
Frédéric II témoignent de l'étendue de ses conquêtes. Et
plus loin encore la Pologne, la Russie rendent hommage à
la supériorité du goût français. Au point de vue intellec-
tuel et artistique, l'Europe tout entière n'était à cette
époque qu'une plus grande France.
Certains historiens allemands, désireux de réduire la
portée de ce grand fait de l'histoire de la civilisation, décla-
rent que cet art de cour, patronné par des souverains qui
avaient perdu tout sentiment national, n'a exercé qu'une
action superficielle et passagère : l'art français est une
62 l'art français sur le RHIN
plante étrangère artificiellement acclimatée qui n'aurait pas
su pi-eiidre racine sur les rives du Rhin. Si l'Allemagne
avait connu à côté de cet art de cour importé de l'Occident
un art national, cette objection pourrait avoir quelque
valeur. Mais où est cet art populaire ? La vérité est que
l'Allemagne du xviii"^ siècle n'a pas comiu d'autre art que
l'art français et que cet idéal a pénétré très profondément
dans la nation, l'arcliitecture bourgeoise imitant, comme
toujours, l'architecture princière. Les palais électoraux
construits par des Français sur les bords du Rhin ont servi
de modèles aux maisons des simples bourgeois comme aux
châteaux et aux hôtels des grands seigneurs. Il est permis
de déplorer cette éclipse de l'art allemamd. Mais il n'est
pas possible à un observateur de bonne foi de contester
ce fait surabondamment démojitré.
D'autre part, cette iniluence française n'a pas été si
éphémère qu'on veut ibi en le prétendre. Elle ne s'arrête pas
à la Révolution. Bien loin de là : vingt ans de domination
française sous la Révolution et l'Empire n'ont fait que con-
solider cette pénétration. Le grand poète Henri Heine, né
à Dûsseldorf sous le régime français, a exprimé plus
d'une fois le culte des Rhénans pour Napoléon. Quand
l'empereur revint de l'île d'Elbe, les cocardes tricolores
surgirent par milliers à Spire, à Mayence, à Trêves, à Aix-
la-Chapelle. « Beaucoup de gens, proteste Stein avec
indignation, montrent une joie indécente. » Un fonction-
naire prussien avouera plus tard : « Il n'y a plus ici un
homme qui ne remerciât Dieu à genoux si le pays retour-
nait sous la domination française. »
Le fatal traité de i8i4 qui livra la Rhénanie à la Prusse
a faussé pour un temps l'histoire de ce pays. La P;russe a
travaillé à détacher la Rhénanie de la France, à l'orienter
de force vers Berlin. Ce n'est pas sans peine qu'elle est
parvenue à ses fins. Il lui a fallu, de l'aveu de Guillaume 1*^%
soixante-dix ans pour effacer les souvenirs de vingt ans de
V. ÉLECTORAT DE COLOGNE 63
domination française et les Rhénans qui n'ont pas oublié
leur passé se nomment encore aujourd'hui Musspreussen,
c'est-à-dire Prussiens malgré eux.
Il s'agit de savoir maintenant si cent ans de domination
prussienne prévaudront contre des siècles de culture latine.
Le traité de Versailles n'a malheureusement pas annulé les
désastreux effets du traitéde Paris. Mais si les alliés n'ont pas
su expulser la Prusse à tout jamais du territoire de la rive
gauche du Rhin, il nous appartient au moins de raviver
après la victoire le souvenir de cette intime collaboration
entre la France et la Rhénanie, qui est dans la vraie tradi-
tion de ce pays. L'exposition d'art français organisée en
1921, à Wiesbaden, et pour laquelle la grande-duchesse de
Luxembourg avait gracieusement prêté son palais de Bie-
brich, est l'heureux prélude de cette politique de rappro-
chement intellectuel et artistique qui ne peut être que
féconde. Il importe de persévérer dans cette voie et de
démontrer à la Rhénanie, trop longtemps condamnée à
servir de glacis à la forteresse prussienne, qu'il serait à la
fois plus noble, plus avantageux et plus conforme à sa
mission historique de redevenir un trait d'union entre deux
grandes civilisations.
DOCUMENTS
I. Alsace
I. Palais de Saverne et de Strasbourg
1. — DOCUMENTS SUR ROBERT DE COTTE
Wleaghels au duc d'Antini^l
Rome, 13 novembre 1727.
M. le Cardinal de Rohan ayant choisi le sieur de Gourlade, fils de son
maître d'hôtel, qui est pensionnaire du Roy, pour conduire le palais
qu'il va faire construire à Strasbourg sur les desseins de M. de Cotte,
il m'a prié de demander son congé à Votre Grandeur.
Le cardinal de Rohan à R. de Cotte.
A Versailles, le 23 juillet 1728.
Vous trouverez cy-joints, M., des plans que M. Carbonnet m'a adressés
pour vous remettre avec une lettre de lui qui les accompagne; il s'agit
de masquer ce grand vilain mur près mon cabinet nouveau qui était
caché cy-devant par la glacière. Je ne vous suggéreray rien, je n'ap-
puieray point sur le plan de M. Carbonnet; je m'abandonne à vos
lumières avec la confiance d'un homme qui vous est, M., bien vérita-
blement attaché.
(1) Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome, VII,
p. 130.
66 l'art français sur le rhin
Le cardinal de Rohan à R. de Cotte.
Saverne, ce l" octobre (1730).
Quand j'ay voulu examiner, mon cher Monsieur, le plan que vous
avez eu la bonté de faire pour le pavillon des bains à la place de la
grille auprès de la glacière, il m'a paru que l'avance où est la cage de
l'escalier et qui prend sur l'allée qui est en face de mon cabinet
produirait un effet peu agréable et que dans l'espace de dix toises que
donne la largeur de l'allée et de la terrasse en y ajoutant si on voulait
quelques pieds de chaque côté, on pourrait exécuter ce que nous avions
projette. J'ay engagé le S' Chevalier, venu en ce pays-cy muny de
votre recommandation, à entrer dans mon objet en suivant votre plan
ou pour mieux dire les idées que nous avions eues en formant ce plan.
Il a déféré à mes désirs sur ce que je lui ay dit que mon intention
était de vous renvoyer le tout. M. Carbonnet de son côté, dès que votre
nom a été mis en jeu, n'a rien trouvé de difficile.
Je vous envoyé donc led. plan. Vous avez conservé copie du vôtre.
Je vous supplie d'examiner le nouveau, de voir si les proportions y sont
gardées, si le perron est bien, etc. La distribution me plait assez, à
une chose près qui est de mettre les eaux à droite à cause du réservoir
et par conséquent Tescalier à gauche. M. Carbonnet joint au projet du
S"" Chevalier le plan du lieu coté. Quand vous aurez donné votre coup
d'oeil, je seray plein de confiance.
Saverne devient magnifique. Le salon faisant façade à ceux qui
arrivent de Strasbourg fait un bel ornement. Il m'a paru un peu lourd.
Les pilastres ont trois pieds selon votre premier plan ; ils n'en ont que
deux et demy selon un autre plan qui vous a été envoyé par M. Car-
bonnet et que vous luy avez renvoyé avec approbation, dit-il, à la
balustrade près. Les d. pilastres sont cotés trois pieds : c'est chose faite.
Je ne vous en parle qu'excité par un peu de curiosité.
Mandez-nous comment vous vous portez, M., et conservez un peu
d'amitié pour qui peut vous dire avec vérité qu'il en a beaucoup pour
vous.
(1) Cf. les Souvenirs du marquis de Valfons. Paris, 1860. « Je soupais sou-
vent chez M. le cardinal de Rohan qui avait un étal de souverain et où toute
la province se rassemblait. »
DOCUMENTS 67
Copie des tableaux faits pour Son Éminence
Monseigneur le Cardinal de Rouen (sic) (i)
Le premier tableau en ovale d'après La Fosse représente Hercule
entre la Vertu et la Volupté.
Le second d'après Coypel représente Psiché et l'Amour qui fuit.
Le troisième représente Alceste qui est reconnue par son mary au
sortir des Enfers, d'après Coypel.
Le quatrième représente Psiché tenant une lampe qui vient voir
l'Amour endormy (2).
Tous ces tableaux sont en ovale.
Le Prince Frédéric de La Tour d' Auvergne (3)
à B, de Cotte
Strasbourg, 0 avril 4728.
J'ay reçu, M., la lettre que vous m'avez fait l'amitié de m'écrire avec
le plan pour nos tribunes; je ne sçaurais trop vous témoigner ma
reconnaissance de toutes les bontés que vous avez. Nous exécuterons
incessamment les deux tribunes. Pour ce qui est de l'allongement du
chœur, cela ne sera pas sitôt fait.
M. le Maréchal du Bourg m'a chargé de vous faire mille et mille
compliments. Il a voulu voir les plans que vous m'avez envoyés et
comme vous savez que sa folie est d'être architecte, il prétend que
vous avez trop échancré la partie du chœur qui s'allonge vers la nef et
qu'ainsy cela ne donnera guère plus de place pour les jours de céré-
monies où le chœur est rempli. Je luy ay fait voir son ignorance en luy
faisant remarquer : l» que sa forme en était plus gracieuse et qu'outre
(1) Cette orthographe fantaisiste est conforme à la prononciation da temps.
On disait Rouan pour Rohan, Nouailles pour Noailles.
(2) Ce quatrième tableau était également d'après Coypel.
(3) Le prince Henry Oswald de La Tour d'Auvergne, archevêque de Vienne,
était grand doyen du chapitre de Strasbourg. C'est ce prélat qui, devenu
cardinal, commanda en 1740 à Michel- Ange Slodtz le magnifique tombeau de
son prédécesseur au siège de Vienne, l'archevêque de Montmorin.
68 l'art français sur le RHIN
cela elle était nécessaire pour laisser le passage à la descente qui va à
une chapelle sous le chœur où on va le vendredy saint.
J'envoyay, M., il y a huit ou dix jours à un nommé M. du Maupin les
mesures justes et exactes des trois cheminées de marbre pour mettre
dans le Doyenné et il a dû vous les porter comme nous en étions
convenus et vous prier en même tems de vouloir bien les ordonner et
en faire les marchés. Je lui marquay que dans le moment que je sçau-
rais ce qu'il faut, j'enverrais l'argent pour les payer : c'est de l'argent
du Chapitre et il est tout prêt.
Je vous renouvelle encore, M., mes remerciemens de toutes les
peines que nous vous donnons et de toutes vos bontés que je n'ou-
blieray de ma vie. Le Chapitre etmoy seraient trop heureux de trouver
les occasions de vous en témoigner la vive reconnaissance que nous en
avons. Je vous prie d'en être bien persuadé et de croire que vous n'avez
point de serviteur qui vous soit plus attaché quemoy et qui vous honore,
M., plus parfaitement que je fais.
Le Prince Frédéric d'Auvergne.
Marché pour trois cheminées au doyenné de Strasbourg
Jay (sic) soussigné Antoine Gisquay, maître marbrier demeurant rue
de Verneuil à Paris, promets à Monseigneur le prince Frédéric faire et
parfaire pour Son Altesse les trois cheminées de marbre pour son hôtel
de Strasbourg suivant les desseins de Monsieur de Cotte, Intendant et
premier architecte des Bâtimens du Roy.
Sçavoir la cheminée du Sallon de marbre de Serencolin de 4 pi. 1/2
dans œuvre et de 3 pi. 8 po. sur la tablette ornée d'architecture avec
des consoles sur les angles et tablette chantournée avec le foyer tout
d'une pièce appliqué sur une pierre de liais pour la somme de quatre
cent cinquante francs, cy 450 1.
Plus un chambranle de marbre de griotte pour la cheminée de la
chambre à coucher de 3 pi. 1/2 dans œuvre. 4 pi. 4 po. hors œuvre et
3 pi. 4 po. sur la tablette ornée [d'architecture et sculpture, la tablette
chantournée et le foyer tout d'une pièce appliqué sur une pierre de
hais pour la somme de trois cent cinquante livres, cy . . . 350 l.
Plus la cheminée du cabinet de marbre de vert de Campan, de 3 pi. 4 /2
dans œuvre, 4 pi. 4 po. hors œuvre, 3 pi. 4 po. sur la tablette ornée
d'architecture et sculpture, la tablette chantournée et le foyer d'une
DOCUMENTS 69
seule pièce appliqué sur une pierre de liais pour la somme de trois cent
cinquante livres.
Toutes lesquelles sommes se montent ensemble à onze cent cin-
quante livres, cy 1.150 1.
Lesquels ouvrages je promets livrer à la fin du mois de juillet de la
présente année.
Fait double à Paris le lei* mai 1728.
GlSQUAY.
Le Prince Frédéric d'Auvergne à R. de Colle
Strasbourg, le 12 may 1728.
J'ay reçu hier, M., la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire
avec les marchés des cheminées de marbre du Doyenne. Je ne sçaurais
trop vous remercier de toutes les peines que vous voulez bien prendre,
mais je vous avoue que je suis très embarrassé et en voicy la raison.
J'ay cru lorsque je vous en parlay à Paris que vous m'aviez dit que
cela ne monterait qu'à cinq ou six cents francs. Je Tay dit de même au
Chapitre en arrivant, de sorte que je n'oserais aujourdhuy lui montrer
le Mémoire qui monte à onze cent cinquante livres : car vous sçavez
que Monsieur Chapitre est un animal singulier.
S'il était possible de les faire d'un marbre moins cher, cela m'épar-
gnerait deux cens écus que je serais obligé de tirer de ma poche pour
le surplus. Si cependant les choses étaient trop avancées, il faudra y
passer et je ne vous en auray pas moins d'obligation de toutes vos
bontés.
Mémoire pour M. de Colle au sujel de rhô Ici du
Grand Dot/en de Strasbourg
On est embarrassé de savoir si on relèvera le terrain du jardin à la
hauteur que M. de Cotte avait réglée ou si on ne le haussera point pour
les raisons déduites dans le Mémoire cy-joint.
70 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
M. l'Archevêque de Vienne proposerait pour concilier la difficulté
par rapport aux caves qu'on élevât le jardin en face du Salon jusqu'à
la rue Brûlée, à la hauteur du Salon à la réserve d'une couple de
marches afin que des fenêtres du Salon où l'on se tiendra presque
toujours on ne se casse pas le nez contre le mur... et que dans les deux
parties restantes du jardin à droite et à gauche on plantât contre le
mur de la rue Brûlée des petits bosquets pour cacher l'irrégularité du
mur ; et qu'on imaginât dans les parties restantes à droite et à gauche
quelques petits parterres gracieux dans lesquels on descendrait par des
marches de gazon.
Le comte de Hanaii à R. de Coite
A Bouxviller, le l" juillet 1728.
M., je n'aurais pas différé si longtemps à vous rendre grâce des plans
que vous m'avez fait remettre pour la maison que je songe à faire bâtir
dans la ville de Strasbourg, si je n'avais pas attendu le départ de
M. l'abbé de Chavanne pour les renvoyer. Je les ai trouvés tous trois
d'un grand goût ; mais comme il y a de la difficulté à acquérir la
maison voisine et que j'ai vu par la belle distribution que vous avez
donnée à tous trois que je trouvais assés de logement sur mon terrain
propre, je me suis déterminé pour le plus petit.
Vos projets m'ont même fait naître l'idée de pouvoir aussi à celui-ci
faire l'entrée de la maison au milieu et rendre par là la façade du côté
de la place de même que celle du côté de la rue plus grande et mettre
tout le bâtiment sous un même toit. J'ai fait faire dans ce goût-là deux
différents desseins que je prens la liberté de vous joindre à ces mots
avec le petit plan, vous suppliant de vouloir les examiner et de me dire
ce que vous en pensez. Je soumets toute la décision entièrement à vos
lumières. M. l'abbé de Chavanne quia bien voulu se charger du paquet,
vous expliquera le reste de bouche sur ce que nous avons raisonné
ensemble.
Je suis. M., tout confus de ce que je vous importune encore une
fois ; mais la manière obligeante avec laquelle vous en avez usé jusqu'ici
me fait espérer que vous me ferez le plaisir de mettre encore la der-
nière main à cet ouvrage et d'être persuadé de la passion ardente avec
laquelle j'ay l'honneur d'être, M.,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Le comte de Hanau.
DOCUMENTS 7I
Le comte de Hanau à /?. de Cotte
A Philippsruhe, le 28e de juin 1729.
M., Il y a longtemps que je me serais donné l'honneur de vous écrire
pour vous remercier des beaux plans que vous vous êtes donné la
peine de dresser l'année passée, si la crainte de vous interrompre
dans vos occupations ne m'en avait pas empêché. Bien loin d'avoir
oublié les obligations que je vous en ai, je songe depuis longtemps à
m'en acquitter en quelque manière. C'est dans cette intention que
M. de Berckheim aura l'honneur de vous présenter de ma part une
cassette remplie de plusieurs pièces de porcelaine fine de la fabrique
de Dresde, laquelle quoique n'égalant point le prix d'un aussi bel
ouvrage quel est le vôtre, je vous prie d'agréer comme une petite mar-
que de la reconnaissance qui m'en demeure.
Au reste. M., ai-je différé l'exécution du dessein que j'avais formé de
bâtir un nouvel hôtel à Strasbourg à cause de l'issue peu favorable
d'un procès d'importance dont j'avais destiné le provenu pour l'entre-
prise de ce bâtiment.
Le Chevalier à R. de Cotte (^)
Strasbourg, 28 8'"-e i730.
M., Sur la permission que vous avez eu la bonté de me donner, j'ay
l'honneur de vous rendre compte de la conduite que j'ay tenue depuis
que je suis arrivé icy.
M. de Brou (2), duquel j'ay entièrement la protection et qui prétend
d'une façon ou d'autre contribuer à ma fortune, a eu la bonté de me
présenter luy-même à tous les principaux de la ville ; après quoy il m'a
procuré le prince de Birkenfeld pour luy faire les projets d'un hôtel
sur un terrain à luy appartenant situé sur le quay que l'on appelle Bir-
kenfeld vis-à-vis de l'Intendance. Ce terrain est très irrégulier; cepen-
dant j'y ai fait tant d'attention que je suis parvenu à faire un plan qui
a plu au prince, à la princesse et tous les seigneurs qui l'ont vu. Cet
(1) Cette lettre a été reproduite par A. Hallays : A travers V Alsace, p. 267.
(2) Paul-Esprit Feydeau de Brou, intendant d'Alsace, termina sa carrière
en 1761 comme garde des Sceaux. Il mourut Tannée suivante en 1762. Son
tombeau, sculpté par Vassé, fut exposé au Salon de 1771.
72 l'art français sur le RHIN
ouvrage m'a attiré une certaine confiance de leur part qui les a engagés
de m'arrêter icy.
Après ce projet j'en ai fait pour M. le presteur sur deux terrains dif-
férents desquels j'attends de luy le choix de Tun ou de l'autre pour
l'exécution.
M. de Brou a eu la bonté de me mener à Saverne et m'a fait l'hon-
neur de me présenter à Monseigneur le Cardinal. Je luy montrai les
plans du prince de Birkenfeld desquels il fut très content. Il engagea
M. l'abbé de Chavanne à me faire voir en détail son palais dans lequel
je trouvai de si belles choses, intérieur et extérieur, que je demandai à
Son Altesse la permission de revenir pour en conserver un plus ample
ressouvenir. Je retournai un second voyage avec M. de Brou. Son
Altesse me fit voir un projet de vous pour le pavillon de ses bains ; son
intention était que ce pavillon ne fût que de la largeur de l'allée. Elle
m'engagea jointement avec M. de Brou d'en faire un projet suivant ses
intentions. Je le fis dans son serre-papier par obéissance et non pour
vous déplaire, ne croyant pas même que Son Altesse s'arrêtât en aucune
façon à ce projet. J'ai été très surpris quand Elle m'a fait l'honneur de
me dire qu'Elle vous l'avait envoyé. Je prendray la correction que vous
voudrez bien prendre la peine de faire sur ce plan comme une marque
de bonté de votre part à laquelle je me feray honneur de me conformer,
ayant une vénération parfaite pour tout ce qui viendra de vous et pour
principal but l'ambition de faire exécuter quelques-uns de vos projets
et vous en rendre un exact et fidèle compte.
Son Altesse m'a remis vos plans pour son Palais Eptscopal lesquels
j'étudie tous les jours pour lors de l'exécution être en état de les faire
construire aussy parfaitement qu'ils le méritent.
M. le comte de Hanau allait faire exécuter un plan que M. Perdigué,
second ingénieur, luy avait fait. Tous ces seigneurs s'y sont charitable-
ment opposés et Mgr le Cardinal dit en pleine compagnie et devant l'in-
génieur que ce plan n'avait ni rime ni raison, que s'il le faisait exécuter,
il y ferait descendre la police. Il eut en même temps la bonté et M. le
maréchal de me présenter à M. le comte pour lequel je vais faire
bâtir ; mais il n'est point encore déterminé sur le plan ; je le mettray
toujours dans le bon chemin.
Monseigneur l'Archevêque de Vienne m'a donné ordre de faire un
plan pour allonger à ses frais, du consentement des chanoines, le chœur
de la cathédrale. Le S» Saussardm'a remis un plan de vous qui ne peut
s'exécuter, ne vous ayant pas envoyé le plan de l'église. Les escaliers
viennent directement donner dans un pilier et boucher la porte de la
sacristie, comme il se voit par le plan cy-joint (1). J'ay fait faire en
(1) A la fin de la lettre est dessiné, en effet, un croquis de rallongement du
chœur.
DOCUMENTS ^3
planches rallongement du chœur, les marches et les autels comme ils
sont marqués sur votre plan... Mgr le Cardinal qui doit officier le jour
de la Toussaint en verra mieux l'effet que sur le plan. Si ces messieurs
veulent augmenter ou diminuer sur ce projet, je leur laisseray faire
par qui bon leur semblera.
Si vous voulez, M., contribuer à ma fortune, vous obligerez un
homme d'honneur qui sera toute sa vie reconnaissant. Vous n'avez qu'à
prendre la peine d'écrire : Je connais Chevalier; c'est un bon sujet.
M. de Brou va à Paris qui vous en marquera sa reconnaissance.
Massol à R. de Cotte
Strasbourg, ce 26 ^^^'^ 1731.
M., L'espérance où j'étais de partir de Strasbourg environ le quinze
de ce mois comme on s'y attendait est cause que j'ai négligé d'avoir
l'honneur de vous écrire pour vous assurer de mes très humbles res-
pects et pour vous informer de ce qui se passe au Palais Episcopal.
Toute la démolition est faite, en sorte qu'il y a suffisamment de la
place pour bâtir le principal corps de logis du côté de l'eau. On finit
actuellement à ôter les décombres que je fais reprendre dans la super-
ficie de la cour pour l'élever. Une enceinte de planches que j'ai fait
faire ferme le passage public du quay et nous laisse la liberté de tra-
vailler sans estre interrompu de personne.
Le port sur le quay vis-à-vis de l'évêché par sa situation était presque
inaccessible pour l'arrivée des bateaux qui doivent nous apporter les
matériaux tant par sa hauteur que parce que les bateaux ne pouvaient
pas aborder au pied du mur de quay. J'ay fait planter des petits pieux
sur lesquels j'ai fait faire un plancher de trois toises de large avant
dans la rivière et de quatorze toises de long — de manière que tous les
bateaux pourront aborder et^décharger avec facilité en tout temps. Vous
jugez bien, M., que je n'ai rien fait de tout cela qu'avec ordre de M. le
maréchal du Bourg à qui S. A. E. a donné pouvoir de décider toute
chose qui regarde le bâtiment du palais : cela me sera d'autant plus
commode que les difficultés imprévues seront levées en même temps
qui seront arrivées.
J'ai fait fouiller un trou sur l'emplacement du mur de face du côté de
l'eau pour connaître la situation du terrain avant de commencer à bâtir
74 L*ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
ainsy que vous me l'avez ordonné. A huit pieds de profondeur, je me
trouve 15 pouces dans l'eau et sur la terre glaise : il faut que j'équipe
un corps de chapelet pour tirer l'eau à mesure qu'on y travaillera.
J'ai fait faire aussi un engard {sic) de 3 toises de large et 8 toises et
demi de long pour mettre à couvert les tailleurs de pierre qui travaille-
ront l'architeclure.
M. le grand maître de S. A. E. est venu voir aujourd'hui l'évéché ; il
a trouvé que tout était bien entendu et en bon ordre.
M. Carbonnet doit partir la semaine prochaine.
Le marché du moellon et de la pierre de taille de Soulce est fait avec
le S"^ Ponse, entrepreneur de fortification... Nous sommes après à rece-
voir les soumissions des entrepreneurs pour la maçonnerie qui regarde
la main d'œuvre seulement.
2. - DOCUMENTS SUR ROBERT LE LORRAIN
Lettre de J.-B. Lemoyne à Vabbé Le Lorrain,
fils du sculpteur (i)
Paris, 48 juillet 1748.
Que nous sommes malheureux de ne point jouir des chefs-d'œuvre
de ce savant artiste! Nous y verrions ce que peut un habile maître à
l'abri de toute inquiétude, caressé, encouragé par un grand qui lui
donne toute sa confiance et la liberté de faire et refaire des projets jus-
qu'à ce qu'il soit content, tout occupé d'immortaliser son nom sans
penser que le prix de l'ouvrage ne le récompensera pas et que sa
famille sera dans la disgrâce s'il y emploie plus d'un certain tems.
M. Le Lorrain, en travaillant pour le magnifique et grand cardinal de
Rohan à son palais de Saverne, était comme dans un lieu enchanté, en
pleine liberté d'esprit, non pour s'y amollir, mais pour donner par une
étude assidue toute la force, l'enthousiasme et la réflexion que lui sug-
géraient ses heureux talens pour les bas-reliefs et figures demi-ronde-
bosse. Dans la composition de ceux qu'il a exécutés dans ce palais, il
fait voir de belles masses de lumières et d'ombres, un dessein pur et
bien rendu pour le caractère de chaque âge, des attitudes nobles et
parlantes, beaucoup d'expression dans les têtes, un drappé grand...,
une touche franche aux grouppes des premiers plans et vague sur les
(1) Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts.
DOCUMENTS 75
fonds pour exprimer la distance d'un objet à l'autre en suppléant à la
monotonie de couleur (défaut inséparable des matières qu'emploie le
sculpteur) par une idée intelligente de la perspective aérienne.
L'hommage que je rends à M. Le Lorrain sur ses ouvrages de Saverne
est fondé sur le témoignage d'habiles artistes qui les ont vus et de plu-
sieurs personnes de distinction qui ne cessent d'en faire des éloges : il
ny a qu'un cri sur ce sujet dans toute V Alsace. J'ai eu l'avantage d'en
voir les desseins qui sont d'une grande beauté.
Gougenot. Vie de M, Le Lorrain, sculpteur (1761).
Le Cardinal de Rohan le choisit pour embellir son palais de Saverne
conjointement avec W^ Anguier, Goyzevox (1) et Champagne. Mais la
partie la plus éminenle lui fut dévolue : il eut à lui seul la décoration
du grand salon à colonnes qu'on nomme le salon de la Reine. Il y fit
quatre groupes de ronde-bosse sur les corniches, quatre bas-reliefs sur
les portes et quatre médaillons avec des trophées.
Il fut chargé ensuite de faire la sculpture qui décore l'extérieur du
palais épiscopal de Strasbourg. Il ne put cependant terminer entière-
ment la décoration de ce palais ; une attaque d'apoplexie dont il fut
surpris en ^738 l'en empêcha. Un autre statuaire l'a achevée sur ses
modèles ; mais la différence du cizeau n'est que trop sensible.
Catalogue des ouvrages de M. Le Lorrain à Saverne et à
Strasbourg par son fils l'abbé Le Lorrain, docteur en
Sorbonne (2).
Au château de Saverne
Dans le salon de quarante trois pieds de hauteur voûté en dôme et
décoré de colonnes d'ordre corinthien.
Sur l'entablement, quatre Vertus plus grandes que nature, représen-
tées par la Vérité, la Religion, la Charité et laVigilance, Elles sont
accompagnées de leurs génies, soutenant des draperies.
(1) Gougenot fait erreur, Les travaux de Coyzevox, à Saverne, datent des
années 1667 à 1671 : ils sont donc antérieurs au cardinal de Rohan. Ils avaient
été commandés par son prédécesseur le cardinal François Egon de Furs-
tenberg.
(2) Cette liste est reproduite à la suite de la Vie de Le Lorrain, par Gouge-
not. Le manuscrit est conservé à la bibliothèque de l'Ecole des Beaux* Arts.
^6 l'art français sur le RHIN
Sur le même entablement, au-dessus des fenêtres, un groupe d'en-
fants représentant des génies, badinant avec des trophées de guerre.
Aux quatre pendentifs du même salon, les quatre vertus cardinales :
la Prudence, la Justice, la Force, la Tempérance. Chacune de ces Vertus
est accompagnée de trois à quatre génies.
Quatre bas-reliefs en dessus de porte de cinq pieds sur quatre.
Le premier représente Apollon poursuivant Daphné avec le fleuve
Pénée.
Le deuxième Mercure qui apporte la lyre à Apollon pendant qu'il
garde le troupeau d'Admète.
Le troisième Midas jugeant entre Apollon et Pan.
Le quatrième le supplice de Marsyas.
Un autre bas-relief en dessus de porte, représentant deux enfants
ornés de trophées de guerre.
Aux clefs des fenêtres quatre têtes représentant les Quatre saisons
avec leurs attributs.
A droite et à gauche du perron qui descend au jardin, deux sphinx
plus grands que nature, l'un coëfféà la grecque et l'autre à l'allemande.
Tous les ouvrages de sculpture de ce château ont été finis en 1723.
Au palais épiscopal de Strasbourg
Sur la façade de la principale entrée, aux clefs des arcades des fenêtres
seize têtes de prophètes et de prophétesses de trois pieds de hauteur.
Sur l'entablement à trente-deux pieds de hauteur, deux figures de
huit pieds et demi de proportion, l'une représentant la Beligion et
l'autre la Clémence^ chacune avec ses attributs.
Sur les côtés du même entablement sont quatre groupes d'enfants de
cinq pieds de proportion, deux desquels ont rapport à la Religion et k\ï[
Clémence et les deux autres au Cardinalat. Ils sont accompagnés de
deux cassolettes.
Aux clefs des fenêtres, sur le fond de la cour, neuf têtes coëffées à la
grecque et à la romaine.
Sur la corniche du fronton, deux figures de huit pieds neuf pouces
représentant l'une la Force, l'autre la Prudence.
Au fronton de la chapelle, deux anges en adoration au pied d'une
croix, exécutés d'après les modèles faits par M. Le Lorrain.
A un autre fronton, une Charité et ses attributs, exécutés pareille-
ment d'après ses modèles.
A d'autres frontons, les armes du Roi, celles de l'Évêché et des tro-
phées.
Les ouvrages de ce palais, qui sont entièrement de la main de M. Le
Lorrain, étaient tous finis en 1737.
t)OCUMBNTS 5?
DESCRIPTION DES OUVRAGES DE SCULPTURE
Que feu M. Le Lorrain, professeur de l'Académie Royale de Peinture et de
Sculpture, a fait pendant plusieurs années au Château de Saverne, finis en
1723 et au Palais Épiscopal de Strasbourg, en 1735, 36 et 37 : ouvrages
dignes d'être admirés et d'honorer la mémoire de ce grand homme (1).
Au Château de Saverne
Dans le salon à colonnes, d'ordre corinthien, voûté en dôme de
42 pieds de hauteur ;
Sur l'entablement, sont quatre Vertus, plus grandes que nature,
représentées par La Vérité, La Religion, La Charité et La Vigilance^
accompagnées de leurs génies, et attributs. Soutenant des drapperies.
Sur ledit entablement au-dessus des fenêtres, un grouppe d'enfants,
représentant des génies badinant avec des trophées de guerre.
Aux quatre panaches (sic) (2), les quatre Vertus cardinales, La Pru-
dence, La Justice, La Force et La Tempérance, demie ronde bosse,
chacune accompagnée de trois et quatre génies, dont les caractères
sont au-dessus de toutes expressions.
Quatre dessus de porte, basreliefs traités avec grand art de î) pieds
sur 4. Le premier représente Apollon qui poursuit Daphnée, laquelle
implore le secours du fleuve Pénée au moment de sa métamorphose.
Le second, Mercure quiaportelalire à Apollon, gardant les troupeaux
d'Admète.
Le troisième, le roy Midas, jugeant le différend entre Apollon et
Pan.
Et le quatrième, le satire Marsias écorché vif par Apollon.
Un autre dessus de porte, basrelief représentant deux enfans ornés des
trophées de guerre.
Aux clefs des fenêtres sont quatre têtes qui représentent les quatre
saisons avec leurs attributs.
A droite et à gauche du perron qui descend au jardin, deux sphinx
plus grandes que nature, très estimées, l'une coiffée à la Grecque et
l'autre à l'Allemande.
(1) Archives départementales du Bas-Rhin. G. 2.262. Nous devons la copie
de ce document qui n'a été publié que partiellement dans les Mémoires
inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie Royale de
peinture et de sculpture à l'amabilité de M. Eckel.
(2) Pendentifs.
78 l'art français sur le RHIN
Au Palais Épiscopal de Strasbourg
Sur la façade de la principale entrée, aux clefs des arcades des fenê-
tres, sont des têtes de prophètes et prophétesses : Moyse dans le carac-
tère duquel on voit un grand et profond législateur : David repentant
de son crime; Isaïe, Jérémie, Baruch, Daniel, Ézéchiel, Élie, tous avec
des caractères qui expriment parfaitement l'esprit dont ils étaient ani-
més. Aaron, Josué, le Pharisien, Anne fille de Phanuël, Marie sœur de
Moyse, une jeune juive, Judith triomphante d'avoir couppé la tête à
Holoferne; et Hélène, mère de l'empereur Constantin, celle qui fit bâtir
le temple du Saint-Sépulchre.
Sur l'entablement et directement à plomb des colonnes de la princi-
pale porte d'entrée : deux figures drappées de 8 pieds 1/2 de proportion,
d'une grande beauté, posées à 32 pieds de hauteur non compris les
figures ; à droite c'est la Religion demi-assise sur un crouppe de nuée,
voilée de sa drapperie, la tête et le bras droit vers le ciel, qu'elle
regarde avec ardeur. Embrassant à sa gauche une croix, du même
côté est un enfant qui montre le livre de l'Évangile.
A gauche, c'est la Clémence demi assise sur un lion, la tête et les
yeux un peu baissés, ses cheveux liés avec une boucle relevée par
derrière, tenant un dard de sa main gauche, appuyée sur ses genoux,
et la droite posée sur la tête du lion, la férocité duquel paraît être
adoucie par un enfant, qui de la main gauche luy tient la crinière et
présente la droite à la Clémence, en se regardant mutuellement l'un et
l'autre.
A la droite de la Religion sur les piédestaux de la balustrade à 30 pieds
de hauteur.
1° Un grouppe composé de deux enfans de 5 pieds sous un palmier,
dont un tient le calice et l'autre est à genoux, tenant une main sur sa
poitrine, en adoration ; l'autre main s'appuie contre le palmier, a côté
duquel est un bénitier et un livre.
2° Une cassolette d'un très beau goût antique, ovale de 3 pieds sur 2.
50 Un autre grouppe de trois enfans sous un palmier, dont un se
coiffe d'un grand chapeau de cardinal, pendant que les deux autres
s'efforcent à soutenir une drapperie qui tient audit palmier dans lequel
est une croix.
A la gauche de la Clémence sur les piédestaux de la balustrade à la
susdite hauteur de 30 pieds.
1° Un grouppe de deux enfans de 5 pieds de proportion sous un pal-
mier entrelassé d'un grenadier, représentant l'amitié par leur carac-
tères, on voit une mutuelle correspondance d'affection et encore par des
présens que l'un offre à l'autre, comme pour le secourir dans la disgrâce.
DOCUMENTS 79
2" Une cassolette antique semblable à la précédente.
3° Un grouppe composé de trois enfans sous 'un palmier. L'un tient
une mître pendant que les deux autres ingénieusement gardent la
crosse et l'épée adossés audit palmier.
Dans le tympan du fronton circulaire du pavillon à la droite du palais.
La Charité vêtue d'une drapperie tenant un cœur de sa main gauche,
et de la droite un enfant qui tette pendant qu'un autre suce son propre
doigt. (Exécuté par Les. Paulé, d'après le modèle de M. Le Lorrain.)
Aux clefs des neuf fenêtres sur la façade du fond de la cour sont des
têtes d'hommes et de femmes parfaitement bien caractérisés de diverses
coëffures, grecques et romaines.
Sur le tympan du fronton triangulaire sur l'avant corps de la susdite
face, sont les armes du roy ornées de trophées d'armes, et de deux
enfans, l'un sert de suport au cartel, et l'autre de Renommée sonnant
la trompette.
Sur la corniche dudit fronton deux figures de 8 pieds 3/4 de propor-
tion à demi couchées, l'une représentant la Force, tenant un faisceau
d'armes, et l'autre la Prudence, par le miroir et le serpent.
Au fronton de la façade côté de la rivière les armes de l'évèché supor-
tées par deux lions.
Sur l'entablement circulaire du frontispice de la chapelle côté de la
rivière, deux anges en adoration de 8 pieds 3/4 de proportion, demi
drappés posés à 40 pieds de hauteur, à genoux au pied d'une croix
placée au milieu d'eux, l'un a les mains jointes, la tête et les yeux vers
le haut de la croix, extrêmement pénétré de l'amour de son Dieu. L'autre
la main gauche sur sa poitrine, le corps, la tête et les yeux modeste-
ment baissés montrant de la main droite la croix aux passans, comme
pour les faire souvenir de ce grand et profond mistère. (Faits de stuc
d'après le modèle de M. Le Lorrain et actuellement se font en cuivre
battu, au marteau, par Jean Hougler le fils, chaudronnier de la ville de
Strasbourg.)
80 l'art FRANÇAis SUR LE RHIN
II. Incendie de la cathédrale de Strasbourg
L'architecte de la Guêpiers (i) au marquis de Marigny
A Stuttgart, le 31 juillet 1759.
M., L'accueil gracieux qu'il vous a plu me faire lorsque j'ai eu l'hon-
neur de vous assurer de mon profond respect à Paris semble authoriser
l'envie que j'ai de vous supplier de m'accorder votre protection dans
un ouvrage que la proximité du pais où je suis me permettrait de faire.
Si vous daigniez, M., écrire en ma faveur au Prince Constantin, évêque
de Strasbourg, en luy remettant une lettre de votre part, je ne doute
point qu'elle ne produise tout l'effet que j'en attends.
La principale église de Strasbourg, M., vient d'être endommagée d'un
singulier coup de tonnerre qui a mis le feu au comble ; tout est brûlé,
la voûte du cœur {sic) est tombée, a écrasé le maître-autel ; il n'y a
pour ainsi dire que la belle tour de respectée. J'y vois une reconstruc-
tion, sans être totale, qui mérite quelque considération pour un artiste
qui cherche les occasions de se distinguer et surtout pour un bon Fran-
çais qui a le chagrin de ne pas servir sa patrie. Je vous devrai, M., ce
bonheur, si je puis sous vos auspices obtenir de ce Prince Evêque de
travailler au projet du rétablissement de cette église que je ne ferais
sûrement qu'en employant, s'il m'est possible, ce vrai goût que vous
flattez si bien. J'ose dire que je me ferais fort d'y réussir si vous me
permettiez, M., d'écouter vos conseils.
Le marquis de Marigny à la Guêpière
Versailles, le 29 août 1759.
J'ay reçu. M., votre lettre du 31 du mois de juillet dernier au sujet du
singulier coup de tonnerre tombé sur la principale église de Strasbourg
qui a mis le comble en feu, fait tomber la voûte du chœur et dont la
chute a écrasé le maitre-autel. Je ne suis point surpris que le rétablis-
(1) Arch. Nat. 0* 1909. — Pierre-Louis-Philippe de la Guêpière, élève de
J. F. Blondel, était depuis 1752 l'architecte du duc de Wurtemberg.
DOCUMENTS Si
sèment de cet édifice ait excité en vous le désir d'en être chargé : c'est
une reconstruction à faire honneur à vos talents. Mais je ne puis écrire
à M. le Prince Constantin pour vous procurer cet ouvrage. Voyez à
employer les recommandations que vous avez à la Cour de Stuttgart
auprès de ce Prince ; tâchez qu'on l'engage à m'écrire pour sçavoir
mon sentiment sur vos lumières et vos talents. Je vous promets que
vous serez content des témoignages que je luy rendrai de votre
capacité.
III. Plans de Blondel pour la ville de Strasbourg
Cours d'Architecture, t. iv. Paris 1773
« Le Magistrat de Strasbourg ayant conçu le dessein de faire construire
plusieurs corps de casernes pour contenir la garnison de cette ville,
ainsi qu'une Place d'Armes et de nouvelles communications pour rendre
le défilé des troupes plus commode, sans nuire à la circulation des
habitants, demanda à la Cour un architecte expérimenté qui pût se
transporter sur les lieux, à dessein d'y faire lever un plan exact, de
projeter sur ce plan les bâtiments à faire pour le service du Roi et en
même temps de désigner les emplacements les plus convenables pour
élever dans la suite un Sénat, une place propre à contenir la statue
pédestre du Prince, une salle de spectacle, des marchés, des halles, etc..
Nous eûmes l'honneur d'être choisi pour ces différentes opérations...
« De retour à Paris, nous présentâmes (un second projet) à M. le duc
de Choiseul qui, après l'avoir examiné, nous excita à entrer dans des
vues moins économiques, nous laissant entrevoir que cette vaste entre-
prise était l'ouvrage du temps, que par cette raison, il ne fallait rien
épargner pour produire un plan digne du règne sous lequel nous
vivions. Échauffé par les idées élevées que nous communiqua ce
ministre éclairé, nous fîmes un troisième projet qui reçut son appro-
bation et à l'occasion duquel nous retournâmes à Strasbourg pour le
soumettre au Magistrat. Ce dernier ouvrage, beaucoup plus important
que les précédents, fut sujet à plusieurs contestations : nous fîmes de
nouveaux efforts pour parvenir à concilier les idées de grandeur pui-
sées à Versailles et celles d'économie qui nous furent recommandées à
Strasbourg : en sorte qu'après avoir passé cinq mois de suite dans cette
ville, nous eûmes la satisfaction d'obtenir l'approbation unanime de
Sa l'art français sur le rhin
l'État-Major, de la Noblesse, du Clergé et de la Bourgeoisie, tous égale-
ment intéressés aux nouveaux alignements prescrits, aux acquisitions
à faire, en argent ou par échange... Ce plan et les projets auxquels il
avait donné lieu furent présentés de nouveau à M. le duc de Choiseul ;
nous les lui offrîmes à Marly avec M. le Maréchal de Contades, com-
mandant de Strasbourg et avec iM. Gayot, Prêteur Royal de cette ville ;
enfin l'automne suivant, le 2 octobre 1768, nous eûmes l'honneur de
les présenter à Sa Majesté qui en approuva l'exécution. »
Blondel décrit ensuite la route que les étrangers parcourent lors-
qu'ils traversent la ville, de la porte de Saverne â la porte des Bou-
chers.
<( La Place d'Armes (1) est aujourd'hui une des principales beautés de
la ville de Strasbourg. Sa forme, quoique irrégulière ne laisse pas de
produire un bon effet; et sa décoration dans un genre simple deviendra
intéressante lorsque, dans la suite, chaque particulier qui a des mai-
sons hur cette place, se sera assujetti à suivre la même ordonnance
dans les façades. En attendant cette époque, nous avons planté une
allée d'arbres dans son pourtour qui, en masquant pour ainsi dire la
disparité actuelle de ses bâtiments, procure de l'ombre aux troupes,
lorsqu'elles viennent y faire l'exercice et monter la parade...
«Malheureusement l'exécution est presque toujours négligée loin des
yeux de l'ordonnateur... C'est ce qui nous arrive à Strasbourg, l'éloi-
gnement du lieu de notre capitale s'opposant à former dans celte ville
des artistes en second qui puissent rendre avec intelligence les mesures,
les rapports, les profils et le goût de l'architecture qui leur sont
confiés...
u A l'égard de la Place Royale (2), nous n'avons pu raisonnablement la
faire plus vaste ; il faut se ressouvenir qu'il s'agit ici d'une ville de
guerre... Cette place, au milieu de laquelle doit s'élever la statue du
Prince, a pour fond la façade du Sénat et la statue se trouvera précisé-
ment en face du portail de la Cathédrale... Cette place est aussi destinée
pour un marché, de manière que la représentation, du héros se trouvera
placée au milieu de l'abondance, en face du temple de Thémis et vis-à-
vis celui de la Religion...
« Pour faire juger de l'importance et de l'utilité des changements pro-
posés pour Strasbourg, nous ferons remarquer que dans cette seule
partie de la ville, il n'est point ou presque point de carrefour que nous
n'ayons converti en place, point de rues que nous n'ayons alignées, de
manière à former dans la suite des communications beaucoup plus
régulières qu'elles ne l'étaient précédemment. »
(1) Place Kleber.
(2) Place Gaienberg.
DOCUMENTS 83
II. Electorat Palatin
Noie des ouvrages que le Chevalier de Marolles a exéculé
dans différentes Cours d* Allemagne (U
Le Chevalier de Marolles, élève de feu M. Blondel et ensuite du feu
Chev. de Servandony, célèbres architectes.
A fait les fêtes du Duc régnant de Vurtemberg à Stuttgardt de 1763 et
1704 conjointement avec feu Servandony.
En mars 1764 j'ai fait les fêtes du couronnement de l'Empereur
régnant à Francfort.
Ensuite je suis revenu à la cour de Mannheim où S. A. S. l'Electeur
Palatin m'a chargé de lui faire le projet d'un nouveau château et embel-
lissement du parc de Schwetzingen.
En 1765 je fus appelle du Roy de Prusse. Ce monarque savant m'a
chargé de lui embellir son château et parc de Sans Soucy. Ce digne
monarque m'a comblé d'honneur et de satisfactions.
Nicolas de Pigage au comte [d'Angiviller (2)
Mannheim, 16 mars 1778.
Il offre au comte d'Angiviller, Directeur des Bâtiments, un exem-
plaire de son ouvrage sur la Galerie Electorale des tableaux de Diissel-
dorf a que j'ai composé, écrit-il, dans mes loisirs et par goût particu-
lier pour le bel art de la Peinture, qui a tant de liaison avec celui de
l'Architecture que je professe ».
(1) Arch. Nat. 0» 1913, 1-32.
(2) Arch. Nat. 0» 1914.
84 l'art français sur le RHIN
Le comte d'Angiviller à M. de Pigage^ premier architecte
de S. A. El. Palatine
Versailles, 8 avril 1778.
Cette célèbre gallerie et les morceaux précieux qu'elle renferme
méritaient une description aussi bien faite et aussi intéressante, tant
par les gravures charmantes qui l'accompagnent que par le discours
qui sert à leur explication. Tous ceux qui n'ont pu voir cette magnifique
collection vous seront bien obligés de l'idée qu'ils peuvent en prendre
au moyen de votre ouvrage et ceux qui l'ont déjà vue vous devront
aussi le plaisir qu'ils ressentiront à se rappeler tant de sublimes mor-
ceaux.
Journal de Wille
45 février 1760. M. Hin, peintre du duc régnant de Deux Ponts et mon
ancien ami, étant arrivé avec S. A. S. me vint voir tout de suite. J'en
étais ravi. Nous nous sommes embrassés de bon cœur comme de
raison.
Le 16. Monseigneur le duc de Deux-Ponts me fit l'honneur de me
visiter et S. A. S. resta plus d'une heure et demie avec moi. Nous rai-
sonnâmes continuellement et presque toujours sur les arts dont il est
grand amateur et connaisseur.
le' mars 1760. Monseigneur le duc de Deux-Ponts vint chez moi et
peu après nous montâmes en carrosse et je le menai chez M. Rémi pour
voir un tableau du Poussin qu'il acheta pour cent louis. C'était une
Adoration des Bergers. Ce tableau sera transporté à Manheim pour
être mis dans le fameux cabinet de l'Electeur Palatin.
Le \6 mars. M. Meyer, jeune peintre, a pris congé de nous pour aller
avec les équipages du duc de Deux-Ponts à Deux-Ponts, Monseigneur le
duc l'ayant engagé pour cela en lui donnant une petite pension. C'est
M. Hin, son ancien maître, lorsqu'ils étaient encore à Strasbourg, qui
lui a procuré cette petite fortune.
28 octobre 1765. Meyer, jeune peintre, est de retour de chez le duc de
Deux-Ponts où il a été plusieurs années ; il a quitté le Prince.
DOCUMENTS 85
Livret du Salon de 1781
Au 10 septembre jusqu'à la fin du même mois, on verra dans l'ate-
lier de M. Monnot Cour du Louvre deux figures en marbre de grandeur
naturelle. C'est le moment où Psiché vient voir l'Amour.
Ces figures sont destinées à orner le lit de Son Altesse Sérénissime
M. le Prince de Deux-Ponts.
Le Prince de Deux-Ponts au comte d'Angiviller (i)
Paris, 15 novembre 1784.
Monsieur le Comte, Le S"" Pietz, porteur de cette lettre, est un jeune
peintre au service de mon frère Duc Régnant des Deux Ponts, qui va à
Rome pour se perfectionner dans son art. J'ose vous supplier. Monsieur
le Comte, de vouloir bien lui accorder vos bontés et protection, pour lui
en faciliter les moyens.
L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
III. Electorat de Mayence
I. Description de La Favorite en 1789 (1)
La Favorite doit ce nom à l'Électeur Lothaire -François de Schôn-
born ; il en faisait son principal amusement dans l'été.
Ce que je trouve de plus beau dans ces Champs-Elysées de Mayence,
c'est la situation. L'Électeur qui règne actuellement y a fait bâtir une
retraite pour sa personne seule, qui par conséquent n'est pas très grande.
Le jardin n'a rien qui mérite une attention particulière; on pourrait
cependant tout faire sur un terrain si beau et si avantageusement
situé... 11 est environné d'une grille de fer qui, par sa légèreté, ne
cache ni la vue de la ville ni celle du Rhin ; il est orné de statues, de
vases et de bancs qui, quoique du siècle passé et d'une faible et mau-
vaise exécution, forment pourtant, par leur blai;icheur, un contraste
agréable avec le verd des arbres.
Au milieu des bosquets on trouve un pavillon uniquement destiné au
jeu et aux concerts : ce n'est qu'une seule pièce sans vue. Un peu plus
loin, le jardin s'élève des bords du Rhin en plusieurs terrasses déco-
rées de fontaines et de statues, et couvertes des fleurs les plus agréa-
bles et de superbes orangers.
Lorsqu'on les a toutes montées on découvre l'édifice principal qui de
chaque côté a trois petits pavillons un peu éloignés les uns des autres.
Ils ont un défaut : c'est d'ôter au grand bâtiment, à droite, la vue des
montagnes de Darmstadt, à gauche de la ville et des campagnes riantes
de Wisbade... Aussi ces sept bâtiments d'une forme peu moderne n'of-
frent pas un coup d'oeil agréable et n'annoncent aucune commodité. Il
vaudrait mieux, à la place de tous ces pavillons mesquins et irrégu-
liers, élever sur la partie la plus haute du jardin un seul corps de bâti-
ment avec deux ailes, dans le genre de la Prévôté, qui aurait sa façade
sur le Rhin et d'où l'on jouirait d'une aussi belle vue qu'à Mayence
même... On verrait sous ses pieds rouler majestueusement le Rhin et
le Mein qui lui apporte son onde argentée, les riches campagnes de
Hochheim, Wisbade, une partie du Rhingau. Enfin les montagnes et
les forêts qui s'étendent jusqu'à Francfort termineraient ce brillant
horizon.
(I) G. Lang. Reisc auf dem Rhein, 1789. Adaptation en français intitulée
Voyage sur le Rhin depuis Mayence Jusqu^d Dusseldorf. Mayence, 1808.
DOCUMENTS 87
II. Hôtel de Tour et Taxis, à Francfort
Mémoire de Robert de Cotte pour le prince de Tour
et Taxis (i)
1727.
J'ay examiné les desseins qui m'ont été communiqués pour bâtir un
grand hôtel en la ville de Francfort pour S. A. iMonseigneur le Prince
de La Tour. J'en ay trouvé l'arrangement et la distribution bien dispo-
sés : apparemment que l'architecte qui les a faits et qui me paraît
homme entendu et capable d'exécution a travaillé sur des mémoires
qui lui ont été donnés.
Comme on me demande mon avis, je crois après avoir fait réflexion
que cette maison étant pour un grand seigneur, il serait plus à propos
de ne faire qu'un grand appartement au rez-de-chaussée : c'est ordi-
nairement où se rassemblent les seigneurs et la noblesse et au premier
étage faire deux appartemens sur le jardin et d'autres en aisles et aux
pavillons sur la rue ainsi que les logemens en attique, mesme dans les
basses cours pour ce qui regarde les écuries, manège couvert, remises
des carosses, des logements d'officiers et de domestiques.
La rue ou l'on doit bâtir cette maison n'étant pas large, j'ay pensé
que pour en rendre l'entrée plus facile et pour y donner plus de grâce,
il fallait y former deux portions circulaires qui doivent faire un bel
effet.
J'ay fait intérieurement un péristile de colonnes du côté de la cour
où se rassemblent ordinairement bien des gens dans la journée d'un
certain ordre, ce qui donne un grand agrément et qui convient à la
maison d'un seigneur. D'ailleurs ce péristile conduit à des galleries en
arcades à droite et à gauche de la cour pour aller à couvert de ce
péristile dans toute la maison, ce qui agrandit aussy la cour.
Au fond de lad. cour et au milieu est le vestibule. Au lieu d'entrer
d'abord dans le sallon qui est la pièce honorable où se doit assembler
la compagnie... j'évite d'en former un passage qui en ôte l'usage aux
gens de médiocre condition et aux domestiques. C'est pourquoi l'on
entre à droite du vestibule dans une grande salle éclairée du côté de
la cour où se tient ordinairement la livrée ; de là on passe par trois
arcades dans une antichambre du côté du jardin où se doivent tenir les
(1) Bibl. Nat. Cab. Est. — Papiers de R. de Coite, III.
88 l'art français sur le rhin
officiers et valets de chambre de la maison ; ensuite on entre dans un
sallon de forme ovale où sont deux cheminées ou poêles et au milieu en
face du jardin est un renfoncement pour y mettre un sopha : cette
pièce est, comme j'aydit, où se rassemblent les seigneurs et la noblesse.
I/on passe du sallon dans la chambre de parade et de là au grand
cabinet et en retour dud. grand cabinet une chambre à coucher qui a
ses commodités, des petits cabinets et des garderobes convenables avec
une antichambre qui a son entrée séparément par la gallerie à gauche
sur la cour afin que le prince et la princesse puissent se retirer quel-
quefois delà compagnie pour donner des ordres sans que leurs officiers
et domestiques passent dans le grand appartement, ayant trouvé que
dans les plans qu'on m'a communiqués, les chambres et les cabinets
étaient des pièces trop petites.
J'ay placé à gauche du vestibule le grand escalier qui monte par le
milieu du vestibule seulement au premier étage qui conduit aux deux
grands appartements sur le jardin et autres appartements dans les
ailes. Les autres escaliers placés à différens endroits monteront à tous
les étages et même descendront dans les caves.
J'ay cru devoir placer la chapelle au rez-de-chaussée qui aura son
entrée au fond de la première salle avec une tribune pour la commodité
du premier étage; tous les gens de la maison pourront entendre la
messe commodément au rez-de-chaussée même delà salle.
A l'égard de la salle à manger, comme c'est une pièce de conséquence
où on se rassemble souvent, j'ay cru qu'il y fallait faire attention pour la
bien placer et qu'elle soit assez grande. C'est pourquoy je l'ay fait du
côté du jardin à droite de l'antichambre dans l'enfilade du grand appar-
tement ayant son entrée aussy pour le service par la première salle :
en sorte que l'on y sert et dessert à couvert facilement des offices et
cuisines qui sont arrangés à peu près comme dans les plans qui m'ont
été communiqués, à la réserve que j'ay rapproché l'office dont on fait
usage pendant la journée pour des rafraîchissements.
Le plan du premier étage est en papier qui retombe, on verra si la
distribution convient; elle a peu changé...
Je n'ay point fait le plan de l'étage en attique dont la distribution doit
être comme celle des plans qui m'ont été communiqués.
J'ay trouvé les écuries de la grande basse-cour assez bien disposées ,
il y a de quoy placer 46 chevaux. J'ay changé le manège couvert ; je l'ay
fait au fond de ladite cour de la même grandeur ; par ce moyen cette
cour devient plus grande pour y exercer des chevaux...
J'ay fait les élévations des façades sur le jardin, une autre du fond de
la cour qui est aussy celle de la rue avec un profil du corps de logis
qui fait voir la décoration d'une aile et le pavillon sur la rue et le
péristile qui porte la terrasse.
Voilà ce que je pense sur cet hôtel. Si cette idée convient, on peut la
DOCUMENTS 89
communiquer à l'architecte qui a fait les premiers desseins pour lui
donner occasion de mieux penser encore. Je n'ay fait ce projet que
pour faire plaisir au Prince que je n'ay pas l'honneur de connaître. Si
son architecte était de mauvaise humeur et que ce projet convienne à
S. A-, on n'aura qu'à me faire sçavoir son intention à laquelle je me
conformeray ; mais il faudrait avoir en même tems un mémoire ins-
tructif des commodités indispensables et de la quantité de logements
qu'il faut pour tous les officiers et domestiques afin de travailler avec
certitude.
Comme l'usage en Allemagne est de mettre des poêles, il serait bon de
marquer les endroits où on les veut placer. On en met ordinairement
dans les premières salles où j'en ay placé deux dans les angles à l'an-
tichambre, salle à manger. Je ne scay si on en mettra dans le sallon ; en
tout cas j'y ay fait deux cheminées et si on y met des poêles, on pourra
mettre le bois par derrière sans passer dans les appartemens, ainsy
des autres pièces, mais il faut aussy une explication sur ces sortes d'u-
sages.
J'ay fait réflexion qu'on pourrait faire dans le premier étage un grand
appartement comme celuy du rez-de-chaussée, entrant du vestibule
dans une pareille salle sur la cour, de là dans une antichambre sur le
jardin qui conduirait au grand appartement, passant par le sallon; et
de la même antichambre à droite on passerait dans une chambre, cabi-
net et garde-robe qui serait double par le moyen d'une entresolle,
l'étage étant assez haut et les dites garderobes se trouveraient dégagées
par la salle qui conduirait à la tribune de la chapelle. J'en ay fait un
papier qui retombe sur le plan du premier étage : en sorte qu'il y aurait
toujours deux appartements dans le premier étage du côté du jardin.
Je crois que c'est le party qu'il faudrait prendre.
Fait à Versailles, le 8 septembre 1727.
Le Prince de La Tour et Taxis à R. de Cotte (i)
Bruxelles, le 20 octobre 1727.
M., M. de Kerpen m'ayant donné part de la manière obligeante avec
laquelle vous avez biçn voulu prendre la peine d'examiner le plan de
l'hôtel que j'ay envie de faire bâtir à Francfort et même de m'envoyer
(1) Bibl. Nat. Cab. Est. —^Papiers de R. de Cotte, III.
90 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
un que vous avez eu la bonté de faire faire, que je trouve parfaitement
beau, le mémoire, M., que vous y avez joint me fait connaître que les
changements que vous avez jugé à propos d'y faire sont fondés sur la
parfaite connaissance que vous en avez et votre plan. M., trouvera sans
conteste l'approbation générale. Je souhaiterais pouvoir vous en mar-
quer ma reconnaissance et rencontrer des occasions de vous convaincre
combien je suis, M.,
Votre très humble serviteur
A. F. Prince de La Tour et Taxis.
III. Reconstruction de la flèche de la Cathédrale de Mayence
Le marquis de Marignij au baron de Dalberg (i)
14 novembre 1770.
J'ai reçu. Monsieur, avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire le 12 septembre les plans et éclaircissemens que l'Académie
d'Architecture avait demandés pour pouvoir décider de la possibilité
d'élever une tour de pierre à la place du clocher en charpente de la
cathédrale de Mayence. Je les ai fait passer aussitôt au secrétaire de
l'Académie et elle s'en occupera dès la rentrée qui est instante... Je vous
prie d'être convaincu du plaisir que je ressens d'être à portée de pro-
curer au Chapitre illustre de Mayence la solution de ses doutes sur
cette construction.
(1) Arch. Nat. 0» 1912.
DOCUMENTS 9I
Procès-verbaux de V Académie d'Architecture (l)
26 novembre 1770.
Ensuite ont été mis sur le bureau les plans, coupes, ^profils et éléva-
tions de la tour du clocher de Mayence et les explications aux éclaircis-
sements préliminaires lesquels avaient été demandés par TAcadéraie à
la séance du 25 juin 4770 et l'Académie a nommé M" Chevotet, Le
Carpentier, Brebion et Moreau pour en faire leur rapport à la Compa-
gnie.
2 décembre 1770.
L'Académie a demandé à entendre le rapport des commissaires sur
l'objet de l'église de Mayence. Ils ont dit que M. Le Roi était chargé de
nouveaux desseins et mémoires relatifs à cet objet et qu'il leur paraî-
trait convenable que cet académicien fût ajouté aux commissaires
nommés à cet effet et la Compagnie a arrêté que M. Le Roi se joindrait
à M'" Chevotet, Le Carpentier, Brebion et Moreau pour faire rapport sur
cette affaire le plus tôt qu'il leur sera possible.
10 décembre 1770.
L'Académie a entendu le rapport des commissaires nommés dans les
séances du 26 novembre et du 3 décembre de celte année pour l'exa-
men des projets de la tour de l'église de Mayence et ce rapport a été
unanimement approuvé et il a été déterminé qu'il serait inscrit tout au
long dans les registres des délibérations et qu'il en serait envoyé une
copie certifiée du secrétaire à M. le marquis de Marigny,
(1) Registres des procès-verbaux de l'Académie royale d'architecture con-
servés à la Bibliothèque de l'Institut, M. H. Lemonnier en a entrepris la
publication ; mais son dernier volume s'arrête à 1767.
92 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
Rapport des Commissaires nommés par V Académie pour
examiner un projet proposé pour construire une flèche
en pierre à la Métropole de Mayence (l).
Nous Commissaires nommés par l'Académie dans les séances des
2S novembre et 3 décembre 1770 pour examiner le projet proposé pour
construire une flèche en pierre de taille à la Métropole de Mayence qui
a été envoyé à la Compagnie par M. le Marquis de Marigny, après avoir
examiné les desseins et les mémoires que M. le Directeur général des
Bàtimens du Roy nous a fait remettre ainsy que d'autres desseins e t
mémoires concernant ce projet qui nous ont été communiqués par un
de nous, lesquels ont été visés et paraphés de nous commissaires et du
secrétaire de l'Académie, avons formé l'avis suivant :
Rapport
Dans un premier examen du même projet qui avait été envoyé le
21 juin 1770, elle crut ne pas pouvoir prononcer sur la possibilité de
son exécution sans avoir à l'égard de plusieurs articles divers éclaircisse-
ments qu'elle demanda et que nous remettrons sous les yeux de l'Acadé-
mie, si elle le désire. On a fait à ses questions une réponse où il est dit :
Que les quatre piliers sur lesquels on veut élever la flèche sont revê-
tus en pierre de taille, c'est-à-dire de grès rouge en usage dans le pays
et intérieurement comblés de grais (sic), que le revêtement des pen-
dentifs qui s'élèvent sur ces piliers est en dehors des moellons mêlés
avec des tufs et en dedans encombré ou rempli de blocages en moel-
lons et mortier, que presque tout l'espace qui est entre les fenêtres est
de moellon, que les parties de la tour que l'on conserve sont en général
de moellon, de tuf et de grès et en partie gâtées par le feu, qu'on a dis-
posé les tirants de fer, comme ils le sont dans le projet, pour garantir
le clocher de la déclinaison et pour empêcher qu'il ne cède d'un côté ou
de l'autre sous un poids plus considérable et enfin que le beffroi sera
situé dans l'espace qu'on voit au-dessus de la première voûte : telles
sont les réponses qu'on a envoyées à l'Académie pour satisfaire aux
observations préliminaires qu'elle a faites et qui nous ont mis en état
de donner notre avis ainsy qu'il suit :
Nous pensons que le mur qui doit porter la flèche qu'on se propose
de construire étant destiné à porter (comme on le marque dans une
des explications qui accompagnent les desseins) sur un autre mur qui
n'est construit qu'en moellon et pierre de tuf et percé dans tous les
sens, cette base peut n'être pas assez solide pour porter le poids de
la flèche qu'on veut construire et qu'avant de bazarder une entreprise
(1) Procès-verbaux de l'Académie d'architecture. Bibliothèque de l'Institut.
DOCUMENTS qB
de la conséquence de celle qu'on projette, ce premier point doit être
éclaircy sans contradiction : ce qui n'est pas, puisque les observations
envoyées ne sont pas d'accord. D'après cela nous croyons encore qu'il
y aurait tout lieu de craindre (comme l'architecte qui a fait des objec-
tions contre ce projet l'a pensé) que la tour ayant pu être calculée
dans sa construction pour porter une flèche de charpente ne soit pas
assez solide pour en porter une de pierre, beaucoup plus pesante, sur-
tout les matériaux dont cette tour est construite étant de différente
nature, assez imparfaits et altérés par la durée de neuf siècles et un
violent incendie.
Il est d'ailleurs évident que le nouveau mur qui ferait plus grande
épaisseur., occasionnerait nécessairement des effets fâcheux tant à la
voûte qu'aux battants parce que la nouvelle construction tasserait tandis
que l'ancienne ne tasserait pas.
Il nous paraît aussi qu'il y aurait un danger évident à faire porter les
murs qui soutiennent la poussée des voûtes supérieures à faux de près
d'un tiers de leur diamètre sur les reins des voûtes inférieures, que les
voûtes étant d'ailleurs disposées dans ce projet de manière à former
une poussée considérable, cette construction serait d'autant plus
bazardée que les cloches enfermées dans ces voûtes surchargeraient
les murs qui les soutiennent et y causeraient par leur vibration un
très grand ébranlement. Nous ajoutons que l'auteur du projet de la
flèche (1) semble avoir beaucoup trop compté sur les fers qu'il se propose
défaire entrer dans la construction et qu'il dispose en|quelques endroits
d'une manière peu conforme aux règles de la bonne construction.
Notre avis enfin est qu'il serait plus prudent de construire la flèche
en charpente que de la construire en pierre, en suivant le projet qui
nous a été remis.
Au surplus en déterminant que le projet présenté ne pourrait être
exécuté et qu'il vaut mieux former une flèche et beffroi en charpente,
nous pensons qu'il serait encore possible de s'occuper des moyens de
satisfaire le désir que montrent les personnes intéressées à cette entre-
prise de voir exécuter cette flèche en pierre, mais qu'il faudrait avant
tout être assuré d'une manière incontestable de la solidité des quatre
points d'appuy et de l'impossibilité de leur tassement ou fracture sous
la charge d'un plus grand poids, de la solidité des premières voûtes de
l'église sur lesquelles on pourrait établir la résistance nécessaire au
nouvel ouvrage et former un nouveau projet, qui nous parait possible,
d'une construction plus solide et plus légère que celle du projet qui
nous a été remis.
Fait à l'Académie Royale d'Architecture au Louvre à Paris le dix
décembre mil sept cent soixante et dix.
(1) Nenmann le jeune.
94 l'art français sur LB RHIN
IV. Description de la Grande Prévôté de Mayence (1)
Je croirais n'avoir encore rien dit de Mayence si je ne parlais pas de
la Prévôté du Dôme. Ce bâtiment est unique dans son genre ; c'est le
comte von der Leyen, actuellement Prévôt, qui l'a fait bâtir à grands
frais, mais en partie des contributions volontaires du Chapitre.
Ce bâtiment présente tout ce qui peut charmer l'œil qui se promène
longtemps agréablement sur l'ensemble avant de s'arrêter sur aucune
partie séparée. Cependant, il faut Tavouer, ce palais n'a pu se concilier
l'approbation générale; mais en existe- t-il un seul dans l'univers qui n'ait
pas été exposé à la critique et ce qui plaît quelquefois au véritable con-
naisseur est justement ce qui déplaît à l'amateur tranchant... C'est en
tentant de nouvelles formes qu'on crée de nouvelles beautés et n'est-il
pas heureux que de tems en tems les Princes et les hommes riches
aient de nouvelles fantaisies pour animer et développer les talens des
artistes qui, sans ces heureux essais, resteraient tous au même point.
Ce superbe palais est l'ouvrage de l'architecte Mangin, déjà très
avantageusement connu par le château de Mon aise près de Trêves, qui
appartient au comte de Walderdorf.
C'est dommage que la Prévôté soit cachée dans un coin de la ville :
combien ce bâtiment superbe eût gagné pour l'extérieur si on l'eût
élevé dans une place plus libre, plus régulière et surtout plus élevée!
Il est vrai que c'est une surprise bien agréable pour un étranger au
sortir de ces rues tortueuses et étroites de se voir tout à coup au pied
de ce palais, sans s'y être attendu.
La façade principale présente six colonnes de l'ordre corinthien qui
supportent une large galerie découverte et chaque colonne porte en
outre une statue colossale, supérieurement exécutée par le sculpteur
Paf (Pfaff) ; ce corps de bâtiment a deux ailes latérales moins exhaus-
sées, également terminées en terrasses à l'italienne et supportées de
chaque côté par de superbes arcades, ce qui forme devant tout le
palais une très belle avant-cour fermée par un treillis très solide quoi-
que travaillé avec délicatesse.
Le vestibule qui sert d'antichambre aux valets est très vaste et l'on y
remarque un trait de génie de l'architecte qui, pour n'en pas gâter la
régularité, a eu l'adresse de cacher les poêles dans l'intérieur même
des colonnes.
De ce vestibule on monte un escalier large, bien éclairé et très com-
mode, qui se divise au premier étage en deux corps et conduit d'un
(1) J. G. Lang. Reiso auf dent Rhein. 1789. Nouv. édit. en français
intitulée Voyage sur le Rhin depuis Mayence jusqu'à Dusseldorf.
Mayence: 1808.
DOCUMENTS QS
côté dans le superbe salon, de l'autre dans les appartements adjacens.
On ne peut voir sans satisfaction l'ordre qui règne partout et l'agréable
distribution des appartemens : partout on y rencontre la propreté hol-
landaise, partout l'art et le goût s'y trouvent réunis.
L'or dont tous les ornemens sont couverts donne le plus grand éclat
au salon dont 36 colonnes soutiennent le plafond. Entre chaque couple
de colonnes est ou un génie doré, de quatre pieds de haut, qui porte un
guéridon chargé d'un lustre ou de superbes fauteuils de bois d'acajou,
supérieurement travaillés, ornés de bronzes dorés et garnis de riches
coussins.
De ce superbe salon on passe dans un plus petit destiné à prendre le
caffé et ensuite dans la salle à manger ordinaire, qui est simple mais
pourtant belle; elle est ornée d'un plafond peint par J. Zick(l), représen-
tant les plaisirs des Dieux dans les sept planètes. Au lieu de tapisserie
sont quatre grands tableaux très bien peints par un Français dans le
goût de Tischbein; on désirerait cependant que les sujets fussent
mieux choisis et plus analogues (2) à une salle à manger; en général ils
sont tristes et peu agréables. Le premier représente Jupiter punissant
Junon; le second La chute de Phaéton; le troisième Le déluge et le qua-
trième Les Titans vaincus.
Plusieurs pièces qui se répondent toutes donnent à cet appartement
la plus grande commodité ; elles reçoivent la lumière de haut et c'est un
des reproches que l'on a fait à l'architecte. 11 faut l'avouer, ces chambres,
au premier coup d'œil, éclairées toutes de cette manière, présentent un
aspect trop monotone et par cela même peu agréable. J'aurais de la
peine à demeurer toujours dans un endroit aussi triste; d'ailleurs cette
manière de recevoir le jour a une grande incommodité lorsqu'il neige
beaucoup et longtemps. Cependant cette manière de tirer les jours d'en
haut ne doit pas être [entièrement rejetée et on peut l'employer avec
avantage pour les cabinets d'étude, les bibliothèques et surtout les
galeries de tableaux, où les fenêtres latérales feraient perdre une place
précieuse.
(1) Le peintre Jannarius Zick qui décora également le Palais électoral de
Coblence avait fait un séjour à Paris en 1757.
(2) Dans la langue du xviii' siècle analogue à le sens de conforme, conve-
nable.
96 l'art français sur le rhl\
IV. Electorat de Trèv^es
Palais Electoral de Coblence
L'architecte J.-F. Blondel au marquis de Marigny (U
13 novembre 1758.
M., J'ai l'honneur de vous rendre compte du sieur Michel de Nisme (2),
jeune artiste qui vous a été recommandé par M. Gremont, envoyé de
France à la Cour de Trêves et que vous m'avez chargé d'examiner la
dernière fois que je vous fis ma cour. J'ai vu de ses desseins et me suis
transporté chez lui pour examiner quelques modèles qu'il avait faits.
En général il sait très peu de théorie ; il entend davantage la pratique,
mais il ne peut être employé qu'en second, sous la direction d'un habile
homme. D'ailleurs il me paraît laborieux, avoir de bonnes mœurs et
s'offre pour très peu, s'avouant sobre et sans ambition. Voilà, M., le
compte que je vous devais à ce sujet.
Le marquis de Marigny à Blondel
A Versailles, le 23 novembre 1758.
J'ay reçu, M., dans votre lettre du 13 de ce mois le portrait que vous
me faites du jeune artiste qui m'a été envoyé par M. l'Envoyé de France
à la Cour de Trêves que je luy feray parvenir afin qu'il juge luy-même
de ses forces et qu'il voye à quoi et comment ce jeune artiste peut être
employé.
(1) Arch. Nat. 0» 1909.
(2) Il s'agit de Michel d'Ixnard, qui était en effet Nîinois et qui devint plus
tard architecte de l'électeur de Trêves.
DOCUMBNtS 9Î^
Liste des travaux de d'Jxnard dressée par lui-même W
Voici les principaux : Saint Biaise, un édifice considérable, la Rési-
dence d'une princesse abbesse de Bouchau, un château neuf à Son Ex-
Mr. le Comte de Kœnigsegg d'Aulendorf; un hôtel bâti de neuf à Mr. le
Baron de Sickin, un château bâti de neuf à Mr. le Baron Spet de Gainer-
dingne, une commanderie bâtie de neuf à M. le Baron de Ritheim, une
considérable réparation à la grande commanderie d'Elingue d'une
entière distribution et élevé des colonnades en pierres de taille, la
réparation en entier d'un grand château du prince HohenzoUern, un
château réparé et distribué à Md^ la Comtesse d'Ulme, le cœur (sic) de
la cathédrale à Constance revêtu et décoré de marbre, avoir décoré
plusieurs parties du palais de Mersbourg, des ouvrages continués pen-
dant six années chez Mr. le Prince deRohan, frère de S. E. Mg'' le Car-
dinal de Strasbourg qui a honoré le supplicant de sa confiance.
Procès-verbaux de l'Académie d'Architecture (2)
21 juin 1779.
Ensuite a été fait lecture d'une lettre de M. d'Ixnard, architecte
employé par S. A. S. Électorale de Trêves à la construction d'un palais
de résidence à Coblence, par laquelle lettre et mémoire auxquels sont
joints des plans, coupes et élévations et échantillons de pierre il
demande à l'Académie qu'elle veuille bien donner son avis sur les
objections et différentes propositions de changements qui lui sont faites
dans sa construction.
L'Académie en conséquence de l'art. 29 des statuts a dit qu'il serait
écrit par M. le Secrétaire à M. d'Ixnard qu'il est nécessaire qu'il se pour-
ri) Archives de Coblence. — Cf. Lohmeyer, Joh. Seiz, Heidelberg, 1914.
(2) Bibliothèque de l'Institut. Registre IX. Ces procès-verbaux sont encore
inédits, la publication de M. H. Lemonnier s'arrêtant à ce jour à la date
de 1767.
98 l'art français ^Ùft LE RHIN
voye du consentement du Prince et de son vœu à cet égard adressés à
M. le comte d'Angiviller, directeur et ordonnateur g:énéral des Bâti-
ments du Roy, pour que TAcadémie soit suffisamment autorisée à
donner son avis.
16 août 1779.
L'Académie étant assemblée, il a été fait lecture de la lettre de M. le
Comte d'Angiviller par laquelle il notifie la demande qu'il fait que l'Aca-
démie nomme des commissaires pour l'examen des projets communi-
qués par M. le Comte de Moustier, ministre plénipotentiaire de
S. A. l'Électeur de TrèTes.
L'Académie a nommé commissaires à cet effet M" Franque, Brebion,
Housset, Boullée, Jardin et Guillaumot pour en faire rapport avec assez
de célérité pour que cette affaire soit, s'il est possible, terminée avant
les vacances.
Le baron de Hohenfeld au comte d'Angiviller (1)
Trêves, le 29 septembre 1779.
Monsieur le Comte. En conséquence de la lettre dont vous avez
honoré M. le Comte de Moustier au sujet de la nouvelle Résidence
Électorale à Coblence, suis-je chargé de la part de Son Altesse Royale
Monseigneur l'Électeur de Trêves de vous prier très instamment de
donner commission à un de vos architectes, lequel vous trouverez à cela
le plus propre, de se transporter à Coblence le plus tôt possible pour voir
et consulter sur ce qu'il y aura de mieux à faire concernant le dit bâti-
ment et vu les contradictions qui se sont élevées entre nos architectes.
Comme Son Altesse sera absent pour le tems de l'arrivée dudit archi-
tecte, il n'y aura que de l'adresser à M. le Chancelier de la Roche (2) qui
aura soin de lui donner les renseignements à ce nécessaires.
(1) Arch. Nat. 0\ 1915.3
(2) Le chancelier Georges Mickel de la Roche, président de la Résidenz
Bau Commission, qui avait adressé des rapports défavorables sur d'Ixnard
était le mari de la célèbre Sophie de la Roche, l'amie de Wieland et de Gçethe.
Documents 9ô
D'Ixnard au comte d'Angivillev (l)
Coblence, 1! octobre 1779.
Monsieur le Comte
J'ai reçu avec toute la soumission que je dois à vos lumières et à
celles de l'Académie le jugement qu'elle a prononcé sur les desseins du
palais que je fais bâtir pour l'Électeur de Trêves. J'aurais désiré d'être
à portée de répondre à ses observations qui, quoique très justes, tom-
bent en partie sur des choses qu'on m'avait expressément demandées
ou sur les raisons d'une grande économie qu'on m'a recommandée et
insisté journellement par-dessus toute chose, ce qui nécessairement a
dû me borner infiniment.
Pas moins l'architecte Treverois (2) et ses partisans n'ont pas manqué
de faire valoir jusques à la moindre expression défavorable de l'Aca-
démie et vous pouvez juger, Monsieur le Comte, avec quel empresse-
ment ils ont saisi l'offre que vous faites au Prince d'envoyer un Acadé-
micien. Ils comptent réussir et l'engager à accepter cette offre pour
me discréditer entièrement et j'aurai le malheur de perdre dans un
jour le fruit d'un travail de vingt années et malgré la réputation que
doivent me faire naturellement quatre Résidences de souverains que
j'ai fait bâtir (3), l'abbaye et l'église de Saint- Biaise dont M"" Poulleau,
mon graveur, doit^avoir procuré des épreuves à l'Académie, je passerai
pour ne pas connaître mon art et avoir besoin d'un Mentor.
Du moment que j'ai eu reçu mes plans, j'ai suivi ponctuellement les
observations de l'Académie et ai fait les changemens que son goût m'a
dictés. Je les ai fait voir au Prince, à quelques personnes de l'art et à
M. le comte de Moustier qui en a toutes les connaissances. Ce ministre
ainsi que Son Altesse et autres m'en ont témoigné toute leur satisfaction.
Mais malgré cela mes antagonistes peuvent intéresser des personnes qui
ont beaucoup de crédit et qui réveilleront toute l'inquiétude du prince
afin de l'engager à faire venir un Académicien qu'ils regardent comme
l'époque de ma ruine totale et pour le prévenir je n*ai d'autre ressource,
Monsieur le comte, que dans ma confiance en votre justice et votre
bonté. Daignez avoir égard à mes représentations. M. le comte de Mous-
(1) Arch. Nat. Qi 1915».
(2) Le directeur des bâtiments (Baadirektor) de l'électeur de Trêves, Seiï
qui était très hostile à d'ixnard. Cf. Lobiineyer. Joh. Seiz. Heidelberg, J.914.
(3) Notamment le château du prince de Hohenzollera-Hechingeo.
ÎOO L*ART FRANÇAIS SUR LE RtilN
tier pourrait vous certifier l'état des choses tel que je viens d'avoir
l'honneur de vous les rapporter. J'ai prié qu'on fasse passer à l'Acadé-
mie les changements que je viens défaire et il ne tiendra qu'à vous,
Monsieur le comte, de faire voir que cela suffira, sans qu'il soit besoin
d'envoyer personne sur les lieux.
Quoique mes principaux ouvrages soient construits en Allemagne,
j'en avais fait précédemment dans ma patrie, ayant travaillé entre
autres pendant plusieurs années pour une respectable maison qui est
celle de Rohan (1). Beaucoup connu de M. le Prince Louis, évêque de
Strasbourg, de M. le Prince de Rohan-Rochefort, de Messieurs vos frères
chevaliers de Flahaut et de M. le marquis, celui qui est marié, de la
Billarderie, ils ont même fait tout ce qu'ils ont pu pour m'aider. Il y a
aux environs de dix-huit ans que j'étais architecte de M. le Prince de
Rohan-Montauban après avoir sorti du bureau de M. Blondel, ensuite
demandé par M. Servandoni pour conduire ses ouvrages.
Mais sans perdre ma confiance en ces titres, Monsieur le comte, je la
mets principalement en vos bontés pour un Français qui cherche à
mériter votre approbation et à se rendre digne de votre protection que
je vous supplie de m'accorder.
Le comte (TAngiviller à d'Ixnardi^)
26 octobre 1779.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire,
concernant l'envoy de l'architecte du roy qui m'a été demandé par
M?"" l'Electeur de Trêves pour aller sur les lieux examiner les difficultés
qui vous divisent d'avec les autres architectes de S. A. Électorale.
J'ai à la vérité fait à ce prince l'offre de lui envoyer un architecte de
l'Académie et vous sentirez aisément que je ne pouvais me dispenser de
le faire, d'après les incertitudes que témoignait l'Académie elle-même
dans son rapport. S. A. Électorale m'ayant depuis fait notifier précisé-
(1) Dehio se trompe donc lorsqu'il écrit dans son Handbuck der deutschen
Kuntsdenkmàler, t. IV. Sudwestdeutschand, p. 186 que d'Ixnard n'a jamais
travaillé en France (in Frankreich nicht nachgewiesen),
(2) Arch. Nat. 0» 1915»
DOCUMENTS 101
ment par son ministre le besoin qu'elle avait de quelque artiste de
l'Académie pour juger des changemens proposés, j'ai encore moins pu
me dispenser de remplir ses vues. Mais je pense que cet envoy vous
alarme mal à propos. L'architecte au surplus que je fais partir m'est
autant connu par sa probité que par son [talent ^et vous pouvez être
tranquille sur la manière désintéressée et impartiale avec laquelle il
remplira sa mission.
Le comte d'Angiviller à Peyre <l)
22 octobre 1779.
Mgr l'Électeur de Trêves m'ayant, Monsieur^ demandé un architecte
de l'Académie pour aller à Coblentz examiner quelques difficultés sur-
venues dans l'exécution des plans d'un château qu'il fait construire
dans cette ville, j'ai pensé que vous étiez très propre à remplir cet
objet et je me suis d'autant plus facilement déterminé à vous charger
de cette mission que c'est pour vous une occasion de vous faire con-
naître avantageusement d'un Prince qui a de grands travaux et qui
peut-être d'après ce voyage se déterminera à faire plus d'une fois
usage de vos talens.
Il faudrait en conséquence que vous vous disposassiez à partir pour
Coblentz dès le commencement de la semaine prochaine. Le Prince a
donné ordre ici de vous faire compter les frais du voyage pour vous y
rendre. Vous trouverez en y arrivant une maison prête à vous recevoir
et les commodités nécessaires pour votre séjour. Vous serez de même
défrayé des frais du retour et il est à croire que le Prince vous donnera
quelques marques de ses bontés.
D'après ce détail il faut que vous me veniez trouver dimanche à
Marly avant onze heures pour que je sache positivement sur quoi
compter. Je fais dresser une petite instruction sur l'objet de cette mis-
sion qui vous sera remise ce jour-là ou le lundi avant votre départ.
(1) Arch. Nat. 0» 1915».
toi l'art français sûr le RHIN
Rapport du comte d'Angivitler au Roi (l)
24 octobre 1779.
S. A. E. de Trêves faisant bâtir un château dans sa ville de Coblentz,
il s'est élevé beaucoup de doutes sur les plans et projets de son archi-
tecte. Elle m'a en conséquence demandé un architecte de Votre
Majesté pour aller sur les lieux lever ses incertitudes.
J'ai pensé ne pouvoir mieux faire que d'aller au devant des désirs
d'un Prince, oncle de Votre Majesté (2), et j'ai en conséquence choisi,
pour cette mission, le Sr Peyre le jeune, actuellement inspec-
teur à Saint-Germain-en-Laye, dont le talent et la probité me sont
connus.
Je supplie Votre Majesté de vouloir bien autoriser cet envoy et
l'absence d'environ un mois que cela occasionnera de la part du
Sr Peyre.
Congé en faveur du S'' Peyre le jeune pour aller
à Coblentz (3)
Du 26 octobre 4779.
Nous Avons permis sous le bon plaisir du Roy au S"" Peyre le
jeune de l'Académie Royale d'Architecture, Inspecteur des Bâtimensdu
Roy au Département de Saint-Germain-en-Laye, de s'absenter l'espace
de deux mois pour se rendre à Coblentz pour y vacquer au fait d'une
mission, passé lequel tems Mond. S"" Peyre sera tenu de revenir en
France reprendre ses occupations et fonctions de son état.
(1) Arch. Nat. 0» 1073.
(2) L'électeur de Trêves Clément Wenceslas était fils de l'électeur de Saxe,
roi de Pologne, Frédéric- Auguste III et par conséquent frère de la dauphine
Marie-Josèphe de Saxe, mère des trois derniers rois de la dynastie des Bour-
bons.
(3) Arch. Nat. 0» 1096, f. 287.
DOCUMENTS I05
Iiifitriicfion sommaire pour le voyage de M. Peyre
L'objet du voyage de M. Peyre est de corriger quelques défauts des
plans et projets donnés pqr M. d'Ixnard pour le palais que Son Altesse
Royale et Électorale de Trêves a commencé de faire bâtir à Goblentz,
On luy remet à cet effet et pour commencer à prendre connaissance de
l'affaire le rapport qu'ont fait les commissaires de l'Académie Royale
d'architecture sur ces projets.
Il parait que depuis l'envoy de ce jugement, M. d'Ixnard a tenté de
corriger les défauts observés par les commissaires de l'Académie.
Mais suivant des lettres écrites de Goblentz, les rectifications sont pires
que les défauts.
M. Peyre à son arrivée à Goblentz doit aller d'abord chez M. le comte
de Moustier, Ministre Plénipotentiaire du Roy auprès de Son Altesse
Électorale, auquel il est recommandé par une lettre de M. le Direc-
teur général qui le précédera de quelques jours.
Il ira de là chez M. de la Roche, chancelier du Prince, qui lui a fait pré-
parer un logement et qui lui remettra les plans de M. d'Ixnard pour en
prendre connaissance et les conférer avec les rapport de l'Académie.
On recommande à M. Peyre de mettre dans sa commission toute la
prudence et la circonspection possibles pour ne point occasionner aU
Prince des dépenses superflues ou considérables, attendu que les reve-
nus de l'Électorat sont fort bornés et à faire en sorte que cet envoy
d'un architecte français tourne entièrement à Thonneur de la nation,
ce qu'on a droit d'attendre de son talent et de ses autres qualités.
Le comte (TAngiviller à M. de Crolbois, agent de
S. A. E, de Trêves (i)
26 octobre 1779.
La personne, Monsieur, qui vous remettra cette lettre est M. Peyre
qui est l'architecte que j'ai choisi pour aller à Goblentz d'après la
demande que m'a fait faire S. A. E. de Trêves pour concilier ses archi-
(1) Arch. Nat. 0* 1915»
I04 L*ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
tectes et lever les difficultés qui les divisent. Connaissant son talent et
sa probité, j'ai tout lieu de croire qu'il remplira cette mission à la satis-
faction de ce Prince. Je lui ai remis une copie du rapport de l'Académie
concernant les plans et projets de M. d'Ixnard avec une courte instruc-
tion sur ce qu'il a à faire. Je vous prie de lui remettre la somme qu'il
vous demandera pour se rendre à Coblentz, son départ devant être
très prochain.
Le comte d'Angiviller au comte de Moustier |l)
Versailles, 26 octobre 4779.
Je ne 'doute point, Monsieur, que • vous n'ayiez été prévenu de la
demande que Son Altesse Électorale m'a faite par l'entremise de son
ministre, M. le baron de Hohenfels, de lui envoyer un architecte de
l'Académie pour prendre sur les lieux connaissance des plans de
M. d'Ixnard. Je viens en conséquence de faire choix pour remplir cette
mission de M, Peyre le jeune dont les talens et la probité me sont con-
nus. Permettez-moi de vous le recommander et de vous demander pour
lui vos bontés pour le temps qu'il doit passera Coblentz...
Je crois voir, ainsi que vous m'aviez fait l'honneur de mêle marquer,
qu'il y a un vif parti contre l'architecte français. C'est pour cette raison
que j'ai redoublé d'attention à envoyer à Coblentz un architecte sur
l'honnêteté duquel je crûsse pouvoir compter. J'ai lieu de croire que
celui dont j'ai fait choix réunit cette qualité au talent dont quoiqu'en-
core jeune il est doué et qu'il agira dans cette commission avec impar-
tialité et prudence.
M. d'Ixnard m'ayant écrit et prié de lui faire passer ma réponse par
votre entremise, voulez-vous bien que je vous prie de la lui faire parvenir.
Le comte de Moustier au comte d'Angivitteri^)
Coblence, le 8 novembre 4779.
Je n'ai été instruit, Monsieur, de la demande que l'Électeur vous avait
faite qu'après coup...
M. Peyre est arrivé hier. Je m'étais proposé de le recevoir chez moi ;
(1) Arch. Nat. 0» 1915».
(?) Arch, Nat. O» 1914».
DOCUMENTS
io5
mais l'Électeur lui a fait préparer un logement à portée de lui et de
son Chancelier, qui est le chef de l'entreprise du nouveau palais...
Vous apprendrez de lui-même, Monsieur, tout le détail de cette affaire
qui en est devenue une sérieuse pour l'Électeur par la précipitation
qu'on a mise dans la construction de ce bâtiment qui a été commencé
même avant qu'il y eût un plan arrêté : de sorte qu'aujourd'hui on est
dans le cas de craindre d'avoir fait une entreprise trop considérable.
J'ai déjà parlé à l'Électeur de la nécessité de faire le sacrifice d'une
partie de ce qui est commencé et il me semble que ce serait aussi l'avis
de iM. Peyre. Car l'Électeur de Trêves qui est un très haut n'est pas un
très puissant Seigneur. Il y a cela de malheureux dans l'entreprise du
nouveau palais, c'est que tout le monde la trouve trop grande et l'em-
placement mal choisi : tel est l'effet de la précipitation.
Peyre au comte d'Angiviller (i)
Coblence, le 26 novembre 1779.
Monsieur le Comte, La protection particulière dont vous m'honorez,
la confiance que que vous avez eu en moy en me préférant à nombre
d'habiles gens pour la mission honorable dont vous m'avez chargé
auprès de l'Électeur, la reconnaissance que j'aurai éternellement de
vos bontés sont des motifs qui n'eussent pas dû me permettre de dif-
férer à vous donner plus tôt le témoignage de cette reconnaissance si
je n'eus craint de vous importuner trop souvent et n'eus préféré
attendre pour vous rendre compte de la réussite de ma mission.
L'Électeur m'a reçu avec toute l'affabilité possible. Après m'avoir
remis les plans qu'il avait chez luy pour résoudre la difficulté qui avait
déjà été présentée à l'Académie, il m'engagea de m'occuper des
moyens de diminuer la dépense qui excéderait indubitablement de
beaucoup la somme que les États avaient accordée pour la construction
de cet édifice. Je luy ai donné le moyen d'œconomiser la moitié de la
dépense sur le projet général et au moins un tiers sur ce qu'on se pro-
posait d'édifier dans ce moment, en supprimant deux ailes inutiles et
beaucoup de bâtimens accessoires. Je luy ai proposé une distribution
dans le seul corps de bâtiment, sans ailes, plus considérable et beau-
coup plus commode que celle qui occupait la totalité et un plan de
(1) Arch. Nat. 0« 19153.
iOÔ l'art français sur le RHIN
disposition générale qui présente un aspect plus grand, plus majes-
tueux et infiniment plus gai. J'ai diminué aussi la hauteur de tout le
bâtiment au moyis de douze pieds. J'ai supprimé les dômes et couron-
nemens énormes qui s'élevaient à cent pieds du sol. J'ai proposé un
seul ordre dans les avant-corps des deux faces qui embrasse le rez-de-
chaussée et le premier étage et qui donne un tout autre caractère à ce
monument. J'ai fait ces changemens qui sont considérables en me ser-
vant de ce qui est déjà construit.
L'Électeur m'a paru très satisfait de mes projets. II tient pourtant à
se servir de quelques fondations qui sont faites dans la partie des ailes.
Je luy ai fait un autre plan général où je m'en sers pour des bâtimens
accessoires ; mais; l'aspect du palais perdrait de sa dignité et aurait
plutôt le caractère d'une maison de plaisance que d'un palais de
ville. L'Électeur est persuadé de cette vérité ; il se décidera sur
cet objet pendant que je vais étudier les plans pour en faciliter
l'exécution.
J'ose espérer. Monsieur le comte, que je parviendrai à remplir vos
vues en satisfaisant l'Électeur à tous égards et qu'en me faisant hon-
neur, je pourrai mériter de plus en plus la confiance dont vous m'avez
honoré.
Le comte d'Angiviller à Peyre i^)
Versailles, le 9 décembre 1779.
J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 26 du mois dernier par laquelle
vous me rendez compte de l'accueil que vous avez reçu de Son Altesse
Royale et Électorale et du travail que vous avez commencé pour rem-
plir ses vues. Je vois avec beaucoup de plaisir par les détails où vous
entrez sur ce dernier objet que vous avez déjà trouvé le moyen de
beaucoup simplifier le projet et diminuer la dépense. Je n'afi nullement
besoin de vous exhorter à faire vos eiforts pour achever de remplir
les vues de ce Prince que je m'estimerai heureux d'avoir pu servir
dans cette occasion intéressante, en même temps que je serai fort
satisfait d'avoir mis un de nos artistes à portée de se faire honneur et
à la nation.
(1) Arch. Nat. 0» 19153.
DOCUMENTS ÏÔ7
Le comte de Mousiier au comte (TAngiviller
Coblence, le 19 décembre 1779.
Vous apprendrez, Monsieur, par M. Peyre lui-même tout ce que sa pré-
sence ici a fait naître de changement dans l'entreprise du palais que
fait construire l'Électeur. Il était naturel que ce Prince lui ayant de-
mandé de nouveaux plans, ils eussent la préférence. Je ne vous ferai
pas réloge de la preuve qu'il a faite de ses talens ; vous les avez jugés
Monsieur, et l'approbation qu'ils ont méritée de votre part était un ga-
rant de la manière dont il les a déployés. Le témoignage qu'il m'appar-
tient de lui donner est de vous assurer que sa conduite a été pendant
tout son séjour ici à tous égards très prudente et qu'il a réuni tous les
suffrages, à commencer par celle de l'Électeur. J'espère qu'il part
dMci également satisfait de tout le monde.
Le S"" d'Ixnard a demandé lui-même sa démission par mon canal en
se louant extrêmement de M . Peyre. Celui-ci nous est devenu néces-
saire ; ainsi nous vous le demanderons, Monsieur, encore plus d'une
fois. Je serai pour ma part fort aise de le revoir ici et à Paris.
L'Électeur de Trêves au comte d'Angiviller (*)
Ehrenbreitstein, le 20 décembre 4779.
Monsieur, n'ayant pas douté que vous ne seconderiez avec plaisir mes
intentions en vous demandant un habile architecte qui fût en état
d'aplanir les difficultés survenues entre mes architectes à l'égard du
plan de la Résidence à construire, je vois avec un vrai contentement
mes vues accomplies par les opérations du S»" Peyrez {sic), que vous
aviez la bonté de m'envoyer à cet effet. Il mérite tout à fait les témoi-
gnages de confiance dont vous l'honorez, ayant rempli cette commis-
sion en homme intelligent avec autant d'habileté que de célérité, de
sorte que j'ai tout lieu d'en être content et que je suis d'intention de
faire dorénavant usage de ses lumières, vous priant également de faire
mettre sous les yeux de l'Académie et de faire approuver les plans qu'il
viendra dresser, dont il n'a pu délivrer jusqu'ici que l'esquisse.
(1) Arch. Nat, 0» 1915».
I08 l'art français sur le RHIN
nixnard au comte d'Angiviller (1)
Coblence, 6 janvier 1780.
Monsieur le Comte, agréez l'hommage de ma reconnaissance pour
la lettre pleine de bonté dont vous m'avés honoré. Les assurances que
vous voulés bien m'y donner de votre protection ont un peu adouci
mes peines; mais mon sort était jette.
Je n'ai qu'à me louer infiniment de l'honnêteté de M. Peyre. Il a
d'ailleurs rempli sa mission. Cependant j'espère que vous daignerez
convenir qu'avec mon expérience et Tàge de 57 ans, on n'est plus
tenté de travailler pour un autre : c'est ce qui m'avait décidé à
demander ma démission.
Le digne Prince n'a point voulu me laisser partir mécontent et m'a
donné des preuves de sa bienfaisance. Puissent-elles me rendre le
crédit que cet incident m'a peut-être fait perdre !
Le comte d'Angiviller à d'Ixnard
23 janvier 1780.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre par laquelle vous me faites part de ce
qui s'est passé à votre égard depuis l'arrivée de M. Peyre que m'avait
demandé Son Altesse Royale et Électorale de Trêves pour examiner les
objets qui vous divisaient d'avec les autres architectes de ce Prince. Je
suis fâché qu'il en ait résulté des changemens qui, adoptés par le
Prince, vous ayent mis dans le cas de vous retirer de son service. Vous
ne devez pas au reste trouver humiliant qu'un architecte de l'Aca-
démie Royale qui a étudié son art à Rome et qui l'exerce dans une
ville où la distribution est portée à la plus grande recherche ait trouvé
des moyens de décoration et de distribution qui ne se sont pas pré-
sentés à vous.
Je vois d'ailleurs avec plaisir que vous n'avez q^i'à vous louer des
procédés de M. Peyre (dont l'honnêteté m'avait déterminé autant que
le talent pour cette mission) et que le Prince vous a donné à l'occasion
de votre retraite des marques de bonté.
(1) Arch. Nat. 0» 1915*.
DOCUMENTS 109
Le comle d'Angiviller au comte de Moustier
Versailles, 12 janvier 1780.
Le S'Peyre... m'a fait part des corrections et changemens qu'il a
faits aux premiers plans proposés par le Sr d'Ixnard pour le palais de
Son Altesse Électoraleet j'ai lieu de croire qu'il doit en résulter pour
le Prince et plus d'agréments et une diminution considérable de
dépense. Je suis extrêmement flatté d'avoir aussi bien réussi dans le
choix que j'ai fait et d'avoir adressé à Son Altesse Électorale un artiste
qui a eu le bonheur de lui plaire.
Peyre au comte d'Angiviller
A Saint-Germain, ce 19 janvier 1780.
Monsieur le Comte, je n'ai pu trouver l'instant ce matin de vous
dire que l'Électeur m'avait chargé de le rappeler au souvenir du Roy
et de dire particulièrement à Monsieur combien il était sensible à
l'amitié qu'il luy avait témoigné lors de son séjour à Paris. Je vous
prie, Monsieur le Comte, de me faire scavoir comment je m'acquitterai
de cette commission.
Paris, 8 février 1780 (1).
Monsieur le Comte, j'ai l'honneur de vous faire part qne les dessins
des projets que j'ai faits pour le palais de l'Électeur de Trêves sont en
état d'être présentés à l'Académie.
(1) Arch. Nat. Qi 1915*.
Ua l'art français sur le rhin
Procès-verbaux de l'Académie d'Architecture (0
21 février 1780.
Mrs les Commissaires nommés pour faire rapport des projets de
M. Peire le jeune pour S. A. Électorale de Trêves ayant dit qu'ils le
présenteraient à la séance du lundi 28 février, l'Académie a dit que les
projets dont est question seront exposés jusqu'au dit jour dans la salle
d'assemblée afin qu'ils y soient soumis à l'examen de Mrs les Acadé-
miciens et qu'ils seraient prévenus de ladite exposition.
28 février 1780.
L'Académie étant assemblée, il a été fait lecture du rapport de
Mrs les Commissaires nommés pour l'examen des projets des édi-
fices à construire pour S. A. Électorale de Trêves et l'Académie, après
une seconde lecture et un examen desd. projets et les réflexions des
Commissaires et ayant écouté les réponses de M. Peire le j. aux
objections qui lui ont été faites, l'Académie a approuvé ce rapport
unanimement et a dit que copie d'icelui certifiée conforme serait en-
voyée à M. le Directeur général.
4 avril 1780.
L'Académie étant assemblée, M. Peire le jeune a fait lecture d'une
réponse aux objections que l'Académie a faites sur les projets des
plans du palais de S. A. Électorale de Trêves et lui a fait part en
présentant de nouveaux pians d'une partie des changements qu'elle
avait paru désirer.
L'Électeur de Trêves au comte d'Angiviller (2)
Ehrenbreitstein, le 28 décembre 1780.
Monsieur, Recevez mes remerciements pour la permission laquelle
vous avez bien voulu accorder à M. Peyre de se rendre pour quelques
semaines icy. Comme cependant le bâtiment de ma nouvelle Résidence
(1) Bibliothèque de l'Institut. Registre IX.
(2) Arch. Nat. 0» 1916».
DOCUMBNTfi ÎIÎ
exige dans ce moment bien des délibérations et que les desseins
doivent se faire pour les opérations de la campagne prochaine, je pré-
vois qu'il est impossible d'arranger tout avant trois ou quatre semai-
nes, d'autant plus que les journées très courtes et que les instructions
nécessaires pour les différents ouvriers, le devis et autres choses pa-
reilles prennent bien du tems.
Je vous prie donc instamment, Monsieur, de vouloir bien prolonger le
congé de M. Peyre jusque vers la fin du mois prochain ou le 12 février.
Vous m'obligerez par cette complaisance très particulièrement.
Le comte cV Ang'willer à V Electeur de Trêves (l)
Versailles, le 12 janvier 1781.
J'ai reçu la lettre dont Votre Altesse Royale et Électorale m'a honoré,
et par laquelle Elle me demande une prolongation de congé en faveur
de M. Peyre, attendu la multiplicité et l'importance des détails qu'il a
à arrêter pour le projet de votre Palais Électoral.
J'avoue, Monseigneur, que j'aurais fort désiré que son absence n'eût
pas été prolongée au delà des Roys ou au plus jusqu'au milieu de
janvier, parce que le roy chassant pendant ces deux mois dans le
département dont je lui ai confié l'inspection (i^), sa présence peut d'un
moment à l'autre y être nécessaire pour recevoir ses ordres.
Comme néanmoins je ne peux rien refuser à Votre Altesse Royale et
Électorale, je tâcherai d'y suppléer et je consens que le S"* Peyre pro-
longe son absence jusqu'aux premiers jours de février. Je souhaite
fort que ce temps soit employé de la manière la plus utile à votre
service.
Peyre au comte d'Angiviller
A S^ Germain en Laye, ce 9 mars 1782.
Monsieur le Comte, j'ai eu l'honneur de vous faire part que S. A. R.
FÉlecteur de Trêves m'a fait demander paur aller à Coblence immédia-
tement après Pâques. Comme Sa Majesté doit terminer ses chasses la
(1) Arch. Nat. 0^ 1916.
(2) Saini-Germain-en-Laye.
112 L'ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
semaine prochaine et que ce temps sera suivi de la quinzaine de Pâ-
ques, j'ai pensé qu'il serait à propos de profiter de cet interval.
Je vous prie, Monsieur le Comte, de m'accorder la permission de me
rendre auprès de ce Prince pendant ce temps et d'être persuadé que
les affaires du département dont vous m'avez confié le soin n'en éprou-
veront aucune négligence.
L'Électeur de Trêves au comte (TAngiviller (i)
Coblence, ce 28 avril 1783.
Recevez, Monsieur, mes remerciements pour la permission que vous
avez bien voulu accorder à M. Peyre. Je suis infiniment content de
son zèle, de ses talents et de ses vues œconomiques. Soyez donc très
persuadé de toute ma reconnaissance.
Clément.
L'Électeur de Trêves au comte d'Angiviller (2)
Ehrenbreitstein, 7 janvier 1784.
Monsieur, Comme le bâtiment de ma nouvelle Résidence exige que
M. Peyre fasse la revue des ouvrages qu'on a faits l'année passée et
qu'il donne les ordres nécessaires et quelques plans pour la campagne
prochaine, je désirerais beaucoup qu'il se rende ici le mois de février
pour quatre ou six semaines.
Ehrenbreitstein, le 1" ipai 1784 (3).
Recevez, Monsieur le Comte, mes remerciements pour la permission
que vous avez bien voulu accorder à M. Peyre de se rendre ici. Je
suis infiniment satisfait du zèle avec lequel il a soigné les objets qui
(1) Arch. Nat. 0^ 1916».
(2) Arch. Nat 0' 1917*.
(3) Arch. Nat. 0» 19173.
DOCUMENTS tl3
ont demandé sa personne. Il a fait un travail extraordinaire cette fois
avec une assiduité dont on trouve peu d'exemples et je suis plus
convaincu que jamais qu'il est supérieur dans son art et qu'il possède
autant de talents que de probité.
L'Électeur de Trêves au comte d'Angiviller (i)
Ehrenbreitstein, le 23 décembre 4784.
J'espère, Monsieur le Comte, que cela sera pour la dernière fois que
je serai dans le cas de vous prier pour une permission pour M. Peyre ;
mon nouveau bâtiment sera aches'é dans un an au plus tard.
Vous m'avez toujours accordé la permission pour M. Peyre de si
bonne façon que je n'hésite point, Monsieur le Comte, de vous la
demander encore dans le courant du mois de février pour environ six
semaines.
Comme grand connaisseur en bâtiments, vous sentirez fort bien,
Monsieur, que la présence de M. Peyre est d'une nécessité absolue,
parce que ce n'est que lui qui peut me tranquilliser sur ce qu'on a fait
depuis et ordonner ce qu'on a à faire pour la campagne prochaine.
Au château de Schœnbornslust, le 13 mai 1785.
Recevez, Monsieur, mes remerciemens pour la permission laquelle
vous avez bien voulu accorder à M. Peyre de se rendre pour quelques
semaines ici. Je suis fort content du zèle et du travail que M. Peyre a
mis dans le bâtiment de ma nouvelle Résidence.
Le comte d'Angiviller à Peyre (2)
Versailles, le 5 mars 1786.
Son Altesse Royale M«r TElecteur de Trêves m'écrit de nouveau pour
que je vous accorde la permission d'aller passer quelques semaines à
(1) Arch. Nat. 0' 19173.
(2) Arch. Nat. 0» 1919».
Il4 LART FRANÇAIS SUR LB RlllN
Coblentz pour y terminer les opérations relatives à la construction de
son palais. Je lui marque que je suis très empressé à faire à cet égard
tout ce qui peut lui être agréable, mais que les chasses que le Roy fera
dans le courant de ce mois à S' Germain doivent pour raison de votre
service vous retenir encore ici quelque tems et au moins jusque vers
la fin de mars. Lors donc que les chasses commenceront à tirer à leur
fin, vous pourrez vous absenter pour le tems fixé, après néanmoins,
suivant Tusage, avoir pris les précautions convenables pour que rien
ne souffre de votre absence. Je vous invite à faire tout ce qui pourra
dépendre de vous pour l'abréger le plus que vous pourrez.
V Électeur de Trêves au comte (TAngiviller
Au château de Schœnbornslust, le 23 may 1786.
Recevez, Monsieur, mes remerciemens pour la permission laquelle
vous avez bien voulu accorder à M. Peyre de se rendre pour quelques
semaines ici. Je suis fort content de son zèle et du travail qu'il a fait
pendant son séjour ici. J'espère et je désire de le revoir le printemps
prochain pour qu'il puisse examiner ce qu'on fera pendant son
absence et recevoir de moi une ;marque particulière de ma satis-
faction.
Peyre au comte d'Angiviller (l)
St Germain en Laye, le 19 juillet 1788.
Monsieur le Comte, A mon dernier voyage à Coblence en 1786, Son
Altesse Sérénissime Electorale me témoigna le désir que je fisse encore
un voyage au printemps 1787; le Prince ayant fait suspendre ses tra-
vaux pendant l'année dernière n'a pas exigé que je fisse le voyage. Il
me demande pour quinze jours ou trois semaines pour terminer entiè-
rement cette affaire. ... Je vous prie. Monsieur le Comte, de vouloir
bien m'accorder un congé.
(1) Arch. Nat 0» 1920».
bocthcÈNTS ii5
Le comte d'Angiviller à Peyre
23 juillet 1788.
Je ne prévois pas, Monsieur, qu'aucun objet essentiel pour le service
du roy s'oppose au voyage que S. A. E. de Trêves désire que vous fas-
siez chez elle, pour donner le dernier coup d'œil au palais que vous
lui avez construit. Ainsi vous pouvez vous mettre en route quand vous
le voudrez.
DESCRIPTIONS DU PALAIS ÉLECTORAL DE COBLENCE
Voyage sur le Rhin de Mayence à Dusseldorf (1808)
Ce qui a déterminé l'Electeur à ne plus habiter l'ancien château
électoral, au pied de la forteresse d'Ehrenbreitstein, c'est d'abord, dans
les tems d'hiver, son humidité qui le rend très malsain, ensuite les
débâcles dangereuses des glaces que roule le Rhin, enfin la crainte
de voir un jour le rocher, dont déjà plusieurs quartiers se sont
détachés et qui penche sur le château, s'écrouler en entier et
l'abimer sous ses ruines; toutes ses incommodités réunies ont
engagé l'Élecleur actuel à faire élever un nouveau bâtiment digne
de sa grandeur.
Déjà ce dessein est exécuté. 11 a dit : que cela soit et au côté gauche
du Rhin, dans un site agréable et riant s'est élevé un palais simple,
noble et majestueux, réunissant à la fois, ce qui est si rare^
somptuosité, commodité et solidité ; il est digne en tout du Prince
qui l'a créé.
lié l'art français sur le RfilN
Ce palais dont la façade principale est du côté de l'ouest de la
ville a, outre le grand corps de logis, deux bâtiments circulaires
qui lui sont contigus : ils contiennent la garde du château, les
offices, les cuisines, les écuries et les remises. La cour belle et
spacieuse est fermée par une grille simple et solide. Le bâtiment
principal est dans les plus belles règles de l'architecture ; il est
élevé de trois étages; huit colonnes de l'ordre ionique soutiennent
à sa façade un balcon très large. Ces colonnes se détachent assez
du bâtiment pour former un vestibule sous lequel on descend des
voitures à l'abri de la pluie.
La façade du côté du Rhin n'est ornée que de six colonnes qui se
détachent moins du mur et portent un bas-relief bien travaillé.
Il est difficile de décrire les beautés intérieures de ce château; tout
y est riche et élégant, beau sans ornements superflus. Tous les appar-
tements particuliers du second étage sont nobles, commodes et supé-
rieurement distribués.
En entrant dans la salle à manger, on se croît transporté dans les
plus beaux siècles de la Grèce: les murs sont couverts de superbes ara-
besques; de hautes niches renferment .des statues parfaites montées
sur de riches piédestaux. Dans celui qui porte la déesse Cérès
on a adroitement ménagé un poêle qui répand des tuyaux de
chaleur dans cette salle à manger, dans celle du concert et dans
celle d'audience.
Je ne parlerai ni de la chambre appelée la chambre de Bavière ni
même de la belle chapelle qui est dans l'aile droite; mais je ne puis
passer sous silence la salle d'audience qui se dislingue surtout par sa
magnificence et sa majesté, quoiqu'un peu trop petite. On y admire les
tableaux des David, des Ménageot qui soutiennent avec tant d'éclnt
l'honneur de TÉ-îole française. On ne peut s'arracher de devant ceux
qui retracent la Continence de Scipion, la Clémence d'Auguste et Marc-
AntoinQ distribuant du blé et de l'or au peuple romain. Le plafond est
peint à fresque par J. Zick (1) : il y a peint la Justice ordonnant aux
Vertus et aux génies qui l'environnent de punir les Vices.
Plusieurs pendules d'un goût exquis, des lustres, des glaces augmen-
tent encore la beauté et Téclat de celte salle; les cheminées du plus
beau marbre d'Italie sont ornées de bronzes dorés, supérieurement
travaillés; le dais est de velours rehaussé d'une riche broderie d'or;
tous les autres meubles et les rideaux sont assortis. Rien enfin ne
manque à la magnificence de cette salle.
(1) L'esquisse de ce plafond était de Lagrenée jeune. Voir plus loin le livret
du Salon de 1795.
DOCUMENTS II7
Peyre. — Œuvres d'architecture. Paris, 1818 (i)
Depuis plusieurs siècles, la résidence de l'Électeur de Trêves était à
Coblentz, ville située au confluent du Rhin et de la Moselle ; mais le
château étant bâti de Tautre côté du Rhin, adossé contre le rocher qui
supportait la forteresse d'Erebrinstein {sic) et séparé de la ville par le
fleuve, S. A. E. était privée de voir les personnes de sa Cour pendant
l'hiver et lorsque le Rhin charriait des glaces ou était entièrement
gelé. Un autre inconvénient, non moins grave, rendait Thabitation de
ce château dangereuse : des pierres se détachaient souvent du sommet
du rocher et, dans leur chute, avaient écrasé plusieurs parties des bâti-
ments.
Ces considérations, et plus encore le mauvais état de ces bâtiments
qui nécessitait des réparations continuelles et des reconstructions
énormes, déterminèrent le Prince et les États à faire construire un
château près de la ville. On appela un architecte de Strasbourg, qui fit
des plans et un devis montant à cent mille écus (cinq cent mille francs
de notre monnaie). Ces projets acceptés, on suivit les travaux avec la
plus grande activité.
Les fondations du principal corps de logis n'étaient pas entièrement
construites, pas une cave n'était voûtée, quelques parties des murs de
face avaient été élevées pour satisfaire la curiosité de l'Électeur, lors-
qu'on s'aperçut qu'on s'était trompé dans l'estimation de la dépense ; en
effet- les cinq cent mille francs étaient déjà employés. On suspendit
alors les travaux et l'on fit un nouvel examen d'où il résulta que le
projet était vicieux sous tous les rapports.
L'Électeur fit demander à la Cour de France un architecte pour
rectifier ces erreurs : c'est alors, en 4779, que je fus envoyé à
Coblentz. Je trouvai le plan du château beaucoup trop vaste pour les
besoins du service du Prince ; je proposai de supprimer deux grandes
ailes dont les fondations étaient faites, ce qui réduisait le bâtiment
à moins des trois cinquièmes de sa superficie ; et je fis une nouvelle
distribution dans ce qui restait, en m'assujettissant aux murs qui
étaient fondés.
(1) Notice accompagnant les dessins de plans, coupes, élévations et profils
de ce châtean.
Il8 l'art français sur le RHIN
QuATREMÈRE DE QuiNCY. — NoHce historique sur la vie et
les ouvrages de M. Peyre. 1828.
Désigné en 1779 pour rectifier les erreurs de d'Ixnard à Coblentz,
son premier soin fut de réduire le plan démesuré de son prédécesseur
qui avait agi sur le terrain comme sur le papier, où l'on peut impuné-
ment extravaguer.
Il sut élaguer beaucoup de superfluités dispendieuses sans tomber
dans la froideur et dans la monotonie.
L'élévation du palais offre, en hauteur, deux ordonnances variées ;
et la longueur de la masse totale, divisée par un avant-corps en
colonnes, aboutit de chaque côté à une partie circulaire qui, par le
plan, rappelle les colonnades de la place de Saint-Pierre et forme une
heureuse opposition à la ligne droite de la face.
Percier ET Fontaine. — Résidences de souverains,
Paris. i833.
La résidence principale des princes électeurs archevêques de Trêves
était anciennement sur la rive droite du Rhin, en face de la ville de
Coblentz, au pied de la Forteresse d'Ehrenbreitstein. Les glaces, les
grandes crues d'eau du fleuve, pendant l'hiver, interceptaient souvent
la communication du palais avec la ville, dans laquelle se trouvaient
toutes les administrations du gouvernement. Des masses de pierres,
détachées de l'énorme rocher à pic, sur lequel s'élève la forteresse,
avaient, à différentes époques, causé de grands dommages et même
écrasé des parties de bâtiment considérables. Ces inconvénients, ces
dangers, et plus encore la nécessité de rebâtir ou de restaurer presque
en entier le palais qui, de tous côtés, tombait en ruine, et dont la dis-
tribution était incommode, déterminèrent le prince électeur archevêque
de Trêves, Clément Venceslas Hubert François Xavier, fils du roi de
Pologne Frédéric-Auguste III, à faire construire, en meilleure position,
un nouveau palais sur la rive gauche du Rhin, à l'extrémité sud-est de
la ville de Coblentz.
Plusieurs architectes ayant été appelés à présenter des projets, ceux
DOCUMENTS II9
de Michel^Dixnard, directeur des bâtiments de l'Électeur, furent préfé-
rés parce que, malgré la grande étendue de son plan, le devis des
dépenses ne s'élevait qu'à la somme de 500 mille francs.
Le 30 mai 1778, le prince fit commencer les fouilles et posa solennel-
lement la première pierre de cet édifice. Mais lorsque, vers la fin de
l'année 1779, les constructions s'élevaient à peine à la hauteur du sol,
et avant même que les caves fussent voûtées, on reconnut, d'après
l'estimation des choses faites, dont la dépense outrepassait déjà le mon-
tant du premier devis, que l'entière exécution du plan, tel qu'il était
conçu, coûterait indubitablement au moins trois millions.
On arrêta le travail, on demanda à l'architecte d'autres plans, avec
des changements et des réductions sur lesquels l'Académie royale
d'architecture de Paris ayant été directement consultée, son secrétaire
perpétuel, M. Sedaine, répondit que l'Académie ne pouvait, sans l'as-
sentiment du directeur général, ordonnateur des Bâtiments et Manu-
factures, M. le comte d'Angivilliers, et sans un ordre spécial du roi
prendre connaissance d'un travail qui était étranger à ses occupations
habituelles et sur lequel il était difficile qu'elle pût avoir des notions de
localité suffisantes. Le prince, d'après cette réponse évasive, adressa
directement sa demande au roi Louis XVI, et de suite l'Académie reçut
par M. le comte d'Angivilliers les nouveaux projets de M. Dixnard,avec
l'ordre de les examiner en détail et d'indiquer les rectifications qu'elle
jugerait nécessaires. L'Académie, dans l'alternative délicate et difficile
d'avoir à prononcer sur le mérite d'un ouvrage commencé et d'avoir à
donner son avis sur des dispositions locales 'qu'elle était hors d'état de
bien apprécier, proposa d'envoyer sur les lieux l'un de ses membres
les plus distingués et désigna à cet effet M. Antoine-François Peyre, dit
Peyre le jeune, qui avait alors environ quarante ans.
M. Peyre, déjà célèbre dans son art, se rendit à Coblentz dans le
mois d'avril 1780 (1). Ayant examiné l'état des constructions, déjà éle-
vées, avec cette justesse d'esprit, cette sagacité de bon goût et de
jugement qui caractérisaient son grand talent, ayant pris sur chaque
chose des renseignements et des informations utiles, il fit un projet
que l'Electeur approuva et dont Son Altesse ordonna sur le champ
l'exécution.
M. Peyre se trouvant ainsi chargé d'améliorer une conception qui-
n'était pas la sienne et de ne faire en quelque sorte qu'une restauration,
remplit avec art et sagesse la tâche difficile qui^ lui était imposée. Il
supprima deux grandes ailes déjà fondées, changea les divisions du
corps de logis principal, en refit les distributions pour les rendre plus
(1) C'est une erreur. Le congé de Peyre pour aller à Coblentz est daté du
26 octobre 1779 et il s'y rendit pour la première fois le 7 novembre 1779.
120 L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
commodes et plus agréables, donna à chaque partie une proportion
qui s'accordait mieux avec l'ensemble général, construisit deux bâti-
ments circulaires moins élevés en avant du palais pour loger la garde et
le service du prince, disposa la grande place et les avenues qui précè-
dent l'entrée de manière à s'accorder avec la situation de la ville et à
tirer avantage de la disposition des rues qui aboutissent au palais*
Enfin, après huit années de travaux, après quelques interruptions, le
palais neuf de Coblentz, entièrement terminé, a été habité par le prince
électeur le 23 novembre 1786. Le montant total des dépenses s'est
élevé à la somme de \ million 985 mille francs.
Dans le nombre considérable des belles choses qui composaient
l'ensemble de cet édifice, on distingua la chapelle, la galerie, la salle
du trône, le grand escalier et le péristyle d'entrée. On admira la distri-
bution des grands et des petits appartements et surtout l'ingénieuse
variété des ornements dont chaque pièce était décorée. On remarqua,
ce qui n'était pas ordinaire alors, que la sculpture et la peinture s'al-
liaient d'une manière remarquable dans une harmonie rare, dans un
accord parfait, sans nuire à l'architecture.
Mais le prince-électeur ne devait pas jouir longtemps des charmes du
séjour que ses épargnes, la persévérance et les talents de M. Peyre lui
avaient préparé. Coblentz, dès l'année 1789, était devenu le lieu de
réunion des émigrés qui fuyaient la révolution de France; et lorsque,
le 23 octobre 1794, les armées républicaines, sous les ordres du général
Jourdan, s'emparèrent de cette ville, il fallut démeubler le palais, le
dépouiller de ses ornements, enlever ses richesses et quitter pour tou-
jours une habitation qui, ne pouvant plus être celle d'un souverain,
devait désormais servira d'autres usages.
L'archevêque de Trêves, dépossédé de ses Etats, se retira en Souabe,
à Oberdorf, où, le 13 juin 1812, à l'âge de soixante-treize ans, il ter-
mina ses jours. Son palais... devint, pendant laguerre de la Révolution,
successivement le quartier-général des armées, le magasin ou le dépôt
des approvisionnements et souvent l'hôpital des blessés.
Nous avons été chargés en mai 1809, par l'empereur Napoléon, de
visiter le château de Brùhl, résidence particulière de l'électeur de
Cologne, et celui de Coblentz afin de rendre compte de l'état dans lequel
se trouvaient ces deux habitations et d'indiquer la destination qu'elles
pouvaient recevoir. Le projet de l'empereur était alors de donner le
palais deBrûhl au capitaine général qui devait avoir le commandement
militaire de toute la province de ce coté et de consacrer celui de
Coblentz à des établissements d'administration publique. Nous trou-
vâmes ce dernier rempli d'effets d'équipement pour les troupes et très
dégradé. Des ordres ont aussitôt été donnés pour débarrasser les lieux
et des sommes ont été accordées pour entreprendre les rétablissements
indispensables.
DOCUMENTS 121
II. — Château de Kârlich
EYRE. — Œuvres d'architecture. Paris 1818.
L'Électeur de Trêves m'avait demandé, en 4788, les projets d'un
pavillon qu'il voulait faire construire dans les jardins du château de
Kerlich.
Ce château est situé sur les bords du Rhin, à deux lieues N. 0 de
Goblentz, au pied d'une montagne couverte d'un bois magnifique ; des
sources abondantes sortent de cette montagne. L'Electeur fit diriger le
cours de ces eaux, qui allaient naturellement se perdre dans le Rhin^
de manière à ce qu'elles fussent utiles et qu'elles produisissent en
même temps des effets agréables et pittoresques; elles font mouvoir des
usines, alimentent des fontaines, baignent le pied de la maison d'un
garde, traversent un bosquet couvert d'un bois épais où le soleil ne
pénètre jamais et vont se précipiter parmi des rochers d'où elles sor-
tent en cascades pour arroser les beaux jardins du château de Kerlich.
L'Électeur demandait que le pavillon fût construit dans le jardin,
entre la forêt et le château et qu'il réunît à tout l'agrément possible la
commodité du service. 11 voulait qu'il contint deux appartements, un
pour lui, l'autre pour l'Altesse royale de Saxe, sa sœur.
Je projetai un pavillon carré, au centre duquel est une volière qui
s'élève du sol de grottes pratiquées dans le soubassement ; on devait
entrer dans ce pavillon du côté de la forêt par un premier vestibule et
l'entrée du prince aurait été du côté du château par un portique orné
de six colonnes d'ordre dorique. Les escaliers des souterrains et des
étages supérieurs sont placés dans les angles du bâtiment.
L'usage en Allemagne, et particulièrement dans la partie du bas
Rhin, est de faire de la musique dans les maisons de plaisance des
princes et des grands seigneurs pendant l'heure des repas et des
assemblées. J'ai en conséquence pratiqué dans le grand vestibule qui
règne autour de la volière quatre tribunes où les musiciens eussent été
distribués. Les sons de la musique entendus distinctement de toutes
les pièces du pavillon se seraient mêlés au chant mélodieux des oiseaux.
Quelques années avant de me demander les plans de ce pavillon,
S. A. E. m'avait chargé de composer une décoration pour l'intérieur de
la salle à manger de l'ancien château. Je proposai de le décorer d'un
ordre dorique et de faire un entablement en plâtre ou en bois qui eût
régné dans tout le pourtour de la salle. Toute la partie inférieure eût
été peinte ; le côté en face des croisées eût offert l'aspect d'un portique
ouvert sur un jardin orné de fontaines jaillissantes et de statues de
marbré,
122 l'art français SUR LE RHIN
Salon de 1795.
PEYRE, — 2041. Plan, coupe, élévation en perspective d'un cazin, projette
en 1788 pour les jardins de Kerlich (1) sur le Rhin dans l'Électoral de
Trêves.
L'abondance des eaux venant de la montagne eut permis de former le
soubassement en cascade. On en a profité pour pratiquer plusieurs fon-
taines dans l'intérieur du Pavillon et des Grottes. Une volière au centre
est entourée d'une gallerie qui donne entrée aux pièces principales.
Un jet d'eau au milieu de la volière, d'autres au centre des escaliers,
des fontaines dans les quatre petites cours eussent procuré de la fraî-
cheur et un spectacle d'autant plus agréable qu'elles se seraient plu-
sieurs fois reproduites à la vue. Leur murmure et le chant des oiseaux
auraient ajouté de nouveaux charmes.
20 i2. Esquisse d'un plafond qui a été exécuté dans la salle d'audience de
l'Électeur de Trêves.
Le plafond qui a été peint est La Justice terrassant le vice.
Le sujet du Lever du soleil dans cette esquisse a été dessiné par le
G. Lagrenée jeune (2).
2046. Dessin d'un candélabre exécuté en argent pour l'Électeur de Trêves.
III. — Pavillon et ferme de Thiburg, près Trêves
M. le baron de Kerpen, chanoine du chapitre électoral et gouverneur
de la ville de Trêves, avait en apanage la censive de Thiburg, située à
une lieue de la ville sur les bords de la Moselle et dans une position
admirable. Ge prélat me demanda les projets d'une ferme et d'un très
petit pavillon d'où il pût jouir de tout l'agrément de cette belle situation
et inspecter en même temps les travaux de la ferme. Il désirait que ces
bâtiments contribuassent à l'ornement du cours de cette rivière qui,
depuis Trêves jusqu'à Coblentz, est délicieuse par la variété des sites,
par de jolies habitations qui la bordent, par la beauté de la campagne,
la variété des bois, des rochers et par le concours des voyageurs qui
vont par eau de Trêves à Goblentz.
(1) Kârlich.
(2) Le plafond de la salle d'audience du palais électoral de Coblence fut
peint d'après l'esquisse de Lagrenée, par J. Zick.
DOCUMENTS 123
V. Electorat de Cologne
L'Électeur de Cologne Joseph Clément à V architecte
Robert de Cotte (i)
Lille, le 43 août 1704.
L'embarras d'un voyage. M., et d'autres affaires importantes que j'ay
eues avant mon départ de Namur m'ont empêché de répondre plus tôt
à la lettre que vous m'avez écrite le 22 du mois de juin dernier.
A présent que je commence un peu à respirer, mon premier soin a
été de vous remercier de l'honnêteté avec laquelle vous avez bien voulu
examiner le mémoire que je vous avais envoyé pour l'église que j'ay
dessein de faire bâtir à Bonn (2), Je vous prie de faire travailler aux
desseins le plutôt qu'il sera possible et avec le tems je vous demanderay
aussy votre avis sur ce que je pourray faire pour rétablir mon jardin
de Poppelsdorf qui est fort délabré aussi bien que la maison et pour
cet effet je vous en envoyeray un plan exact avec tout ce qui en dépend
pour que vous ayiez la bonté de me dire votre sentiment là-dessus.
Lille, le l^"" avril! 709.
Je suis fâché, Monsieur, d'être obligé de vous importuner si sou-
vent; mais votre honnêteté vous attire cet embarras... Comme malgré
mon absence on ne laisse pas de travailler toujours à mon palais de
Bonn, je vous prie très instamment de me faire sçavoir votre avis sur
le tout le plutôt que votre commodité vous le pourra permettre.
(1) Tonte cette correspondance est conservée au Cabinet des Estampes de la
Bibliothèque Nationale.
(2) Il s'agit de l'église Saint-Michel destinée à une de ses fondations favo-
rites, la confrérie de Sjiim-Micbel,
124 l'art français sur le rmn
Valenciennes, le 6 juin 1712.
Monsieur le duc d'Antin m'ayant fait sçavoir, Monsieur, que malgré
vos occupations continuelles pour le service de S. M. T. C, vous vouliez
bien prendre la peine de faire quelques desseins pour la décoration du
dedans de mon palais de Bonn et surtout de l'appartement que j'y dois
occuper, je prens la liberté de vous envoyer le plan, avec la hauteur,
et un mémoire qui vous informera de ce que je souhaite que l'on fasse
dans chaque place qui le doit composer. Je feray exécuter le tout sur
les lieux et il ne s'agit présentement que des desseins, que je vous
prie de m'envoyer l'un après l'autre, à mesure que vous aurez eu le
temps de les faire.
Je ne me serais jamais attendu, Monsieur, que vous eussiez bien
voulu vous charger de ce soin elje vous en suis d'autant plus redevable
queje n'ay point encore mérité cette honnêteté de votre part. Je scay
quels sont vos rares talens non seulement par tout ce qui s'est fait de
beau en France sous votre direction, mais encore par le récit de tous
ceux qui vous connnaissent et principalement de M. de Maillebois qui
m'a dit mille biens de;vous quand j'ay passé depuis peu à Maubeuge.
Valenciennes, le 13 juin 1713.
Je suis charmé, Monsieur, du beau dessein que vous avez pris la
peine de m'envoyer pour la chapelle de mon palais de Bonn. L'idée en
est tout à fait noble, la disposition admirable et l'exécution en sera
superbe et magnifique. Mais comme le Saint Esprit est déjà en pein-
ture au-dessus de l'autel, je crois qu'a la place de celui que vous avez
marqué et d'où sortent tous ces rayons qui font un si bel effet, on
pourrait mettre un Jehova ou telle autre chose que vous trouveriez
convenable. D'ailleurs, Monsieur, cette chapelle, comme je pense vous
l'avoir dit, est dédiée à la Nativité du Sauveur et à la Sainte Famille,
de sorte qu'il faut que tous les ornemens et les attributs le dénotent ;
et ceta étant, ne trouveriez vous pas à propos qu'au lieu de l'arche qui
est portée parles Anges, on fît une crèche avec l'Enfant Jésus dedans,
toujours portée par les mêmes Anges, sans rien changer de plus au
dessein ? C'est sur quoi je vous prie de me dire votre sentimenl,
auquel je me conformeray volontiers, connaissant comme je fais votre
haute capacité et votre bon goût en toutes choses.
toocuMENts laS
Si M. le duc d'Antin, en me renvoyant à vous, ne m'avait autorisé
en quelque façon à vous incommoder de tems en tems pour mes bâti-
mens, je n'aurais garde de vous importuner si souvent. Mais l'envie
que j'ay d'avoir quelque chose de beau et d'achevé est plus forte que
toute autre considération et jescay queje ne sçaurais m'adressera une
personne plus habile et plus étendue [sic) que vous en ces sortes de
matières.
Vous me ferez un très sensible plaisir, Monsieur, de continuer tou-
jours à m'assister de vos conseils quand je prendray la liberté de vous
consulter et je vous envoyrray dans peu le dessein général de mon
palais de Bonn avec des remarques ponr que vous les daigniez exa-
miner et me mander ensuite votre pensée là-dessus.
Valenciennes. le 25 juin 1713 (1).
Vous aurez vu, Monsieur, par une dernière lettre les remarques que
j'ay' faites sur votre admirable dessein pour la décoration du grand
autel de ma chapelle de Bonn et j'espère de votre honnêteté que vous
voudrez bien me donner promptement votre avis là-dessus et m'assister
pour tout le reste de vos grandes lumières.
Je vous ay parlé de mon palais de Bonn et vous recevrez par mon
Résident de Waldor (2) le plan de mon appartement et les projets qui
ont été faits pour l'agrandissement de la ville. Mais comme depuis j'ay
entièrement changé de pensée pour achever ce palais, je suis bien aise,
avant que me déterminer à rien, Monsieur, de vous communiquer
ma nouvelle idée et de vous demander votre conseil sur trois projets
différens que j'ay en tête. ..
Il y a trois inconvénients insurmontables qui m'empêchent d'ache-
ver ce que j'avais d'abord résolu de faire et pour vous les expliquer
l'un après l'autre, je vous diray ;
Premièrement que de quelque manière qu'on tourne le premier plan, il
ne pourrait jamais y avoir que de petits apparlemens dont je suis
entièrement dégoûté depuis que j'ay vu à Paris et aux environs les
vastes et superbes bâtiments qu'on y a faits depuis peu.
Le second inconvénient est que la cour sera toujours obscure,
(1) Quelques extraits de cette lettre très importante ont été reproduits par
Renard dans son étude sur les bâtiments de l'électeur Joseph Clémeat.
(2) Waldor appartenait à une famille d'artistes liégeois. On sait que
Joseph-Clément était, en même temps qu'archevêque de Cologne, évêque de
Liège.
îaé L^ART FRANÇAIS SUR LE Rtil^
quelque chose qu'on puisse faire, outre que cette cour n'est pas carrée
et qu'elle va en biais de plus de cinq pieds du côté de la chapelle.
Et en troisième lieu, c'est le point principal, à sçavoirque pour
achever ce palais de la manière qu'il a été projette, il faudrait abattre
à l'entour une trentaine de maisons pour le moins, pour faire une belle
place devant : ce qui coûterait certainement tout autant que si l'on en
bâtissait un nouveau, puisqu'il faudrait acheter tous ces fonds là des
propriétaires à qui ils appartiennent, lesquels ne manqueraient pas de
se prévaloir (1) de l'occasion et de me les vendre fort cher.
Considérant donc ces trois inconvéniens et outre cela que l'on
doit raser les fortifications de Bonn, je crois ne pouvoir mieux faire
que de profiter du terrain que je gagneray par cette démolition, sans
qu'il m'en coûte rien, et de pousser mon palais du côté où le jardin
est marqué et où l'on aurait de la place de reste pour pouvoir faire
tout ce que Ton voudrait.
Cela étant, je ne veux conserver que cette façade et le corps de logis
dont je vous envoyé le plan comme ils sont, puisque cela est fait et
achevé et mon dessein est d'abandonner tout le reste, tant de la cha-
pelle que du vieux bâtiment pour des offices et autres choses à peu
près semblables...
J'ay trois différens desseins en tête et je vais vous les expliquer le
mieux que je pourray, pour que vous jugiez lequel serait le plus conve-
nable et le plus beau dans l'exécution.
Le premier est de pousser en avant deux ailes avec les deux pavil-
lons... et les fermer ensuite avec une grille et il resterait encore assez
d'espace pour un jardin raisonnable. Dans l'aile qui serait attachée au
pavillon D, on placerait un grand salon qui donnerait entrée dans mon
appartement. On monterait à ce grand salon par un bel et magnifique
escalier auquel on attacherait la principale entrée dans la cour... De
l'autre côté dans le même corps de logis on placerait au delà de l'esca-
lier un appartement pour quelque Prince étranger et de plain-pied
seraient aussi des appartements pour les ministres et les gentilshom.
mes des Princes qui me feraient l'honneur de me venir voir... .
Ma deuxième idée est de donner la même figure au palais, mais de
disposer les choses de manière que le corps de logis attaché au pavil-
lon D en fasse le milieu. Un canal irait droit à ma maison de campa-
gne de Poppelsdorf, laquelle se trouverait justement en perspective en
face de la cour de mon palais. Si l'on prenait la résolution d'exécuter
ce dernier projet, j'abandonnerais mon appartement aux étrangers et
je placerais le mien qui serait beaucoup plus vaste et plus grand dans
ces deux nouvelles ailes, en y conservant toujours les mêmes commo-
(1) Renard imprime : de leur prévaloir, ce qui n'a aucun sens.
bÔCtJMENl'^ 1^5
dites qui sont dans le vieux. Car pour que je sois logé comme il faut,
il est absolument nécessaire que l'appartement que je dois occuper
soit composé des pièces suivantes ;
1" d'un grand escalier;
2° d'un vestibule;
3° d'un salon ;
4° d'une première anti-salle qui est ce qu'on appelle à Versailles la
salle des Gardes ;
5° d'une seconde anti-salle;
6° d'une première antichambre ;
7" d'une seconde antichambre ;
8° d'une chambre d'audience;
9» d'un grand cabinet qui sert aussi de chambre du Conseil;
10° d'une chambre à coucher;
11° d'un cabinet secret;
12° de plusieurs cabinets de miroirs, antiques, médailles et autres
curiosités;
13° d'une place pour serrer des papiers;
14.0 d'un cabinet pour mettre des livres ou bibliothèque ;
18° d'une garderobe ;
15° de la chapelle de la chambre ;
17° d'une gallerie;
18° d'une place pour un billard ;
19° d'une chambre pour le Capitaine des Gardes;
20» d'une chambre pour les gentilshommes de service ;
21° d'une chambre pour le valet de chambre de service;
22° d'une chambre pour le garçon de la chambre...
Voilà, Monsieur, mes deux premiers projets et voici le troisième.
Mon dessein est donc en dernier lieu de bâtir un palais tout à fait
neuf du côté du Rhin et le placer de sorte qu'il se joigne au vieux et
à ce corps de logis qui est fait, par des galleries de communication.
Toute la difficulté que j'y trouve est que ce qui est de l'autre côté du
Rhin tout vis-à-vis est terre de l'Electeur Palatin lequel, en cas de rup-
ture, pourrait un beau matin me saluera grands coups de canon et abat-
tre ma maison, comme on a déjà fait aux deux derniers sièges de Bonn
et comme j'ay voulu faire moi-même à cet Électeur à l'égard de son
palais de Dûsseldorf, pendant qu'au commencement de cette guerre les
Alliés ont fait le siège de Kayserswerth. Car c'est pour lui le même
inconvénient que pour moy. Et outre cela le Rhin déborde en de
certains tems et monte quelquefois à douze pieds de haut.
Cependant quelque résolution que l'on prenne et de quelque façon
qu'on veuille placer mon palais, je veux toujours que tout le terrain
120 L*ART FRANÇAIS StJR LE RHIN
qui est depuis les vieilles fortifications jusques aux nouvelles et jusques
au Rhin soit occupé pour le service de ma Cour, soit en place devant le
palais, soit en jardin... Mais il faut outre cela avoir attention que de
toutes manières je veux avoir sur le bord du Rhin uu petit corps de
logis ou un petit pavillon séparé, où l'on pourra aller de mon palais
par longue gallerie de communication, comme on va des Thuilleries au
vieux Louvre, et que cette gallerie doit aussi communiquer aux pièces
suivantes qui seront attachées par là au palais savoir :
Le séminaire.
Des écuries pour deux cens chevaux avec des logemens convenables
pour le Grand Écuyer et pour le Premier Écuyer.
Un manège.
Un jeu de paume.
Un théâtre pour représenter des opéras.
L'apothiquairerie de la Cour.
La poissonnerie de la Cour.
La poullaillerie de la Cour.
Un logement pour le jardinier de la Cour.
L'infirmerie de la Cour.
Le magasin des bois nécessaires pour le bâtiment et l'entretien de
la Cour.
Je vous prie, Monsieur, d'avoir en tout ceci plus d'égards au bon
goût et à la commodité qu'à la magnificence, qui accompagne tout ce
que vous ordonnez de beau pour S. M. T. C. laquelle doit avoir avec
justice des palais qui correspondent à sa grandeur et à sa puissance :
mais il faut que mes bâtimens cadrent à mes moyens, qui ne sont rien
en comparaison des siens.
Au reste je suivray pour ma chapelle les avis que vous me donnez
par votre obligeante lettre du 10 de ce mois, et je ne changeray à
votre dessein que l'autel qui pourtant est tout à fait beau et magnifique
comme vous Tavez marqué ; mais comme les Luthériens font les leurs
à peu près semblables, j'y veux mettre des paremens de broderie,
ainsi qu'il se pratique ordinairement pour les différencier de ceux des
Protestants, de sorte qu'il ne sera pas nécessaire de le faire de marbre.
Je suis confus de toutes les peines que je vous donne ; mais je fais
si grand fond sur votre honnêteté que je ne doute point que vous ne
continuiez à m'assister toujours de vos bons conseils, jusqu'à ce que
mon palais et tout ce qui en dépend soit dans la perfection. En atten-
dant je suis av^ beaucoup d'estime et de reconnaissance, Monsieur,
véritablement tout à vous.
Joseph-Clément.
DOCUMENTS I29
Valenciennes, 16 juillet i713
Je souhaite du meilleur de mon cœur, Monsieur que cette lettre vous
trouve en parfaite santé et que vous soyiez entièrement délivré de la
fièvre dont, selon le rapport de mon Résident de Waldor, vous avez
été attaqué depuis quelque tems.
Voici, Monsieur, un plan plus exact de mon palais de Bonn et des
environs avec une explication des renvois, lequel avec ceux que vous
devez avoir reçus, vous donnera toute la connaissance nécessaire de sa
situation et du terrain que l'on peut employer pour mettre en exécu-
tion Tun des nouveaux projets dont je vous ai parlé dans ma précédente.
Quand votre santé vous le pourra permettre, j'espère que vous
voudrez bien prendre la peine de les examiner et de me donner
ensuite votre avis là-dessus. Vous aurez la bonté de faire tirer copie de
ces plans et surtout de celui-cy, pour me les renvoyer, afin qu'en
ayant chacun de notre côté, nous puissions plus facilement, si vous le
trouvez bon, correspondre l'un avec l'autre et nous dire mutuellement
notre pensée, jusqu'à ce que nous nous soyions accordés sur le projet
que l'on devra suivre tant pour les embellissemens du dehors que pour
la distribution du dedans.
Valenciennes, le 30 juillet 1713.
Je suis confus des peines que je vous donne, Monsieur, et de l'hon-
nêteté avec laquelle vous voulez bien m'assister de vos bons conseils
pour la construction de mon palais de Bonn. Je sçais que personne n'a
plus de capacité que vous en ces sortes de choses et que je ne sçaurais
manquer en suivant vos avis, que j'attens avec impatience, maintenant
que par les plans que je vous ay envoyés, vous êtes suffisamment
instruit de la situation du terrain et de ce que je souhaite.
Je vous seray, Monsieur, d'autant plus redevable des peines et des
soins que vous vous donnerez pour cela que je n'ignore pas les
grandes et continuelles occupations que vous avez pour le service de
S. M. T. C'.
l30 L*ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
Valenciennes, le 1«» mars 1714.
Gomme il y a toute apparence, Monsieur, que nous aurons bientôt
la paix générale et que par un des articles du traité je retourneray
dans mes Etats, il est tems que je songe tout de bon au palais que j'ay
dessein de faire construire à Bonn et à l'agrandissement de la ville
dont je vous ay envoyé le plan de ce côté-là.
Je sçai, Monsieur, que les grandes occupations que vous avez pour
le service de S. M. T. G. ne vous permettent guère de vous appliquer
à d'autres choses. Mais la connaissance que j'ay de votre honnêteté et
la promesse que vous avez eu la bonté de me faire de vouloir bien
m'assister en cela de vos bons conseils me font espérer que vous ne
me refuserez pas le plaisir que j'attens aujourd'hui de votre politesse.
Je vous prie donc très instamment, après avoir examiné la situation,
le plan et le mémoire que je vous ay envoyés, de me donner au moins
une idée générale du nouveau bâtiment que je veux faire faire, sans
prendre la peine d'entrer dans le détail, afin que cela puisse me servir
de guide et de conduite pour commencer et pour conduire ensuite
l'ouvrage à sa perfection. Il y a certaines choses où l'on peut travailler
dès à présent sans qu'il soit nécessaire que je sois sur les lieux et vous
me ferez un sensible plaisir de me faire sçavoir le plutôt qu'il sera
possible votre sentiment là-dessus.
Valenciennes, le 23 mars 1714.
J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 15 de ce mois par laquelle je vois
que vous avez eu la bonté de faire deux pensées différentes du nou-
veau palais que je veux faire construire à Bonn, dont je vous suis infi-
niment obligé. Gomme vous me marquez que c'est une idée d'une
grande étendue, j'appréhende, Monsieur, qu'elle ne le soit trop par
rapport à mes revenus et que je n'aye pas les moyens de la faire
exécuter comme il faut. Gependant je tâcheray de suivre exactement
l'un de vos desseins lorsque je les auray receus, étant persuadé que
soit que je choisisse l'un ou l'autre, je ne sçaurais manquer puisqu'ils
sont tous deux de votre ordonnance, c'est à dire également beaux et
bien entendus.
DOCUMENTS l3l
Mais comme je veux faire partir incessament mon architecte pour
faire travailler aux dedans -de mon vieux palais pour m'y pouvoir
loger en attendant que l'autre soit bâti, je voudrais sçavoir auparavant
de quelle manière vous avez trouvé à propos de situer ce nouveau
palais, suivant le plan du terrain que je vous ay envoyé, afin que l'on
se règle là-dessus et qu'on ne fasse pas des choses qu'il faudrait peut-
être deffaire par la suite. Je vous prie donc très instamment, en cas
que vos desseins ne puissent partir bientôt, de prendre la peine de
m'en envoyer une pensée ou esquisse sans être arrêtée et pour en
connaître seulement l'étendue et la disposition et cela me suffira
pour le présent en attendant le reste.
Valenciennes, le 8 avril 1714.
J'ai reçu, Monsieur les beaux desseins que vous avez pris la peine
de m'envoyer pour mon palais de Bonn. Les deux idées que vous m'en
donnez sont également belles quoique différentes et l'on ne peut rien
imaginer de plus magnifique dans un terrain comme celui-là, dont
vous avez profité avec une entente et une adresse merveilleuses. J'en
suis charmé véritablement et c'est à mon grand regret que je me vois
obligé d'y changer quelque chose. Mais l'entreprise est trop vaste et
surpasserait de beaucoup mes forces, si je voulais mettre l'un ou l'autre
de ces projets en exécution. Il faut en pareille rencontre consulter ses
moyens et l'état de ses finances avant que de commencer des ouvrages
si considérables, et après y avoir mûrement réfléchi, je me restreins
au vieux bâtiment avec partie des augmentations que vous avez trouvé
à propos d'y faire...
Tout le terrain que vous employé pour le nouveau bâtiment, pour la
grande cour, pour les galleries et pour le reste sera employé en un
jardin qui par là deviendra beaucoup plus grand et plus agréable.
Ce que je souhaite seulement est de sçavoir comment attacher à ce
vieux palais une gallerie qui serve de communication avec un bâti-
ment sur le Rhin que je veux faire faire comme une maison éloignée
du monde et du bruit, dans laquelle je pourray me f étirer quand bon
me semblera. Le dessous de cette maison doit être occupé par la
Douane et il faut disposer le lieu pour cela et au dessus il faut un
appartement où je puisse loger quelquefois en été pour y jouir du bon
air et de la belle vue.
Ma pensée serait donc, Monsieur, pour attacher cette galerie avec
grâce et gagner en même temps de la place, de faire deux quarts de
l32 l'art français sur le RHIN
cercle qui prendraient de chaque côté aux deux pavillons des bouts de
la façade déjà faite. Chacun de ces quarts de cercle serait terminé
par un pavillon ovale et le bas serait en forme de portiques pour s'y
mettre à couvert, quand il viendrait des pluies d'orage dans les grandes
chaleurs de l'été.
Il s'agit maintenant de faire travailler et il n'y a pas un moment
à perdre. C'est pourquoi vous me ferez un sensible plaisir de m'en-
voyer incessamment de tout cela une esquisse, que vous pourrez arrêter
ensuite avec plus de loisir, mon architecte n'attendant que cela pour
se rendre à Bonn et mettre les ouvriers en besogne.
Valenciennes, le 11 juin 1714.
Si j'ay si longtemps différé, Monsieur, à répondre à votre dernière
lettre, c'est que j'ay voulu examiner à loisir les plans et les élévations
que vous m'avez envoyés en dernier lieu, avant que de vous en dire
ma pensée. Je les trouve dignes de vous, c'est-à-dire d'une grande
beauté et d'une entente merveilleuse. Mais comme vous me demandez
mon sentiment là-dessus, je crois que vous ne trouverez pas mauvais
que je vous communique les observations que j'ay faites....
11 importe de ménager la perspective jusqu'à ma maison de campagne
de Poppelsdorf, Cette vue que le pur hazard donne est si belle et, si
j'ose le dire, si précieuse qu'il faut la conserver en toute manière.
Je tiens beaucoup à une petite ménagerie ou basse-cour avec un
petit jardin potager, un de mes .plus grands plaisirs étant de cultiver
des plantes et de petites salades de ma propre main et c'est un amuse-
ment qui me plait au-dessus de toutes choses; mais il faut pour cela
que je puisse m'y occuper sans être vu de personne, outre que je me
plais, comme S. M. T. C. fait à Marly, à entretenir de belles poules, des
canards d'une espèce particulière et des carpes curieuses. Je pourrais
donc avoir toutes ces commodités dans ce même terrain et du haut de
la terrasse m'amusera ces divertissements innocents et jetter à manger
à ces différentes espèces d'animaux.
Je souhaiterais fort que la gallerie eût la même largeur que celle des
Thuilleries où sont les (plans des villes et forteresses conquises par
S. M. T. C. et qu'elle fût de niveau avec le plan noble de mon palais
jusques au Rhin et qu'on la terminât par un grand sallon rond ou
ovale, duquel on pût dominer de tous côtés sur le Rhin...
Cette maison du Rhin m'est d'une grande utilité ; car outre le
Dlaisir de la vue qui est admirable de ce côté-là, le fleuve du Rhin
DOCUMENTS l33
étant un des plus grands et des plus navigables de toute l'Europe, il
n'y a presque point d'année que quelque Prince de l'Empire ne passe
par là. Je suis donc obligé de l'aller recevoir au bord du Rhin pour le
conduire ensuite à mon palais. Mais il arrive fort souvent que n'ayant
aucun endroit où me pouvoir retirer en attendant son arrivée, je me
vois contraint de rester dans mon carosse jusqu'à ce qu'il vienne : ce
qui est aussi incommode que désagréable. Mais quand cette maison
sera une fois en état, Je n'auray qu'à me tenir tranquillement dans le
sallon au bout de la grande gallerie et lorsqu'on verra venir de loin le
Prince étranger que j'attendray, à descendre sar le bord du fleuve pour
le recevoir en sortant de son batteau et le conduire ensuite en parade
au travers de la ville jusqu'à mon palais, s'il veut une entrée publique
ou, s'il veut passer incognito, l'y mener par la grande gallerie et la
maison du jardin.
Valenciennes, le i\ juillet \7\A.
J'ay reçu, Monsieur, avec votre obligeante lettre du 6 de ce mois, le
nouveau plan que vous avez pris la peine de faire pour mon palais de
Bonn. Vous avez si bien donné dans ma pensée qu'il n'y a rien à dire
et j'en sais content au delà de tout ce qu'on scaurait imaginer. Tous
ceux à qui j'ay montré cette disposition en sont charmés aussi bien que
moi et il est impossible de faire mieux.
Je m'en tiens donc, Monsieur, à ce dessein et tàcheray de
le faire exécuter dans toutes ses parties le moins mal qu'il sera
possible...
Je ne vous renvoyé point votre plan, puisque bien loin d'y vouloir
rien changer, je le trouve le plus beau, le plus commode et le mieux
disposé qu'on scaurait voir et vous ne devez pas douter que je ne vous
sois entièrement redevable d'avoir bien voulu déployer ainsi votre beau
génie en ma faveur. Je vous prie très instamment de continuer à
m'assister jusqu'à la fin de vos bons conseils et avec un tel secours,
j'espère de faire sans contredit un des plus beaux palais qui soient en
Allemagne. Quelques gens trouvent que pour la grandeur du jardin il
y trop peu de jets d'eau. Mais ce sont de ces choses qu'on ne
peut résoudre que sur les lieux et sur les sources que l'on pourra
trouver.
l34 I.'aRT français sur le RHIN
Valenciennes, le 15 a oùH714.
J'ay reçu, Monsieur, avec votre lettre du 3 de ce mois les beaux plans
et les magnifiques élévations que vous m'avez envoyés. Rien n'est
mieux entendu et je trouve le tout entièrement conforme à mon idée
et dont Texécution ne scaurait manquer de faire un très bel effet.
Cependant comme vous voulez bien que je vous dise ma pensée sur
ces nouvelles dispositions, vous ne trouverez pas mauvais que je vous
fasse part, Monsieur, d'une remarque très juste qu'un homme de ma
Cour a faite sur ce qui regarde la grande gallerie. Je vous avoue que
je n'y avais point fait de réflexion, mais à présent j'y trouve comme lui
un fort grand inconvénient auquel il faut nécessairement remédier. Il
m'a donc fait remarquer que lorsque suivant votre plan je recevray au
Rhin quelque Prince étranger, s'il veut venir à mon palais par cette
gallerie, il' faut qu'il monte l'escalier, qu'il entre dans le sallon et que
de là il passe avec toute sa suite et mes gardes qui l'accompagnent par
honneur par le cabinet et par la chambre de retraite de ma maison
d'été, qui pourtant doivent être des lieux tout à fait de retraite et où
peu de personnes doivent avoir accès. Il y a cette différence dans nos
usages qu'en France tout le monde entre et passe par les appartemens
du Roy et des Princes et que chez nous très peu de gens jouissent de
cet honneur et ont cet avantage. Je dois donc me conformer, étant en
Allemagne, aux coutumes du pays pour ne point choquer la noblesse
qui est fort jalouse de ces sortes d'entrées et qui prétend que ce
privilège n'est dû qu'aux gentilshommes titrés...
Pour ce qui concerne le palais même, il n'y a rien à ajouter à votre
plan, Monsieur, et le tout est d'un goût merveilleux. Je ne scaurais me
lasser de regarder la façade du côté de la ville et le dôme du milieu
ne scaurait être plus beau. Cependant comme il est vis-à-vis de mon
cabinet, j'aurais fort souhaité, en cas qu'on l'eût trouvé praticable,
qu'on y eût pu placer une horloge.
Excusez toutes les peines que je vous donne. Mais pour avoir un palais
achevé, à quipourrais-je avoir recours, sinon à vous qui traitez l'archi-
tecture avec tant d'élégance et de bon goût qu'on ne peut cesser
d'admirer tout ce qui part de votre^génie.
Comme je fais mon compte d'aller bientôt à Paris, j'auray le plaisir
de m'entretenir avec vous sur tout le reste, si vous voulez bien me
donner quelques momens de conversation. J'y mèneray avec moi celui
qui aura l'entière direction de tous ces bâtimens, pour que vous
DOCUMENTS
l35
ayez la bonté de le mettre au fait et de lui bien expliquer ce qu'il
devra faire pour exécuter comme il faut votre pensée et vos desseins.
Paris, le -24 novembre 1714.
J'ay reçu, Monsieur, avec votre lettre d'hier le dessein que vous
m'avez renvoyé avec les changemens que vous avez bien voulu y faire
qui sont tels que je souhaitais de les avoir. Il n'y a rien de mieux et je
m'en tiens là, vous priant très instamment de m'assister jusqu'à la fin
de vos conseils et de vos lumières.
Vous me ferez plaisir, Monsieur, de me faire faire en grand un bout
de cette façade, puisque c'est partout la même chose, afin que les
ouvriers puissent voir plus distinctement ce qu'ils auront à faire.
Il me faudra un menuisier, un doreur, un serrurier, un plafonneur
et un plombier qui scachént leur métier et soient capables de conduire
comme il faut les (ouvrages qu'ils entreprendront. Je souhaiterais fort
les tenir de votre main et que ce fût vous qui en fit le choix. C'est
pourquoi je vous prie d'y songer de bonne heure et de me faire
scavoir, avant que de conclure avec eux, ce que vous croyez que je
doive donner à chacun par année, afin de me pouvoir régler là-dessus
et que je sache à quoi m'en tenir.
Je vous demande mille pardons de mes importunités; mais il n'y
a que vous qui puissiez m'assister en ces sortes de choses et me donner
les éclaircissemens dont j'ay besoin.
Paris, le 18 décembre 17U.
Je ne puis assez vous remercier. Monsieur, des honnêtetés que vous
me témoignez et des peines que vous vous donnez pour mes bâtimens.
Je ne manqueray pas, quand l'occasion s'en présentera, de vous en
marquer ma juste reconnaissance et l'estime toute particulière que
j'ay pour votre mérite. .
Cependant, Monsieur, comme vous voulez bien que je vous dise ma
pensée sur vos desseins, permettez-moi de vous communiquer les
doutes et les remarques que j'ay faites sur ceux que je vous renvoyé,
afin que, si vous les approuvez, vous ayiez la bonté de les corriger
l36 l'art FP.ANÇAIS sur le RHIN
incessamment, puisqu'il n'y a pas de temps à perdre, ayant
résolu de partir, s'il se peut, jeudy prochain pour retourner dans mes
Etats.
Pour ce qui regarde le plan noble, je trouve que tout y est en per-
fection tant pour la salle des gardes que pour le vestibule.
Dites-moi, je vous prie, quelle forme aurait et ce que deviendrait
cette salle des gardes, si on la faisait aller d'un bout à l'autre, en
retranchant au plan noble le vestibule d'une pièce. Car, comme je fais
là mes principales fonctions, il y vient quantité de monde et cela
demande un lieu fort spacieux et fort vaste. C'est dans cet endroit
que je reçois l'hommage qu'on me rend, où je donne les fiefs, où je
tiens les Etats de mon Électorat de Cologne, où le jeudi saint je lave
les pieds à treize pauvres, où se tient le Chapitre de l'Ordre et où enfin
je donne le sacrement de confirmation. Tout cela exige donc une salle
d'une grande étendue, comme vous voyez.
Paris, le 22 décembre 1714.
On ne peut trop admirer. Monsieur, votre heureux génie et la facilité
que vous avez à trouver, sans hésiter, les plus belles choses du monde.
Je suis charmé des magnifiques desseins que vous m'avez renvoyés
avec tant de diligence et je vous assure que Ton ne peut être plus
redevable que je le suis aux grandes honnêtetés que vous me témoi-
gnez en toute rencontre.
L'escalier ne peut être plus beau et il n'y a rien, Monsieur, que de
grand dans toutes vos idées. Mais je crains qu'il ne se rencontre quel-
ques difficultés dans l'exécution, par des raisons que je ne puis vous
expliquer assez clairement par lettres et je souhaiterais fort vous
pouvoir parler moi-même pour m'en entretenir avec vous. Ainsi en
cas que votre commodité vous le puisse permettre, vous me ferez un
fort grand plaisir de venir demain chez moi à telle heure qu'il vous
plaira ou du moins m'envoyer Monsieur votre fils pour que je puisse
lui parler là-dessus et lui dire en quoi consistent ces difficultés. 11
pourra ensuite vous en faire le détail et j'espère que vous voudrez
bien m'assister en cela de vos bons conseils, auxquels je me confor-
meray toujours avec plaisir, étant pleinement persuadé que je n'en
scaurais suivre de meilleurs.
DOCUMENTS l3j
Liège, le 24 janvier 1715.
Au milieu des embarras où je me trouve, Monsieur, par la multitude
d'affaires que j'ay ici, je ne laisse pas de songer à mon palais de Bonn,
le tems s'approchant où il faudra recommencer à y travailler. Mais mon
maître masson étant mort(l), je n'ay plus personne à qui confier la
direction de mes bâtimens ; et vous me feriez un sensible plaisir si
vous vouliez bien, Monsieur, m'envoyer le sculpteur dont vous m'avez
parlé puisqu'il s'entend en architecture et qu'ainsi il pourrait avec vos
bons avis en prendre soin et faire travailler les ouvriers sur les beaux
plans que vous avez pris la peine de faire. 11 faudrait pour cela qu'il
partit incessamment de Paris afin de recevoir mes ordres sur ce qu'il y
a présentement à faire et qu'on se mit en besogne aussitôt que la
saison le pourrait permettre.
Liège, le 15 février 1715.
Je vous suis, Monsieur, tout à fait obligé du soin que vous prenez
pour me procurer un homme qui soit intelligent et au fait de l'archi-
tecture. Je ne doute nullement de la capacité du S' Benoit puisque
vous l'approuvez et m'en tiendray volontiers à votre choix.
Bonn, le 28 février 1715.
Vous m'aviez très bien dit. Monsieur, qu'en fait de bâtimens, on ne
peut juger vainement des choses qu'on ne soit sur les lieux et qu'on
ne voye soi-même l'effet qu'elles font. Car à mon grand élonnement la
cour de mon palais d'ici que je m'imaginais devoir être trop petite est
beaucoup plus spacieuse que je ne croyais et l'élévation du bâtiment
n'est nullement disproportionnée à la grandeur de cette cour où j'ay
(1) Ce maître maçon était probablement l'Italien Antonio Riva.
l38 l'aUT français sur le RHIN
vu moi-même plus de vingt caresses à la fois sans qu'il parut qu'il y en
eut une si grande quantité. Cela m'a donc déterminé de la laisser
carrée comme elle est pour n'être point obligé d'abattre le vieux bâti-
ment.
Faites moi le plaisir de m'envoyer le plus tôt que faire se pourra le
S*" Benoit, un sculpteur, un menuisier, un serrurier, un doreur et un
plombier. Vous prendrez s'il vous plait la peine de vous entendre pour
cela avec mon Résident de Waldor afin de convenir avec ces gens-là
de ce que je devray leur donner par mois, tant tenu, tant payé ! aussi
bien que pour leur voyage et ce que vous aurez accordé avec eux sera
ponctuellement exécuté.
Bonn, le 25 mars 1715.
Comme voici le tems, M., que l'on doit travailler à mes maisons de
campagne de Poppelsdorf, de Bruel et de Godesberg, vous me feriez
un très sensible plaisir de m'envoyer le plutôt qu'il sera possible une
esquisse de ce que vous pensez là-dessus.
Au surplus. M., je vous diray que j'ay fait marquer en cette ville
une nouvelle rue qui s'appellera la i-iie de Lille.,. Voici un dessein
qu'on avait fait pour cela. Mais il ne me satisfait nullement et je vous
prie de vouloir bien prendre la peine de m'en faire un autre qui ait
de la grâce et puisse contenter la vue. Il n'y faut rien que de simple,
mais de bon goût pour ne pas jetter ceux à qui j'ay donné ces places
dans de trop grosses dépenses, puisque ce sont eux qui doivent faire
bâtir ces maisons à leurs propres dépens.
Bonn, le 25 avril 1715
J'ai reçu. M., le dessein des façades pour un côté de la nouvelle rue
que l'on va faire ici et choisi celui où vous n'avez mis que trois
croisées, le trouvant, comme vous, préférable à l'autre. Je vous en
suis fort obligé aussi bien que du beau dessein que vous m'avez
envoyé pour le haut du rocher de Godesberg. La disposition en est très
belle et j'en suis fort content.
DOCUMENTS iSg
Mais pour dire la vérité, M., les projets pour Poppelsdorf et pour
Briiel sont les plus pressés, puisque je n'ay aucune maison où me
retirer pendant l'été et que je n'ose commencer rien en ces deux
derniers endroits, sans sçavoir auparavent votre pensée pour n'être
pas obligé d'abattre peut-être par la suite ce qu'on aurait déjà élevé.
Vous me ferez donc plaisir de m'envoyer ces projets tout le plutôt que
vous pourrez. Cependant le S' Benoit est actuellement occupé à lever
correctement le plan, les profils et les élévations de mon palais d'ici et
des environs à la mesure de France pour vous les envoyer afin que
vous puissiez l'honorer de vos avis et travailler en toute sûreté : ce
que vous n'avez pu faire jusqu'ici puisqu'il trouve étant sur les lieux
que les mesures que Ton vous a remises étaient absolument fausses
dans toutes leurs parties.
Je vous prie de continuer toujours à m'assister de vos bons conseils,
sans quoi je ne puis rien faire de bon, et d'être bien persuadé qu'en
reconnaissance de vos honnêtetés, je serai toujours avec toute l'estime
qui vous est due, M., véritablement tout à vous.
A Cologne, le 4 may 4715 (1)
Dans la crainte que j'ay, Monsieur, que vous ne preniez une peine
inutile en faisant un dessein tout nouveau pour le Château de Bruel,
puisque je me souviens de vous avoir dit à Paris, en vous en remettant
le plan entre les mains, que je voulais entièrement abandonner le
vieux château et en bâtir un tout neuf ; dans cette crainte, dis-je, je
n'ay pas voulu manquer, après avoir mûrement examiné moi-même
toutes choses sur les lieux, de vous faire part de mes remarques et
de ce que j'ay résolu d'y faire à présent.
Je vous dirai donc, M., qu'en ayant visité les murailles, j'ay trouvé
qu'elles étaient si fortes qu'il coûterait beaucoup plus à les abattre
qua rebâtir un nouveau château : et cela m'a fait^ absolument changer
de dessein, comme vous verrez plus amplement par ce qui suit. Vous
en avez chez vous un plan qui est fort juste : ainsi je vous envoyé par
ce brouillon simplement ma pensée dans l'espoir que vous ne laisserez
pas de la conprendre aisément, malgré son peu de correction.
(1) Cette lettre, d'une importance capitale pour l'histoire du château de
Briihl, a été reproduite par Dohme, Das Kônigliche Schloss zu Brûhl mn
Rhein, Berlin, 1877, et par Renard, Die Bauten der Kurfursten Joseph dé-
mens und Clemens August von Ko In, Bonn, 1896.
I^O l'art français sur le RHIN
Mon intention est premièrement de laisser ce vieux château comme
il est, les murailles, ainsi que je l'ay déjà dit, en étant très bonnes
encore, les caves excellentes et il n'y aura de dépense à faire que pour
le toit et la distribution du dedans, ce qui ne se pourra faire dans tout
Tordre qu'il serait à souhaiter puisque les étages sont hauts et bas à
l'antique. Les Ecuries dans l'avant-cour sont pareillement encore
bonnes et en les changeant en appartements, mes Ministres, mes
Gentilshommes, le reste de ma Cour avec les offices et autres commo-
dités s'y pourraient placer très facilement.
Mais pour cacher tout cela, je prendray pour moi tout le corps de
logis marqué A du côté de l'Orient et qui fait directement face au
Parc et par conséquent à ma Résidence de Bonn. C'est une chose qui
vient fort à propos que tout ce côté-là soit entièrement ruiné et démoli,
comme il l'est, jusqu'aux fondements qui ne sontpoint endommagés. Or
je veux sur cet ancien corps de logis faire élever le même bâtiment et
la même façade que vous aviez fait pour Bonn... avec une salle ovale
dans le milieu que je vous avais prié de garder pour Bruel comme
vous vous en souviendrez bien. J'y ajoute seulement deux ailes en
potence, pour ménager entre deux une cour fermée d'une grille par
devant : car je ne veux point du tout qu'on voye le vieux château et
ce bâtiment à la moderne le cachera entièrement.
On peut faire l'entrée principale du côté droit de l'aile qui donne
vers la ville... Pour le deuxième étage, comme on l'appelle ici (et qui
est le premier en France et le plan noble), vous pourrez, si
vous le trouvez bon, y placer un grand salon et de là conduire
mes appartements dans la façade du vieux château, confor-
mément à votre plan B dont j'ay déjà parlé. L'aile gauche peut servir
d'appartement et de gallerie pour moi, afin de pouvoir descendre
quand il me plaira dans le jardin. Quant au rez-de-chaussée vous en
pourrez faire des appartements pour les princes étrangers qui me
feront l'honneur de me venir voir.
Mais on doit observer que je veux être en pleine liberté et sans
aucune sujétion dans le petit jardin que je veux réserver pour moi
seul ; pour faire ce jardin et la cour du château, il faudra combler
entièrement le fossé qui seul a été la cause que ce même
château a été ruiné et renversé parce qu'il pouvait servir en temps de
guerre d'un poste pour mettre une bonne garnison en toute sûreté : de
sorte que le premier venu s'y logeait, ce qui suffisait et suffirait encore
pour en causer ou l'occupation ou la démolition comme il est arrivé.
Je prétens donc éviter l'un et l'autre de ces deux inconvéniens, en
faisant de ce château un lieu tout ouvert et une simple maison de cam-
pagne.
11 n'y a qu'à prendre, à la place marquée K, centre de la
façade du vieux château, celui de la façade du nouveau et si du côté
DOCUMENTS l4l
du septentrion elle est un peu trop courte, on pourra l'allonger tout
autant qu'on voudra pour que ladite place K en soit toujours le centre...
et l'on fera un nouveau canal qui ira droit au Rhin, comme c'était le
projet du feu Cardinal Mazarin, qui a demeuré longtemps dans ce châ-
teau. La ligne droite 0 mène justement à Bonn : ainsi on peut faire en
ce lieu-là une allée ou avenue toute droite qui aurait trois lieues de
long pour aller et venir d'une de ces villes à l'autre. L'espace entre la
cour du château et les deux canaux sera le grand jardin.
Cette faible ébauche vous peut, M., mettre au fait pour bien com-
prendre mes intentions : et vous vous, servirez du plan de Bruel que
vous avez déjà pour achever de prendre au juste vos mesures et toutes
les connaissances nécessaires, par rapport à la situation du lieu et de
ses environs. Je suis bien fâché de vous donner tant de peine et de
vous embarrasser si souvent. Mais j'espère que par un efîet de votre
honnêteté ordinaire vous voudrez bien me faire encore ce plaisir et me
croire toujours avec la plus parfaite estime, M., véritablement tout à
vous.
Joseph-Clement.
Bonn, le 24 mai 1715.
J'espère, Monsieur, que vous aurez reçu l'idée que je vous ay
envoyée pour le rétablissement de mon château de Bruel et j'attends
là-dessus votre sentiment. En échange j'ay receu votre projet pour ma
maison de Popjoe/i^é/o?'/' qui me plait infiniment et je ne sçache rien de
plus beau et de mieux imaginé.
Mais il faut y faire quelques changements, les chanoines d'ici n'ayant
jamais voulu me vendre quelques pieds de terram dont j'avais abso-
lument besoin. Cela nous a mis dans la nécessité de faire deux ailes à
mon palais du côté du jardin pour gagner l'alignement du canal... Je
vous avoue que d'abord je me suis mis dans une colère épouvantable,
non seulement contre ces chanoines obstinés et peu gracieux, mais
encore à cause de tous ces changemens qui nous ont donné une peine
infinie. Mais à présent je commence à n'être plus si fâché puisque la
manière dont nous avons projette le tout ensemble, j'espère que cela
fera un très bon effet et que vous l'approuverez vous même quand mon
architecte Benoit vous l'aura communiqué, par les desseins auxquels
il travaille en toute diligence et que je vous envoyeray au premier
jour.
l42 l'art français sur le RHIN
En attendant je n'ay pas voulu différer davantage à vous remercier
des derniers et admirables desseins que vous m'avez envoyés depuis
peu.
Bonn, le 25 may 1715.
Pour éviter tout embarras, Monsieur, j'ay ordonné à tous les ouvriers
qui travaillent à mes bâtimens de ne se servir dorénavant dans tous
leurs ouvrages que du pied^de France et pour cet effet j'ay fait attacher
à la porte de mon palais une verge de fer longue d'une toise pour qu'ils
se règlent la-dessus. Tout ce que mon architecte vous envoyera,
Monsieur, à l'avenir, soit plans ou élévations, sera sur la même échelle :
ainsi on pourra mieux s'entendre et cela vous épargnera la peine de
réduire les pieds de France en pieds de ce pays-cy.
Mon peintre Vivien, qui vous rendra cette lettre, aura l'honneur de
vous expliquer ma pensée sur les peintures de ma gallerie et du sallon
qui est au bout, dont vous avez toutes les mesures. Je vous prie de
vouloir bien conférer avec lui là-dessus et de m'indiquer un homme
qui puisse en faire une belle ordonnance et me donner les éclaircis-
semens nécessaires pour la faire exécuter ici.
U Électeur de Cologne à Vivien
Bonn, 16 may 4715.
Mon cher Vivien, il se présente plusieurs peintres italiens pour
peindre ma gallerie et le sallon qui est au bout ; mais comme dans la
plupart de leurs ordonnances il y a plus de bizarrerie que de bon goût,
vous me ferez plaisir de conférer là-dessus avec M. de Cotte en luy
rendant la lettre ci-jointe et de voir ensemble si l'on ne pourrait point
trouver à Paris quelqu'un qui en voulut faire une idée générale sur les
plans et élévations que vous et luy en avez.
Vous vous souviendrez que dans la gallerie je veux faire mettre
l'Rmpereur et tous les Électeurs. Il est vray qu'à présent on en a aug-
menté le nombre et qu'il y a neuf Électeurs ; mais selon la Bulle d'or
DOCUMENTS 1^3
et les Constitutions de l'Empire, ils ne doivent être que sept et l'on est
convenu même que si quelque maison séculière Electorale venait à
s'éteindre, on ne la remplacerait pas pour revenir au premier et ancien
nombre de sept.
Ainsy je voudrais qn'on peignit dans le plafond de cette gallerie les
Sept Planètes pour marquer comme elles influent sur toutes les choses
d'icy-bas, les Sept Électeurs avec l'Empereur à leur tête gouvernant de
même tout l'Empire.
Pensez attentivement là-dessus et mandez moy ce que l'on peut faire
et si vous approuvez cette idée. En attendant votre réponse et celle de
M. de Cotte là-dessus, je prie Dieu qu'il vous ait, mon cher Vivien, en
sa sainte garde.
Joseph-Clément, Électeur.
L'Electeur de Cologne à B. de Coite
Bonn, le 23 août r/1 5.
Les grandes occupations de mon architecte Benoît de Portier qui
travaille jour et nuit m'ont empêché, Monsieur, de vous envoyer plutôt
les plans que je joins icy afin que vous preniez la peine de les exa-
miner.
Bonn, le l'^'" septembre 17415.
Je vous envoyé le plan de la maison que je veux faire bâtira Poppels'
dorf. Vous trouverez qu'on a suivi à peu près votre idée, selon le grand
et magnifique dessein que vous en avez fait. Mais j'ay trouvé qu'il serait
fort inutile de faire un si grand bâtiment dans cet endroit-là qui n'est
qu'à la portée du canon de cette ville et où l'on peut aller et revenir en
fort peu de temps ; de sorte que la plupart de mes gens reviennent en
ville le soir et que je ne retiens auprès de moi que ceux qui sont abso-
lument nécessaires pour me servir. C'est par cette même raison que je
l44 l'art français sur le RHIN
n'ay voulu des écuries que pour un petit nombre de chevaux et vous
me ferez un sensible plaisir d'examiner avec attention ce nouveau
plan...
Il est vray que l'on a déjà posé la première pierre il y a quelques
jours et qu'on a commencé à en jetter les fondements. Pour aller plus
vite, j'ay fait un accord avec des gens qui ont entrepris cet ouvrage^
sous la conduite et la direction de mon architecte Benoit de Portier, et
ie donne pour la maçonnerie seule plus de soixante mille francs.
Benoît de Fortier à R. de Cotte
Bonn, 21 octobre 1715.
J'attendais toujours une occasion de vous assurer de mes très hum-
bles respects en vous mandant quelque chose de précis sur les bâti-
ments de Bonn et de Poppelsdorf. Mais la vivacité de l'esprit du Séré-
nissime Prince que j'ay l'honneur de servir ne me l'a pas permis,
m'ayant même commandé de planter et faire exécuter plusieurs
ouvrages avant que les desseins en ayent été finis.
L'Électeur de Cologne à R. de Cotte
Dinkelspill (1), le 30 novembre 1715.
Avant mon départ de Bonn pour la Bavière, je vous avais prié, Mon-
sieur, de m'envoyer les élévations et les profils du Buen Retira de mon
palais de Bonn et je croyais recevoir là-dessus de vos nouvelles â
Munique; mais comme il n'est rien venu et que, les fondemens étant
faits, il est absolument nécessaire de les avoir pour poursuivre l'ou-
vrage, vous me ferez, Monsieur, un sensible plaisir de m'envoyer
(1) Dinkelsbiihl, petite ville franconienne.
DOCUMENTS l45
incessamment à Bonn, où je retourne, les élévations de ce Buen
Retîro et de l'Orangerie, sans quoi l'on ne peut plus travailler.
Bonn, décembre 1715.
En réponse, M., à votre lettre du 16 de l'autre mois, je vous
diray que j'approuve entièrement les corrections qu'à ma prière vous
avez pris la peine de faire au plan de mon bâtiment de Poppelsdorf,
Le tout à votre ordinaire est très bien pensé et l'on reconnaît en cela
rétendue de votre génie qui ne laisse rien échapper de tout ce qui
peut contribuer à l'agrément et à la commodité.
Mais pour la chapelle.... au lieu du renfoncement circulaire que vous
avez fait pour y placer Tautel..., mon dessein est de mettre cet autel
dans le milieu. Il doit être isolé et à quatre faces, dont chaque facefait
un autel séparé, afin que dans le même temps quatre prêtres y puis-
sent dire la messe sans se voir et sans s'incommoder les uns les autres.
Le tout ne doit pourtant former qu'une seule et unique masse qui sera
surmontée par une espèce de berceau ouvert sous lequel sera repré-
senté en ronde bosse Notre-Seigneur Jésus-Christ en forme de jardi-
nier et la Magdelaine à ses pieds. Dans ce qui servira de base à cette
espèce de jardin, on représentera en bas-relief pour signifier les quatre
saisons de l'année le saint ou la sainte sous l'invocation de qui chacun
de ces quatre autels sera dédié.
Outre cela mon dessein est que la chapelle dont il s'agit tant par ses
ornemens que par sa disposition forme tout ensemble une espèce de
jardin, étant placée dans un endroit où est la Confrérie des Fleuristes
qui au jour des quatre fêtes dont j'ay parlé ci-dessus y doivent apporter
pour offrande les tributs de leurs jardins. C'est pourquoi il faut qu'il y
ait à ces autels des consoles pratiquées de telles manières que ces fleu-
ristes selon chaque saison y puissent placer leurs offrandes, sans
embarrasser le Saint Sacrifice de la messe,
Voilà ma pensée sur laquelle, M., je vous prie de travailler.
Bonn, le 2b février 1716.
L'oratoire de ma Confiserie de 5* Michel doit être orné et décoré non
pas magnifiquement, mais d'une manière simple et de bon goût, et
c'esten quoi je me rapporte à votre beau génie...
If
l46 l'art français sur le RHIN
On va tenir ici rassemblée de mes États qui doivent me fournir
de quoi travailler à mes bâtimens ; mais comme ce sont la plupart
des gens qui n'examinent point les ouvrages qui sont en terre,
c'est-à-dire les fondemens et qui n'accordent pas volontiers, s'ils ne
voyent paraître quelque chose à leurs yeux, je vais faire diligenter les
ouvriers, espérant qu'avant que cette assemblée se sépare, les murailles
paraîtront assez pour leur faire connaître ce que le bâtiment devien-
dra et les induire à m'accorder ce que je leur demanderay pour cela.
Les États de l'Électorat de Cologne consistent en quatre corps : sça-
voir le Chapitre de la Métropolitaine, les Comtes, la Noblesse et les
Villes. Chaque corps doit avoir une place séparée avec une plus grande
pour s'assembler tous ensemble. On croit même qu'ils auraient besoin
de quelque autre commodité puisqu'ils passent toute la journée à boire
et qu'ils ont besoin de rejetter souvent le trop qu'ils ont pris...
J'ai reçu le dessein de M. de Vernansal (1) pour le plafond de ma
gallerie. Je le trouve magnifique et très bien pensé et il ne s'agit
maintenant que de l'exécution. Comme je souhaiterais fort qu'elle
répondit parfaitement à son idée, qui ne sçauraitétre plus belle, obligez-
moi de lui demander s'il serait d'humeur de l'entreprendre lui-même et
de venir l'exécuter sur le lieu. 'V^ous aurez la bonté, en ce cas-là, de
sçavoir de lui combien il demanderait, et quel temps il faudrait pour
mettre ce plafond dans toute sa perfection, ce qu'il souhaiterait pour
les frais de son voyage tant en venant qu'en retournant, et ce que je
devrais lui donner par jour, par semaine ou par mois pour sa nourri-
ture. Lorsque je seray informé de ses prétentions sur chacun de ces
articles, je vous feray sçavoir d'abord mes résolutions ; et si nous nous
accommodons ensemble, je prendrai les mesures nécessaires pour
avoir des fonds qui ne manquent point et lui donner une entière satis-
faction, en vous marquant le temps qu'il pourra venir.
Bonn, le 5 may 1716.
Plus je considère, Monsieur, le projet qu'a fait le Sr de Vernansal
pour le plafond de ma gallerie, plus je le trouve à mon goût, très bien
imaginé et avec beaucoup d'esprit et d'entente ; mais je tombe d'ac-
cord avec vous que ce serait gâter un si bel ouvrage que de le placer
dans un lieu où il ne ferait pas son effet, cette gallerie n'étant pas
assez haute pour qu'on en pût découvrir toute la beauté.
(1) Louis Guy de Vernansal (1648-1729) était élève de Le Brun.
DOCUMENTS ^ l47
J'aurais donc envie, selon votre conseil, Monsieur, de laisser cet
endroit là tout blanc, et de faire exécuter cet admirable dessein dans
le grand sallon du bout, lequel a pour cela toute la hauteur nécessaire.
Il est vray qu'il y a moins de longueur que dans la gallerie, mais il y a
en récompense beaucoup plus de largeur, et je crois qu'il ne serait pas
fort difficile d'y ajuster ce dessein. Mais comme ce sallon doit servir
pour les fêles, c'est-à-dire pour les grands repas, les concerts et les
autres divertissements que je donne à ma Cour et qu'il doit par con-
séquent être souvent fort éclairé, je craindrais que la vapeur de ce
grand nombre de bougies ne gâtât cette peinture que je conserveray
soigneusement, si jamais elle se fait, comme un morceau digne de la
curiosité des connaisseurs.
C'est sur quoi j'attends votre avis, avant que de me déterminer; et
cependant j'ordonne aujourd'hui au Comte de S* Maurice de vous
remettre entre les mains l'argent qu'il faut pour satisfaire le S'' de Ver-
nansal que j'estime infiniment sans le connaître. Je crois que vous
m'avez marqué qu'il fallait 17001. de France pour son dessein. Si cela se
monte plus haut. .vous aurez la bonté d'en avertir le Comte de S* Mau-
rice et il ne manquera pas selon mes ordres de donner tout ce qu'il
faudra de surplus, voulant absolument que cet habile homme soit aussi
content de moi que je le suis de lui.
Bonn, le 27 juin 1716.
J'attens toujours le modèle que vous avez pris la peine, Monsieur, de
faire faire en cire pour l'autel à quatre faces que je dois placer dans la
chapelle de Poppelsdorf.
Je vous remercie du choix que vous avez fait pour moy d'un nouvel
architecte (i) et, comme il a toujours travaillé sous ,vous, je ne doute
(1) Ce nouvel arrhitecte, proposé par Robert de Cotte pour remplacer
Benoît de Fortier, était Guillaume Hauberat.
Son congé, que nous avons retrouvé aux Archives Nationales, 0* 1087, porte
la date du 20 juin 1716. Il est ainsi libellé :
Congé accordé au S. Guillaume Aubrat (sic), Architecte et Dessinateur du
Roy pour aller près l'Électeur de Cologne.
Louis Antoine de Pardaillan, duc d'Antin... Avons donné congé au S. Guil-
laume Aubrat, architecte-dessinateur du Roy, pour s'en aller rendre les ser-
vices de son art à l'Electeur de Cologne, à condition de revenir en France au
premier ordre de Sa Majesté que nous lui en donnerons.
l48 l'art français sur le RHIN
pas qu'il ne soit un très habile homme et qu'il n'ait toute la capacité
nécessaire pour ordonner et conduire à mon entière satisfaction, avec
toutefois vos bons avis, les bâtimens que j'ay commencés sur votre
approbation. Je l'estime déjà par avance.
Bonn, le 18 juillet 1716.
L'architecte que vous m'avez envoyé, Monsieur, est arrivé ici. Nous
avons déjà eu plusieurs conférences ensemble au sujet de mes bâti-
mens; et comme il me paraît fort entendu, j'espère qu'il répondra par-
faitement bien à mon attente et à la vôtre.
Liège, le 7 septembre 1716.
Je vous communique, Monsieur, les nouveaux plans de mon palais de
Bonn qui ojit été faits depuis l'arrivée de mon architecte Hauberat, où
vous trouverez quelques changemens, tant dans celui du rez-de-chaus-
sée que dans le premier étage; et je vous prie très instamment de
m'en dire au plus tôt votre pensée afin qu'ayant votre approbation on
puisse continuer en sûreté à y travailler avec toute la diligence pos-
sible.
Bonn, le 20 octobre 1716.
J'ay receu. Monsieur, les plans et desseins que vous m'avez ren-
voyés et trouvé fort à propos les petits changemens que vous y avez
faits. Vous pensez si juste en toutes choses que je suis ravi de suivre
vos idées et je m'y conformeray toujours avec plaisir. Je ne doute pas
que mon architecte Hauberat ne corresponde avec vous. Monsieur,
touchant mes bâtimens et qu'il ne vous instruise exactement de l'état
où ils sont et des remarques que je fais à mesure qu'ils avancent.
Ainsi je me rapporte à ce qu'il vous en mande.
Documents 1^9
Le modèle en cire pour la chapelle de Poppelsdorf est enfin retrouvé.
Il était fort dérangé quand il est arrivé ; mais je l'ay fait réparer et il
est tel que je pouvais le souhaiter. Je le feray exécuter en stuc, ne
doutant pas qu'il ne fasse un très bon effet.
Bonn, le 27 novembre 4716.
Suivant votre conseil, Monsieur, j'ay changé de dessein pour la gal-
lerie de mon palais de Bonn puisque effectivement le plancher en est
trop bas pour y pouvoir exécuter avec grâce le beau plafond dont vous
m'avez envoyé le dessein. Gomme ce serait une trop grosse affaire de
relever ce plancher, j'ay pris la résolution d'y faire faire seulement
quelques petits ornemens légers de stuc, sans y mêler aucune pein-
ture.
Cela étant, les portraits des Electeurs que je voulais mettre dans les
trumeaux entre les croisées ne conviennent plus dans cette gallerie et
ma pensée est de faire ces trumeaux tout de glaces et de garnir le côté
opposé de peintures et de certaines tablettes ou espèces d'armoires de
distance en distance où l'on puisse ranger dans un bel ordre toutes
sortes de vases, de statues, de porcelaines et autres curiosités.
Mais pour cela j'ay besoin de votre assistance et vous me ferez un
sensible plaisir de m'envoyer dans cette idée des desseins tant pour le
plafond que pour les deux côtés de cette gallerie dont vous avez les
mesures, étant persuadé que tout le monde en sera content, quand
vous aurez pris la peine d'en ordonner la décoration.
Hauberat à de Cotte
Bonn, le 17 décembre 1716.
Monsieur, je vous envoyé le plan et les faces de la gallerie du palais
Électoral de Bonn que vous m'avés fait l'honneur de me demander.
Je vous envoyé aussi le dessein de cinq cheminées dont S. A. E,
souhaite que les chambranles se fassent à Paris, n'ayant icy ny les
ouvriers ny la matière propre à cela. Son intention est de faire les
lOO L ART FRANÇAIS SUR LE RHIN
ornemens du chambranle de la première cheminée qui est dans la
salle d'audience en argent, parce que c'est la coutume en Allemagne
que dans les palais et dans les maisons considérables, il y ait une
pièce ornée en argent, c'est-à-dire les bordures de miroirs et des
tableaux qui s'appliquent sur la tapisserie et autres ornemens.
Mais comme S. A. E. craint que ces ornemens en argent coûtent beau-
coup à Paris (1), elle propose de les faire en bois pour les envoyer à
Mayence ou à Francfort y servir de model pour les fondre en argent, où
elle croit qu'ils luy coûteront moins. Il faut pour cela que le marbre
soit d'une couleur qui puisse convenir avec ce métal.
Il faudra outre cela des tables de marbre qui assortissent avec cha-
que cheminée pour mettre dans les mêmes pièces, sçavoir dans les
trumeaux et vis-à-vis 'des cheminées comme vous avés fait chez Mon-
sieur le Comte de Toulouse et chez Monsieur le Duc d'Antin.
II n'y aura point de ces sortes de tables dans la Bibliothèque parce
que le vis-à-vis de la cheminée est occupé par un bureau pour écrire,
lequel est fait, et dans les deux trumeaux de cette même pièce S. A. E.
demande que vous luy fassiés faire deux commodes ornées de bronzes...
Les dites commodes peuvent être simplement de bois de noyer parce
que S. A. E. les fera vernir icy pareil au lambris de la même pièce, au
vernis de la Chine qui sera de couleur bleue avec des filets d'or .: ce
n'est que par rapport aux bronzes qui doivent orner ces commodes,
sans quoi on les pourrait faire icy.
Le dessein de la cheminée du Cabinet de glaces est de M"* Oppe-
nort... Il propose aussi de faire les dessus de porte de glaces ; mais je
crois que des tableaux y feraient mieux. Je suivray ce qu'il vous plaira
de régler là-dessus.
A Bonn, ce 21 janvier 1717.
M. Je vous envoyé le plan du grand appartement du Palais de Bonn
que vous m'avez fait l'honneur de me demander, S. A. S. E. reçut hier
les desseins de la Gallerie que vous luy avez envoyés ; Elle me fit
appeler d'abord et me remit les d. desseins dont Elle a été très con-
tente. S. A. E. a balancé fort longtemps sur le choix qu'Elle devait faire
des deux pensées que vous proposez, les trouvant l'une et l'autre fort
magnifiques et les a approuvées toutes deux, c'est-à-dire celle avec des
(1) R. de Cotte avait proposé de les faire exécuter par le célèbre orfèvre
Ballin. Cf. la lettre du 16 octobre 1717.
DOCUMENTS l5l
pilastres d'ordre composite pour la Gallerie du Palais et l'autre pour la
Gallerie du Buen-Retiro.
L'intention de S. A. S. E. est qu'il y ait des ornemens de bronze sur
les chambranles des cheminées que vous luy. faites faire à Paris, vou-
lant toujours cependant que ceux de la cheminée de la salle d'audiance
soyent en argent. Le dessus de la cheminée sera aussi en argent ; mais
je le feray faire icy en bois argenté en attendant que l'on le puisse
faire exécuter comme S. A. E. le propose. Pour ce qui est des tables,
celles qui seront dans la salle d'audiance seront aussi tout argent, sça-
voir les pieds et les dessus.
Bonn, le 1"''' mars 1717.
Le S"" Rousseau, sculpteur, est arrivé icy. Je lui ferai tous les plaisirs
qui dépendront de moi ; mais la sculpture en pierre est icy fort ingrate
et il n'y a dans ce genre rien de prêt dans les ouvrages de S. A. E.
Bonn, 18 mars 1717.
M. J'ay reçu le dessein de la décoration du Buen-Retiro que vous
m'avez envoyé. Je ne manqueray pas de le faire exécuter selon votre
intention.
S. A. S. E. approuve fort que les dessus de commodes que vous faites
faire à Paris soyent de marbre comme vous le proposez...
S. A. S. E. m'a remis un grand mémoire pour vous envoyer, lequel
contient les sujets que S. A. E. souhaite être exécutés en peinture dans
les plafonds de son appartement de Poppelsdorf. Elle demande que
vous lui fassiez faire à présent les desseins de chaque pièce conformé-
ment au d. mémoire.
L'on commence les ouvrages à Poppelsdorf. L'on travaille présente-
ment à faire les voûtes de caves. Je fais transporter des terres tout
autour du bâtiment pour résister à la poussée des voûtes et pour rem-
plir les fossés qui sont autour dudit bâtiment,
Les ouvrages du Palais vont fort doucement. Les parquetteurs ont
fini de poser dans le Cabinet de Bavière dont on pose présentement la
menuiserie ; l'on pose le parquet dans la Salle d'audiance ; les stuca-
teurs achèvent les ornemens du plafond de la Grande Chambre de
iha l'art français sur le RHlff
Parade et ils commencent celui de la Gallerie. Je ne manqueray pas
d'y faire une corniche basse et saillante dans led. plafond comme vous
le proposez par votre dessein. Les massons travaillent au mur de clô-
ture du jardin de l'Orangerie.
Bonn, le 23 mars 1747.
S. A. E. me dit il v a quelques jours qu'elle avait à Bruxelles sept
pièces de tapisserie dont elle souhaiterait être défaite, c'est-à-dire en
les vendant le plus que faire se pourrait, sans que cela parut en aucune
manière venir de S. A. S. E., qu'elle croyait que l'on s'en pourrait
défaire à Paris plus avantageusement qu'ailleurs. Elle m'a ordonné de
vous en écrire pour sçavoir si par votre moyen cela ne se pourrait pas.
La raison pour quoy S. A. S. E. s'en veut deffaire est que ces pièces
sont si grandes qu'il n'y a pas d'endroit dans le palais où elles puissent
convenir ; avec cela elles représentent les Sept péchés mortels sous des
figures de monstres fort désagréables à voir dans un appartement.
M. le Comte de S* Maurice dit qu'elles sont fort belles, c'est-à-dire
d'une bonne manufacture et que les couleurs en sont fort belles et fort
vives.
Bonn, le 20 avril 1717.
J'ay reçu le dessein du bout de la gallerie du Palais de Bonn que
vous m'avez renvoyé : je ne manqueray pas de suivre exactement ce
que vous me faites l'honneur de me mander.
J'ay remis à S. A. S. E. le mémoire de dépense des ouvrages que
vous faites faire à Paris. S. A. S. E. a répondu qu'EUe ordonnerait des
fonds pour les payer.
Pour ce qui est du transport des deux commodes et des deux dessus,
S. A. souhaite que vous les remettiez à M. de Valdor pour les envoyer à
Metz et de là les embarquer sur la Moselle pour venir par eau jusqu'icy
pourvu que ce soit par une adresse qui ne fasse pas attendre si long-
temps que l'on a fait pour le model de la chapelle de Poppelsdorf.
S. A. m'a remis le dessein de la tribune que vous lui avez envoyé ;
Elle en a été fort contente ; Elle a seulement souhaité que le couronne-
ment se termine par un bonnet électoral.
DOCUMENTS
i53
Quant à l'avancement des ouvrages du Palais, l'on travaille présen-
tement à l'Orangerie dont on fait les voûtes ; je ferai en sorte de
finir la massonnerie de cet endroit et le mettre à couvert cette
année.
L'appartement de S. A. E. s'avance fort et si les fonds viennent un
peu, je compte que S. A. le pourrait occuper l'hyver prochain en se
servant de l'escalier qui est[à gauche en entrant. L'on travaille actuel-
lement à la dorure du plafond du Cabinet de Bavière; la petite chambre
à coucher est entièrement finie de dorer; il n'y manque que des glaces
et des tableaux.
L'on travaille à Poppelsdorf à faire les voûtes de caves et je compte
qu'elles seront finies ce mois ; l'on travaille aussi à élever le mur cir-
culaire en dedans de la cour ; il est déjà à hauteur d'imposte dans
quelques endroits.
Le S'" Rousseau, sculpteur, est occupé chez M. le comte de S* Maurice
où je luy ai fait avoir quelques ouvrages : sçavoir un fronton qu'il a
fini et huit consoles sous un grand balcon. Il achève présentement cet
ouvrage et je feray en sorte de luy en procurer tant que je pourrai
pour qu'il ne reste pas oisif.
L'Électeur de Cologne à Robert de Cotte
Bonn, le H juin 1717.
Je sçay, Monsieur, que mon architecte Hauberat vous informe de
tems en tems de l'état de mes bâtimens et reçoit vos avis sur ce qu'il
a l'honneur de vous communiquer, dont je vous suis infiniment rede-
vable. Les dedans de mon appartement s'avancent fort et l'homme qui
travaille en vernis n'attend pour accomoder ma bibliothèque autre
chose sinon que la cheminée de marbre soit posée, ne pouvant rien
faire sans cela à cause de la poussière qui gâterait tout son ouvrage, si
on ne commençait par cette cheminée. C'est pourquoi je vous prie.
Monsieur, de me l'envoyer tout le plutôt qu'il sera possible et de m'en
marquer le prix afin que cela me serve de règle à peu près pour
toutes les autres, à proportion de leur grandeur et de leurs
ornemens.
l54 . l'art français sur le RHIN
Hauberai à B. de Cotte
40 août 1717.
M., J'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrira.
S. A. S. E. a ordonné deux mil écus pour vous les faire tenir pour dis-
tribuer aux ouvriers acompte des ouvrages qu'ils font; mais comme le
change est icy fort considérable, l'on a cherché jusqu'à présent et il
ne s'est point trouvé de banquier qui ait voulu négocier à moins de
douze pour cent en sorte qu'il n'y aura à recevoir à Paris qu'environ
cinq mil trois cent livres. Je crois que l'on vous envoyera une lettre de
change pour cette somme.
A l'égard de l'avancement des ouvrages du Palais, l'on continue de
travailler à élever les murs du Buen-Retiro : c'est le seul endroit où
l'on travaille en maçonnerie : l'on n'a rien fait cette année dans l'en-
droit destiné pour le grand escalier non plus qu'à la grande salle.
L'on ne peut pas travailler dans tant d'endroits avec le peu d'ouvriers
qui sont icy ou pour mieux dire avec le peu d'argent qu'il y a. L'on
travaille présentement à dorer les plafonds et corniches de la Chambre
d'audiance, du Cabinet de Bavière et de la Bibliothèque ; mais il n'y a
que deux ou trois doreurs dans chacune de ces pièces en sorte que cela
va très doucement. 11 y a un de ces doreurs qui est venu icy de Paris
de la part de M. de Valdor : c'est celuy qui fait le mieux.
J'ay icy seize ou dix-huit compagnons menuisiers sous un maître
qui est Français et qui entend fort bien son affaire. Ils sont occupés à
faire des portes, des placards, des croisées et du parquet et quelques
lambris.
Il y a un serrurier français qui à six ou sept compagnons. Il est
occupé à faire la ferrure des portes et des croisées et quelques balcons
pour les croisées de l'appartement de S. A. E.
Il y a icy sept ou huit sculpteurs en bois dont quelques-uns, qui ont
travaillé à Paris, font assez bien.
Les ouvrages de Poppelsdorf se continuent fort lentement. L'étage
sur le jardin est élevé ; il n'y a plus que la corniche à mettre. L'on
élève présentement les pavillons du côté de Bonn ; je ne crois pas que
ce bâtiment puisse être couvert cette année.
Quant au S*" Rousseau, il est toujours occupé chez le comte de S* Mau-
rice ; il travaille à orner de sculpture un cabinet au bout du jardin. Il
y a encore quelques ouvrages qui se présentent ailleurs et auxquels il
sera occupé ; il fait assez bien ses petites affaires et m'a paru fort
rangé jusqu'à présent.
DOCUMENTS
l55
Bonn, 26 août I7I7.
Pour ce qui est des bâtiments, l'on y travaille toujours fort dou-
cement. L'on continue d'élever le Buen Retiro. J'espère qu'il sera cou-
vert cette année. Les doreurs travaillent toujours dans la Chambre
d'audience, dans la Bibliothèque ; mais il y a tant d'ouvrage dans cha-
cune de ces pièces qu'il faudra bien toute l'année pour les finir de
dorer ; les plafonds sont tous ornés de sculptures et doivent être dorés.
L'on continue de travailler au bâtiment de Poppelsdorf. La face sur
le jardin avec les trois pavillons est élevée ; il n'y a plus que la corniche
de pierre de taille à poser. L'on travaille présentement à faire les
voûtes de la gallerie circulaire au pourtour de la cour. Je ne crois pas
que ce bâtiment puisse être couvert cette année, vu le peu d'ouvriers
qu'il y a et la quantité d'ouvrages qui restent à faire.
L'Électeur de Cologne à R. de Cotte.
Bonn, le 28 août 1717.
Il envoie une lettre de change pour distribuer des acomptes aux
ouvriers que de Cotte emploie à son service.
« Le dérangement où sont présentement mes affaires n'a pas laissé
de m'embarasser à trouver des fonds pour cela et du moins il m'a
fallu du temps pour en venir à bout. Cependant voici une lettre de
change de deux mille écus que vous distribuerez comme vous le
jugerez à propos à ces mêmes ouvriers, vous priant de m'envoyer le
plutôt qu'il sera possible, par la route de Metz (1), ce qui se trouvera fait
et en état de poser, principalement la cheminée que je vous ay
demandée. »
(1) Les pieubles commandés à Paris par l'électeur de Cologne étaient
embarqués à Metz sur la Moselle et de là acheminés par eau jusqu'à Bonn.
1^6 l'art français sur le RHIN
Bonn, le 16 octobre 1717.
Je vois avec plaisir, Monsieur, par votre dernière lettre que vous
avez pris la peine de faire partir de Paris les deux cheminées de
marbre pour ma Bibliothèque et pour le Cabinet des glaces avec leurs
ornemens de bronze doré, qui viendront ici en droiture, suivant
l'accord fait avec le maître du carrosse de Metz.
Je vous remercie infiniment, Monsieur, des soins que vous avez
bien voulu vous donner pour cela, et pour distribuer aux ouvriers que
vous avez employés pour moi les six mille livres que je vous ay fait
toucher par lettre de change.
Je ne vous suis pas moins redevable d'avoir parlé au S' Ballin
touchant les ornemens en argent que je veux mettre à la cheminée de
ma Salle d'audiance. 11 n'y a pas de doute, et je suis persuadé, qu'il
ne sort de ses mains que des ouvrages accomplis. Mais permetlez-moi
de vous dire que les façons chez lui montent si haut qu'elles excédent
souvent le prix de la matière. Ainsi je suis résolu de faire exécuter ces
ornemens en Allemagne où l'on travaille fort bien, et à beaucoup
meilleur marché, pourvu que l'on fournisse de bons modèles aux
ouvriers, outre que je les auray bien plus tôt que si on les faisait faire à
Paris d'où on ne les pourrait tirer qu'avec beaucoup de tems et de
frais.
Cela étant, je vous prie de m'envoyer les modèles en cire, que vous
avez fait faire, afin que je les fasse exécuter incessamment.
Hauberal à R. de Cotte.
Bonn, ce 16 8^" 1717.
M. Les cheminées de marbre avec les bronzes que vous avez envoyées
sont arrivées à bon port et sans accidents : elles sont venues par eau
depuis Metz jusqu'icy. J'ay fait dépaqueter celle deverd Gampan... S. A.
S. E. les a vues et en a été fort contente. Je n'ay point encore sorti les
bronzes ; mais à lasimple ouverture des caisses tout m'a paru en fort
bon état. J'ay ici un marbrier qui est assez entendu et qui, j'espère
DOCUMENTS iSj
pourra poser les d. cheminées. Je vais commencer par la Bibliothèque
où doit être celle de verd Campan. Pour le Cabinet de glaces, c'est la
pièce la moins avancée et Ton n'y travaille pas encore.
Quant à l'avancement des ouvrages du Palais, Ton continue de poser
la corniche de pierre de taille du Buen Betiro et je compte que le char-
pentier commencera à poser le comble la semaine prochaine.
Pour ce qui est de Poppelsdorf la voûte de la gallerie circulaire au
pourtour de la cour est finie et les cintres ôtés : rien n'a branlé depuis
quej'ay fait mettre des fers. L'on travaille à élever le pavillon des
cuisines. Il ne reste plus à faire que les deux pavillons : sçavoir celuy
de l'entrée et celuy de la chapelle.
L'on a posé la charpente du comble sur trois des pavillons des coins ;
la corniche de pierre n'est cependant point encore posée ; cela n'em-
pêchera pas que je ne fasse couvrir de planches les d. toits pour
garantir pendant l'hyver. Les couvreurs se servent ici de planches de
sapin au lieu de lattes.
S. A. a fait demander des glaces pour la petite chambre à coucher.
Il y a une manufacture du côté de Francfort : c'est de là qu'elles
doivent être amenées. Je n'en scay pas encore le prix ni la qualité.
L'Electeur à R. de Cotte
Bonn, le 30 octobre 1717.
A la fin, Monsieur, la massonnerie du Buen Betiro de mon palais de
Bonn est achevé ; il est à la hauteur qu'il doit être et l'on travaille
actuellement à le mettre sous toit.
Il s'agit donc présentement de songer aux décorations du dedans et
c'est à quoi je vous prie très instamment de donner attention tout le
plutôt que vos grandes occupations vous le pourront permettre.
Je voudrais, Monsieur, que, ce nom de Buen Betiro dénotant un lieu
de retraite, où l'on va se tranquilliser et se délasser l'esprit des affaires,
sans être importuné par la foule des courtisans, je voudrais, dis-je, que
les peintures le dénotassent allégoriquement par tout ce que l'imagina-
tion d'un peintre habile et inventif pourrait trouver à ce sujet, sans
pourtant y mêler de l'amour ni de choses saintes, et que le tout fût à
peu près comme étaient les appartemens de feu M'" le Dauphin è
Meudon.
i58 l'art français sur le rhin
Je crois que le peintre Audran (1), assisté de vos bons conseils, me
pourrait donner de grandes lumières là-dessus et, comme il excelle en
grotesques (2), me faire des desseins tels que je les souhaite. Vous
aurez donc la bonté de lui en parler et de me dire ensuite si vous trou-
vez plus convenable de les faire exécuter à Paris, ce qui coûterait
beaucoup tant pour l'ouvrage que pour le port ou s'il ne serait pas
mieux de les faire peindre sur le lieu par mon peintre La Rocque, qui
est entendu et fort habile garçon, tant pour l'ornement que pour la
figure. 11 ne s'agira en ce cas-là que des desseins, lesquels on pourrait
m'envoyer facilement et à peu de frais.
On pourrait peindre dans le plafond de la gallerie les Arts libéraux^
lesquels ont du rapport au repos et à la tranquilité. Le Grand Cabinet
doit être tout de glaces, tant dans les côtés que dans le plafond parce
que, faisant le coin de ce bâtiment et ayant par conséquent deux faces,
cela fera un bien plus bel effet que si on mettait ces glaces dans le
cabinet pour lequel elles étaient destinées. A la place de cela on fera
orner ce dernier cabinet de porcelaines sur de grandes consoles et
tablettes selon l'un des deux desseins que vous avez pris la peine de
faire pour ma grande gallerie.
L'antichambre doit être boisée et peinte brun et or avec quelques
glaces et quelques portraits de même que la chambre du lit, à peu près
dans le goût des petits appartemens de iMeudon.
Pour le petit cabinet, j'ay l'envie de le faire peindre tout en fleurs,
(1) Claude III Audran, né à Lyon en 1658, mort à Paris en 1734, appartenait
à une dynastie d'artistes célèbres. Il était neveu du grand graveur Gérard
Audran, merveilleux interprète de Poussin, de Lesueur, de Lebrun, qu'on
considère à juste titre comme le premier graveur d'histoire de l'école fran-
çaise. Cf. G. Duplessis. Les Audran, Paris, 1892.
Très réputé comme « peintre de grotesques » il fut après Gillot le maître
de Watteau, dont les œuvres de jeunesse trahissent nettement son influence
On cite parmi ses principaux ouvrages la décoration, dans le goût des loges
de Raphaël, des châteaux de Meudon, d'Anet, de la Muette et la Ménagerie
de Versailles. Ce sont ses décorations de Meudon qui donnèrent à l'électeur
de Cologne l'idée de s'adresser à lui.
Claude Audran comptait également parmi ses protecteurs l'évéque de Metz,
qui lui commanda en 1717 des modèles de vitraux pour la chapelle de son châ-
teau de Frescati.
(2) Les grotesques sont ainsi appelés parce que les premiers examples en
avaient été trouvés à la Renaissance dans des grottes. Raphaël et Jean d'Udine
imitèrent ces arabesques pompéiennes dans les loges du Vatican. Au début
du XVIII' siècle plusieurs artistes français : Gillot, Audran, AVatteau,
Christophe Huet, l'auteur des Singeries de Chantilly, remirent en honneur ces
légers ornements qui se détachaient à merveille sur les fonds blancs des boi-
series de style rocaille.
DOCUMENTS iSq
par la raison qu'il donne contre le jardin et de faire orner le plafond de
lis et de roses avec des festons de feuilles vertes et des compartimens
dorés : ce qui représenterait à peu près le gris de lin, le verd et le
blanc qui sont mes trois couleurs favorites.
Pour la Chambre des Bains avec le lit, mon dessein est de la faire
boiser avec des feuilles de vernis de la Chine de distance en distance,
comme on en a en Hollande et en forme de feuilles de paravent
enchâssées dans la boiserie ; et la chambre du Bain même doit être
boisée aussi, mais toute peinte de bleu et blanc en forme de porcelaine
avec un vernis par dessus qui ne s'écaille ni ne s'efface et qui puisse
même résistera l'eau chaude.
Bonn, le 4 décembre 1717.
Pour ce qui regarde le grand escalier de mon palais, j'espère le ren-
dre aussi magnifique qu'il le puisse être : car Mr l'Électeur de Bavière,
mon très cher frère, me fait présent de tout le marbre nécessaire pour
cela, en ayant de très belles carrières dans ses États (1). On le fera
venir par eau jusques à Donavert (2) et de là on le transportera par
terre pendant lajgelée jusques au Mein, d'où il sera très facile de le
faire descendre jusqu'ici sans beaucoup de frais.
Vous jugez bien que de la sorte cet escalier me coûtera fort peu de
chose; et ce serait pour moi une grosse épargne si je pouvais avoir au
même prix les cheminées de marbre et les autres choses que vous
avez pris la peine de comm.ander à Paris pour mes appartemens : mes
finances étant présentement effroyablement dérangées par l'opiniâtreté
et les mauvaises intentions de mes États, en haine de mon alliance
avec le feu Roi Très Chrétien, de très glorieuse mémoire, qui leur tient
toujours si fort à cœur que je n'en puis tirer aucun secours.
Si, sans me commettre, vous trouviez l'occasion de le faire connaître
en badinant à W le Duc d'Antin qui nous a toujours témoigné tant
d'amitié, à M' l'Électeur, mon très cher frère, et à moi, vous me feriez.
Monsieur, un fort grand plaisir de lui en parler, et je suis presque cer-
tain que, vu sa générosité naturelle dont tout le monde se loue et son
(1) Ce marbre était extrait des carrières de Hohenschwangau. Les archives
de Munich conservent les pièces comptables relatives à cette livraison : Die
von Kurhayern zur Kurkôlnischen Residenz nacher Bonn gelieferten mar-
morsteinischen Stegen und deren Abfuhrung 1718.
(2) Donauwôrth.
l60 l'art français sur le RHIN
grand pouvoir, il trouverait bien les moyens de me tirer cette épine du
pied en faisant mettre au compte de S. M. T. C. ces petits ouvrages (1)
qui ne seraient que des bagatelles pour un aussi grand Roi, mais qui
ne laissent pas d'être considérables pour un Prince qui se tr©uve dans
la triste situation où je suis aujourd'hui.
J'abandonne le tout à votre prudence, vous priant encore une fois de
ne me point commettre et de n'en parler, si vous trouvez à propos de
le faire, que comme d'une idée qui vous est venue, sans que j'en aye
la moindre connaissance.
Bonn, le 29 décembre 1747.
Je vous suis infiniment obligé. Monsieur, de la promptitude avec
laquelle vous avez bien voulu vous mettre à travailler aux desseins que
je vous ay demandés pour les dix pièces de mon appartement du Buen
Retira et je ne doute pas qu'ils ne soient entièrement conformes à mes
intentions.
Vous avez très bien fait. Monsieur, dans la situation où se trouve pré-
sentement M. le Duc d'Antin, de ne lui point parler de ce que je vous
avais confié par ma précédente et j'approuve extrêmement le ménage-
ment que vous avez gardé dans cette rencontre. Mais avec tout cela je
ne sçaurais m'empêcher de vous dire que je suis bien malheureux de
n'avoir pu trouver place dans son arrangement.
Quant au reste des cheminées, tables de marbre, ornemens de bronze
doré et commodes que vous avez fait mettre dans des caisses, mon
architecte Hauberat doit vous avoir écrit là-dessus pour examiner par
quelle route on peut les faire venir à meilleur marché ; et vous aurez
la bonté de leur faire prendre celle qui coûtera le moins et qui sera
plus diligente. Je feray tout ce que je pourray pour vous envoyer
de l'argent. Mais après ce que je vous ay dit du mauvais état
de mes finances, vous pouvez bien juger que cela ira un peu à la
longue.
(1) Ces petits ouvrage» représentaient la bagatelle de 24.000 livres, dues à
différents artistes parisiens : BouUe, Desjardins, etc., pour les fournitures de
meubles et de bronzes.
DOCUMENTS l6l
Hauheral à R. de Colle
2 mars 1718.
Il y a longtemps que je n'ay eu l'honneur de vous écrire parce que
pendant tout l'hyver il ne s'est rien fait qui méritât votre attention.
J'ay parlé plusieurs fois à S. A. S. E. et même encore aujourd'huy
pour qu Elle voulût bien ordonner quelques sommes pour les chemi-
nées de marbre qui sont à Paris. Elle m'a répondu qu'EUe s'arrangeait
pour cela.
S. A. S. E. se dispose à partir incessamment pour Liège. Je ne serai
pas du voyage à cause des ouvrages du Palais de Bonn.
6 mars 1718.
S. A. S. E. m'envoya chercher hier au soir pour me dire que le
Prince Électoral de Bavière devait venir icy avec un de ses frères et
qu'il fallait faire en sorte de les pouvoir loger. J'aurais besoin pour cet
effet des deux cheminées de marbre, sçavoir la Salle d'audiance et le
Cabinet de Bavière qui est l'appartement que S. A. destine au Prince
Électoral. Si vous pouvez enyoyer les d. deux cheminées, cela fera
beaucoup de plaisir à S. A. S. E. qui a promis d'envoyer bientôt encore
un acompte aux ouvriers.
L'Élecleur de Cologne à B. de Colle
Bonn, 16 mars 1718.
La Chambre d'audiance et le Cabinet de Bavière dans mon nouvel
appartement sont en état et pour les mettre dans toute leur perfection,
il n'y a plus que les cheminées à poser. Comme par les lettres que j'ay
reçues hier au soir de Munique, j'apprens que le Prince Électoral de
a
l62 l'art français sur le RHIN
Bavière et le duc Ferdinand mes neveux seront ici un peu après
Pâques, je vous prie très instamment, Monsieur, pour que je les puisse
loger un peu honorablement et commodément de faire en sorte que les
marbres et autres ornemens qui doivent servir à ces deux cheminées
puissent être rendus ici avant leur arrivée.
Je ne manqueray pas de vous faire tout le plutôt qu'il sera possible
quelque remise pour le payement des ouvriers qui y ont travaillé.
Hauherai à R. de Cotle
Bonn, 4 juillet 1718.
M. Je ne manque aucunes occasions de parler à S. A. S. E. pour le
payement des cheminées de marbre que je ne le fasse. Dernièrement
je luy dis que vous m'aviez écrit à ce sujet. S. A. me répondit qu'Elle y
songeait, mais que le séjour du Prince Electoral avait dérangé les
fonds, que cependant Elle ferait en sorte de donner bientôt quelque
argent pour cela : c'est à quoi je veilleray aussy bien que pour le paye-
ment du voiturier de Metz. Je vous prie d'être persuadé que je fais de
mon mieux.
J'ay fait raccommoder les cires de la cheminée de la Chambre d'au-
diance par le S' Rousseau, sculpteur; elles sont présentement en bon
état. J'en ay fait fondre icy un morceau d'ornement en argent par un
orfèvre qui s'en est fort bien acquitté ; en sorte que je prendray le
parti de les faire fondre par cet ouvrier et ne seray pas obligé de les
envoyer à Augsbourg.
Pour ce qui est de l'avancement des ouvrages du Palais, l'on conti-
nue de travailler dans l'endroit destiné pour les cuisines... Les doreurs
finiront ce mois-cy, comme j'espère, de dorer la Chambre d'audiance
et le Cabinet de Bavière : ces deux pièces deviennent fort belles et
magnifiques.
Bonn, 29 août 1718.
J'espérais que S. A. S. E. ordonnerait quelque argent, comme Elle
l'avait promis, pour le payement des ouvrages que l'on a faits pour son
service à Paris ; mais comme cet argent n'est pas venu, je pris la
liberté de luy en parler hier. S. A. me dit qu'Elle attendait trois cen
DOCUMENTS l63
louis d'un certain endroit lesquels étaient destinés pour cela : voilà
tout ce que j'ay pu faire jusqu'à présent.
Si dans les dernières lettres que j'ay eu l'honneur de vous écrire, je
n'ay pas parlé du principal escalier du Palais et de la Grande Salle,
c'est que Ton n'y travaille point du tout. S. A. S. E. de Bavière a promis
d'envoyer les marches de cet escalier, lesquelles seront de marbre. J'ay
envoyé les mesures pour cela il y a près d'un an.
Il y a quelque temps que vous me fîtes l'honneur de m'écrire à
l'occasion du S"" Rousseau sculpteur. Je vous prie d'être persuadé que
j'ay fait jusqu'à présent et que je feray dans la suite tout de mon mieux
pour ne le point laisser manquer d'ouvrages et luy procurer tous les
avantages qui dépendront de moy : je scay assez les obligations infinies
que je vous ay pour ne pas négliger une personne pour qui vous vous
intéressez.
Bonn, M novembre 1718.
M. Je ne doute pas que vous ne m'accusiez de paresse de ce que j'ay
été si longtemps sans avoir l'honneur de vous écrire; mais sans cher-
cher à m'excuser dans mon tort, je diray seulement qu'après vous
avoir mandé plusieurs fois que S. A. S. E. devait envoyer quelque
argent à Paris pour les ouvrages que l'on y a faits pour son service et
voyant que cela ne venait point, j'étais en quelque façon honteux de
n'avoir rien de positif à vous mander à ce sujet. Cependant à force de
prêcher, S. A. E. a promis encore aujourdhuy de donner une somme
qui doit luy venir à la fin de ce mois.
L'on a posé en dernier lieu la menuiserie de la Chambre de parade
qui est fort riche et dont S. A. a paru fort contente.
Les ouvrages de Poppelsdorf vont fort lentement : il n'y en aura
qu'une fort petite partie de couvert cette année. Cependant les plan-
chers sont posés partout. Il y en a tels qui vont essuyer un troisième
hyver : ce qui fait fort mal ; mais je [ne puis pas faire autrement et il y
a lieu de craindre que pendant que Ton finira d'un côté, les ouvrages
ne tombent en ruine de l'autre.
Bonn, 20 février 1719.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait Thonneur de m'écrire qui
m'a été remise par M'' Vivien, par laquelle je vois que vous êtes impor-
tuné par les ouvriers qui ont fait les ouvrages de S. A. S. E. Je puis
l64 l'art français sur le RHIN
VOUS assurer, M., que je fais tout démon mieux et que je sollicite
autant que je le puis pour faire finir cette affaire et vous débarrasser
des persécutions de ces ouvriers.
S. A. S. E. n'a point encore recules tableaux que M'" Vivien a envoyés
il y a longtemps par la voye de Metz.
L'on n'a pas fait beaucoup d'ouvrages au Palais pendant cet hyver;
l'on a travaillé à la dorure de quelques plafonds.
J'ay toujours occupé le S"" Rousseau et j'ay encore de quoy l'employer
cet été : il pourrait faire quelque chose s'il voulait; mais il aime un
peu les plaisirs et ne s'attache pas fort à son ouvrage.
L'Electeur de Cologne à /?. de Cotte
Bonn, le 28 février 4719.
J'ay reçu. Monsieur, du S'" Vivien, mon premier peintre du Cabinet,
la lettre dont vous l'aviez chargé pour moi et je trouve que les louan-
ges que vous lui donnez ne sauraient être mieux placées, le maître qui
a fait les beaux ouvrages qu'il vient de fournir les méritant véritable-
ment, surtout après avoir eu l'approbation d'une personne comme vous
dont le bon goût et le discernement sont également reconnus dans une
ville qui est le centre des Sciences et des Beaux Arts; aussi suis-je
content de ces tableaux il ne se peut pas davantage : à quoi je dois
ajouter que vous me ferez un sensible plaisir si vous voulez bien faire en
sorte que le S»" Vivien puisse avoir avec le tems un appartement aux
Gobelins. en quoi j'espère qu'il réussira d'autant plus facilement que
je scais que vous êtes sans cela porté à le favoriser dans tout ce que
vous pourrez.
Hauberat à B. de Cotte
27 mars 1719.
M. je vous envoyé trois lettres de change, faisant ensemble la somme
de six mil livres pour le payement des ouvrages que vous avez fait
faire à Paris pour S. A. S. E. M. le Comte de S*-Maurice m'a promis dp
DOCUMENTS
i65
donner incessamment le surplus de ce qui reste à payer tant pour
les ouvrages que pour les voitures faites et à faire : en sorte, M., que
vous pouvez faire partir en toute assurance ce qui reste desd.
ouvrages.
L'on continue de travailler dans les dedans des appartements, tant à
la dorure qu'à la menuiserie.
27 avril 1719.
J'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
par laquelle vous me mandez qu'il doit partir incessamment de
Paris vingt-neuf caisses dans lesquelles sont le reste des ouvrages de
S. A. S. E.
S. A. S. est encore à Liège d'où Ton ne scait pas positivement quand
Elle reviendra.
Les ouvrages vont icy si lentement que c'est une pitié : l'on continue
le bâtiment des cuisines et l'on travaille un peu dans les dedans, le tout
proportionnellement aux fonds destinés pour cela.
L'Électeur de Cologne à R. de Colle
Bonn, le 29 juin 1719.
Vous aurez déjà appris, Monsieur, par mon architecte Hauberat que
le reste des ouvrages de marbre avec les bronzes et commandes pour
mon palais d'ici est arrivé bien conditionné : dont je suis très content,
aussi bien que de l'envie que vous me témoignez à me pouvoir faire
plaisir.
Je ne manquerai pas de donner les ordres pour que le peu qui reste
encore à payer vous soit remis au plutôt et me flatte, quand j'aurai
encore besoin de vos lumières pour la conduite de vos bâtimens, que
vous voudrez bien continuer à m'en faire part.
i66 l'art français sur le rhin
Bonn, le 4 janvier i720.
Comme je vous ay toujours consulté, Monsieur, en tout ce qui regarde
mes bâtimens, ne soyez pas surpris que je vous charge de me faire
six lustres de bronze pour placer à côté des glaces dans ma chambre.
Je souhaite qu'ils soient tous six à deux branches, dont quatre repré-
senteront chacune des quatre Saisons et les deux autres doivent
représenter l'un le Soleil et l'autre la Lune.
Je vous envoyerai bientôt un nouveau plan des embellissements que
je fais à mon palais. Ma passion pour bâtir est toujours égale ; mais les
moyens me manquent pour la satisfaire.
Bonn, le 1" février 4720.
Je suis très sensible à l'attention que vous avez eue, Monsieur, de
vous acquitter de la commission de faire faire les lustres de bronze pour
placer aux côtés des miroirs de ma chambre. J'ai donné ordre à mon
architecte Hauberatde vous envoyer les profils que vous lui demandez,
pour que ces lustres répondent à l'architecture qui enferme les glaces
et je ne doute point de la justesse de Texécution.
Bonn, le 18 février 1720.
L'Électeur prend de Cotte comme arbitre dans une « dispute terrible
qui s'est élevée parmi ses courtisans au sujet de l'emplacement à affecter
à VOrangerie. »
Cette dispute qui commence à s'échauffer partage toute ma Cour. Je
ne suis pas assez entendu pour oser décider sur cette contestation. C'est
ce qui m'engage à vous demander votre sentiment là-dessus que je
suivrai aveuglément.
DOCUMENTS 167
H'auheral à R. de Coite.
22 juillet 1720.
J'ay fort peu d'ouvriers, massons surtout; encore sont-ils dispersés
de côtés et d'autres, en sorte que l'ouvrage qu'ils font paraît fort peu de
chose. L'on travaille actuellement au grand escalier, mais si lentement
que c'est tout au plus s'il s'élève cette année au plain pied du premier
étage.
S. A. S. E. mangea hier pour la première fois dans la grande salle à
manger ; elle n'est cependant pas encore entièrement finie ; mais l'im-
patience de S, A. n'a pu souffrir un plus long retardement. Il y manque
encore les embrasements et chambranles de menuiserie autour des
croisées. S. A. S. E. a paru fort contente aussi bien que toute la Cour
et effectivement cette pièce devient fort belle.
21 octobre 1720.
Il y a quelque temps que j'eus l'honneur de vous écrire au sujet de
VOrangerie de Bonn. Depuis ce temps S. A. S. E. est absolument déter-
minée à changer lad. Orangerie... S. A. y veut avoir plusieurs bassins
et canaux pour des carpes, truites, tortues et autres divers poissons
curieux.
S. A. a été fort contente à son retour de trouver la terrasse sur le
jardin finie : ce qui fait effectivement une fort belle promenade.
Pour ce qui est des ouvrages, ils se continuent à l'ordinaire fort len-
tement. L'on couvre une partie de la grande gallerie qui a été faite
cette année. L'on a un peu travaillé à la cage du 'grand escalier : cette
partie n'est encore élevée qu'à la hauteur du premier étage ; mais
j'espère que l'année prochaine ce sera le fort de l'ouvrage... Je fais
toujours travailler dans les dedans ; ils deviennent fort riches et même
magnifiques. S. A. E. en est très contente.
U avril 172L
Je vous envoyé le plan et les élévations de la place où S. A. S. E.
souhaite avoir une grotte.
i68 l'art français sur le rhin
J'attends après les bras de bronze dorés que le S'' Vassé (1) m'a
mandé être partis de Paris; je ne manqueray pas de vous faire scavoir
ce que S. A. S. E., en aura dit et je ne doute nullement qu'Ella n'en
soit très contente.
L'on a recommencé à travailler aux ouvrages du Palais; je feray en
sorte de faire avancer l'endroit où doit être le grand escalier afin qu'on
puisse jouir de cette partie si nécessaire à tout le reste des apparte-
ments et qui fera et l'ornement et la commodité de tout le Palais.
S. A. S. E. doit aller demain à Brûhl où vraisemblablement Elle
fera quelque séjour parce qu'EUe y est à portée d'y voir S. AS. le
Prince Clément (i^), son nepveu, qui est à Cologne où il fait sa résidence
et où il est obligé d'assister à tous les offices de l'église.
Comme je sais que vous avez la bonté de vous intéresser à ce qui
me regarde, je vous diray que S. A. S. E. vient de m'honorer du titre
de Conseiller de la Chambre des Finances et delà dignité d'Intendant
de ses bâtiments. Je feray en sorte qu'EUe ne soit pas trompée dans
son attente en continuant et redoublant, s'il se peut, mes soins pour
son service et je n'oublieray jamais que c'est à vous, M., à qui j'en ay
les premières obligations.
8 décembre 1721
J'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire par
laquelle vous vous plaignez de ce que j'ai été si longtemps sans vous
donner de mes nouvelles. J'avoue mon tort, mais je puis vous
assurer en même temps qu'il ne s'est rien fait dans les travaux de
S. A. S. E. qui ait mérité votre attention et j'ay craint de vous impor-
tuner par le récit ennuyeux du peu d'ouvrages que nous faisons.
J'ay fait travailler pendant tout l'été dans les dedans de l'appartement
icy à Bonn ; l'on n'a rien fait au grand escalier, ny par conséquent à
la Salle des Gardes, mais l'année prochaine je feray en sorte que cet
endroit soit notre objet principal.
Pour ce qui estdu.'châteaude Poppelsdorf, il n'est pas encore entière-
ment couvert; il n'y a point d'aparence que ce bâtiment soit si tôtfiny.
Quand au modèle que vous avez fait faire pour la grotte, vous pouvez
le faire mettre au coche de Sedan à l'adresse de M. Coussac, Mayeur à
Liège, pour faire tenir à S. A. S. E. de Cologne à Bonn. Le d. coche est
dans la rue St Martin à l'enseigne du Cardinal Lemoyne.
(1) Antoine Vassé, père du sculpteur Claude Vassé.
(2) Le prince Clément-Auguste de Bavière, neveu et successeur de l'électeur
Joseph-Clément.
DOCUMENTS
169
Extraits de ta dépense pour tes ouvrages que Son A. E. de
Cologne a ordonnés à M. de Cotte de faire faire à Paris
pour son patais de Bonn.
DISTRIBUTION
OUVRAGES
ACOMPTES
RESTE à PAYER
Tarle, ouvrage de marbre 6 chemi-
nées, 12 tables
12.300 liv.
6.800 liv.
5 500 liv
Desjardin, pour les bronzes dorés
d'or moulu aux cheminées. . . .
5.300
2.100
3 200
Raou, pour les modèles de la che-
minée de la Salie d'audience . . .
300
300
»
BouLLE, pour deux commodes ornées
de bronzes dorés d'or moulu . . .
1.675
1.000
675
Dbschamps, pour des caisses. ....
580
152
428 •
Doyen, pour les voitures
3.618
900
2.718
Total des ouvrages. . . .
23.878 liv.
11.357 liv.
12.521 liv.
Mémoire de ce qui serait à exécuter dans les bâtimens
de Son Altesse Sérénissime Électorale pendant son
absence (i)
Bonn, le 7 septembre 1722.
1. On doit achever le corps de logis du grand sallon le plus tôt que
faire se pourra; après quoi on emploiera les maçons autant que la sai-
son le permettra à élever et finir les murailles du quartier des cui-
sines jusqu'à l'écurie.
(1) Nous ne donnons ici que des extraits de cette pièce retrouvée par
Renard au Staats-Archiv de Diisseldorf.
170 l'art français sur le RHIN
2. On achèvera de même à Poppelsdorf à paver et couvrir la platte
forme de la cour.
3. On finira dans toute sa perfection la gallerie du palais et le sallon
des Jeux, comme aussi la chambre du buffet avec son poêle, afin que
toutes ces trois pièces soient en état au'retour de S. A. S. E.
7. Le doreur Schmitz dorera encore avant l'hiver la fontaine du
Lever du Soleil : car cela ferait un trop vilain effet qu'une fontaine fût
dorée et l'autre point.
10. L'on fera déloger le serrurier et le menuisier français afin que
Maître Max se puisse mettre en ordre pour exécuter la grotte projettée.
13. La Vigne du Seigneur (1) doit être finie sans qu'il y manque un
clou.
14. Le doreur Moha achèvera la chambre de parade de S. A. S. E.
15. Le jardin de la Cour sera tracé afin qu'il commence une fois à
prendre forme de jardin et S. A. S. E. serait agréablement surprise si
leS"^ Hauberat faisait en cela le même miracle qu'il a fait au parterre
devant la cour, lequel S. A. S. E. trouva fait dans un tems où elle le
pensait le moins.
16. Tous les quinze jours le S»" Hauberat fera l'état de distribution sur
le même pied que S. A. S. E. i*a fait et en enverra copie à Sa dite
A. S. E. chaque fois que cela se fera, pour son information.
17. Il fera ses relations toutes les semaines une fois de l'état et du
progrès des bâtimens ; et lorsqu'on fera quelque ouvrage nouveau, il en
enverra le dessein auparavant à S. A. S. E. pour approbation.
19. Le S' Hauberat ne fera faire aucun ouvrage extraordinaire hors
de la Cour sans un ordre et permission expresse de S. A. S. E.
20. En général. S. A. S. E. s'attend aux soins et au zèle de son Com-
missaire des Bâtimens le S"" Hauberat qui ne se donnera aucun repos
pour que le temps précieux ne soit point perdu, en faisant avancer les
ouvrages de son Palais Électoral, autant que la saison et les fonds le
permettront, afin que S. A. S. E., à son retour que Dieu veuille donner
bientôt, puisse avoir le plaisir de jouir des ouvrages commandés.
(1) Petit pavillon entouré de vignes, sur le bord du Rhin, que l'Electeur avait
baptisé Vinea Domini.
DOCUMENTS IJI
Devis des ouvrages de menuiserie^ serrurerie^ peinture^
impression à l'huile et dorure, toille écrue et toille cirée
qu'il convient faire fournir pour le Corps de logis por-
tatif rfe S. A. S. E. de Cologne, suivant les plans, éleva-
lions et profils qui en seront fournis par le S^ Oppenord
et signés par S. A. S. E. (^).
Premièrement sera fait lebâti des quatre faces qui composent la cage
du logis ; les poteaux depuis le rez-de-chaussée jusqu'à l'égout du com-
ble seront d'une seule pièce et porteront trois pouces d'épaisseur ; le
remplage portera un pouce et demi d'épaisseur : le tout en bois de
sapin sans défectuosités, assemblé à tenons et mortaises, rainures et
languettes. Sera fait le socle ou retraite régnant au pourtour du logis
d'ais d'un pouce et demi d'épaisseur, assemblés à rainures et lan-
guettes, le tout bien collé et de bois de sapin.
... Sera fait tous les planchers, compartis régulièrement et assemblés
à rainures et languettes, le tout de bon bois de chêne de meilleures
qualités.
Sera fait le coffre d'autel, le marchepied, le gradin; la bordure du
tableau, le tout de bois de chêne, suivant les desseins qui en seront
fournis.
Sera fait le tableau d'autel par un de Mess'» les Peintres de l'Acadé-
mie, suivant le sujet qui en sera donné par S. A, S. E.
Sera fait la table du buffet dans la salle à manger avec un gradin et
une bordure de tableau au dessus : le tout de bois de chêne.
Sera fait le tableau du buffet dans la salle à manger, composé de
fleurs, fruits et animaux par M. Desportes, Peintre du Roy, le plus
excellent qui soit en ce genre en Europe.
Sera fait l'estrade du lit avec son balustre et ornemens de sculpture
convenables ; le tout de bois de chêne doré à huille.
Sera fait les châssis des combles de bois de sapin portant un pouce
et demi d'épaisseur.
Sera posé des gouttières aux endroits convenables, lesquelles seront
de bois de sapin.
Sera fait trois vases de bois de chêne dorés à huille pour mettre à la
cime des combles.
(1) Ce devis, dont nous reproduisons les articles les plus importants, est
conservé au Staats-Archiv de Diisseldorf. Renard, qui l'a publié in-ejctenso, le
date de 1722.
1^2 l'art français sur le RHIN
Sera fait et fourni toutes les ferrures convenables pour fermer et
entretenir avec toute la solidité requise tous les susdits ouvrages qui
auront besoin de quantité de crochets, arrêtés avec des vis, des clous
rivés, plus des équerres, des pistons, des douilles pour toutes les portes
et croisées, etc..
Sera imprimé ou peint à huille de blanc de céruse de Rouen tout
l'extérieur et l'intérieur du logis à l'exception des cloisons de refend; le
tout de deux couches.
Sera doré la balustrade et réchampi de blanc de céruse, comme aussi
les bordures des tableaux d'autel et du buffet, la cheminée de tôle et
les vases du comble.
Sera fourni toutes les toilles écrues et cirées des plus belles et des
mieux conditionnées pour les plafonds et pour la couverture des com-
bles.
Tous lesquels ouvrages stipulés au présent devis seront bien dûment
faits et parfaits selon Fart de chacun en particulier, sous la conduite
du S' Oppenord dans le temps et espace de six mois à compter du jour
de la date du présent devis, à peine de deux mille livres de déduction
sur le total du marché et de tous dépens, dommages et intérêts. L'en-
trepreneur fournira tous les bois de chêne, de sapin, toute la serrure-
rie, vitrerie, peinture à huille et dorure, les toilles écrues et cirées,
façons et peines d'ouvriers pour livrer iceux ouvrages dans leur
entière perfection au dire des gens experts à ce connaissants, moyen-
nant le prix et somme de seize mille huit cent livres pour tout générale-
ment quelconque.
Description du château de Poppelsdorf (i)
A environ un quart de lieue de Bonn est situé le beau château de
Poppelsdorf, bâti par Clément Auguste. Cet Électeur avait coutume d'y
passer presque toutes les nuits. Il avait eu le dessein de convertir en
un canal la belle terrasse qui borde les allées (de l'avenue tracée entre
Bonn et Poppelsdorf) afin de pouvoir s'y rendre plus commodément
dans les soirées d'été en traversant dans sa nacelle la foule de ses
sujets qui goûtaient de chaque côté les plaisirs de la promenade ; mais
la mort le surprit avant qu'il pût mettre ce projet à exécution.
(l) Voyage sur le Rhin depuis Mayenoe jusgu'd Dusseldorf {à^a,pTès Lano),
Mayence, 1803.
DOCUMENTS IjS
Ce joli château de plaisance est d'une construction tout à fait parti-
culière ; il est d'une forme quarrée, à deux étages seulement ; les an-
gles et les entrées ont chacune un pavillon. Dans l'intérieur est une
cour ronde environnée d'arcades sur lesquelles s'élève une légère
galerie.
Une chapelle en rotonde occupe une grande partie du château. On
voit au milieu quatre autels réunis ensemble qui, au premier aspect,
causent à l'œil une agréable surprise. Quatre prêtres peuvent y dire
la messe en même temps. Au dessus de ces quatre autels est une
représentation du Christ lorsqu'il apparut à S^'^-Magdelaine.
La salle de coquillages ou la grotte, qui était autrefois un objet d'ad-
miration, commence à dépérir; il s'en détache journellement des par-
ties que l'on ne remplace point. Cette grotte est Touvrage d'un Français
nommé La Porterie ; il y travailla sept ans ; l'art avec lequel il sut
entremêler les coquillages et par leur réunion former les tableaux les
dIus naturels et les plus variés donne une grande idée des talents de
et artiste.
Rœttiers. — Grand surtout d'argent pour l'Électeur de
Cologne Clément-Auguste 0-)
Le roi a vu ces jours-ci un ouvrage du sieur Rœttiers, orfèvre
fameux, que l'on dit digne de curiosité. C'est un grand surtout d'argent
pour l'Électeur de Cologne. L'Électeur a mandé à Rœttiers qu'il avait
pris un cerf sur la maison d'un paysan et il ne lui a pas marqué d'au-
tre détail ; il a dit qu'il désirait que cette chasse fût représentée dans
un surtout. Rœttiers a composé un dessin admirable. Le milieu du sur-
tout représente la chasse du cerf, autant dans le vrai qu'elle peut être
dans un ouvrage d'orfèvrerie ; les deux côtés représentent deux autres
chasses.
Le même ouvrier a fait, pour accompagner ce surtout, quatre flam-
beaux qui sont quatre chênes parfaitement exécutés. Il a dit au roi que
le surtout et les flambeaux étaient du prix de dix mille écus, seule-
ment pour la matière et le contrôle, et qu'il demandait deux mille
louis de façon.
(1) Mémoires du duc de Luynes. Juillet 1749, ix, p. 142.
1^4 l'art français sur le RHIN
Peyre. — Œuvres d'architecture. 1818.
Chapelle du château de l'Électeur de Cologne à Bonn
Le prince Maximilien, archiduc d'Autriche Électeur de Cologne, me
demanda en 1786 les projets d'une chapelle qu'il voulait faire construire
dans le château de sa résidence à Bonn. On exigeait dans le programme
qu'il y eût des tribunes au plain-pied des appartements du premier
étage; l'autel devait être à la hauteur de ces tribunes et les musiciens
placés de manière à n'être pas aperçus.
En entrant dans le vestibule un escalier de dix-huit marches menait
à la porte de la chapelle et l'on avait encore dix-huit marches à monter
dans la chapelle même pour arriver à la hauteur du sanctuaire.
La tribune de la musique est pratiquée au dessus de la voûte percée
d'une grande ouverture, d'où les sons arrivent et paraissent, pour ainsi
dire, descendre du ciel. Le plafond au dessus de cette ouverture offre
un concert d'anges : ce plafond peint bien éclairé et ces sons s'échap-
pant du sommet de la voûte eussent produit la double illusion de faire
croire que les anges étaient animés et que les sons mélodieux qui se
faisaient entendre étaient ceux de leurs voix et de leurs instruments.
ANNEXES
Bibliographie
Au lieu d'énumérer pêle-mêle ou dans l'ordre alphabétique les ouvrages et docu-
ments à consulter, nous croyons préférable pour l'orientation du lecteur de les
répartir en trois sections :
I. Sources, manuscrites et imprimées ;
IL Ouvrages généraux;
III. Ouvrages spéciaux.
I. — Sources
1. — SOURCES MANUSCRITES
A, En France :
Archives Nationales. — Série 0* (Papiers de la Maison du Roi) : notamment la cor
respondance des directeurs des Bâtiments du Roi.
Bibliothèque Nationale. — Cabinet des Estampes. — Séries topographiques de la
région rhénane et surtout Papiers de Cotte. Ces documents, d'une importance
capitale, sont encore inédits ; mais ils ont été soigneusement inventoriés par
Pierre Marcel : Inventaire des papiers manuscrits du Cabinet R. de Cotte.
Paris. Champion, 1906.
Bibliothèque de l'Institut. — Procès-verbaux de l'Académie Royale d'architecture.
M. Henry Lemonnier a entrepris la publication de ces registres : six volumes
ont déjà paru.
Archives départementales du Bas-Rhin, de la Ville et de l'Œuvre de Notre-Dam*
à Strasbourg.
Archives régionales du Service des monuments historiques à Strasbourg.
Archives du Haut Rhin.
B. En Allemagne :
Archives de DUsseldorf. — • Staatsarchiv. Amt Bonn.
176
ANNEXES
2. SOUnCES IMPRIMÉES.
Salomon de Caus. — Hortus Palatinus a Friderico Rege Boemise Electore Palatiuo
Heidelbergae exstructus. Salomone de Caus Architecto. 1620. Francofurti apud
Joh. Theod. de Bry.
François de Cuvilliés. — Œuvre, 1770.
J.-F. Blondel. — Cours d'architecture (continué par Patte), t. IV. Paris, 1773.
d'Ixnard. — Recueil d'architecture représentant en 34 planches palais, châteaux,
hôtels, maisons de plaisances (sic), maisons bourgeoises, églises paroissioles et
conventuelles, plusi<îurs jardins à l'anglaise et un nouvel ordre d'architecture,
exécutés tant en France qu'en Allemagne sur les dessins de M. d'Ixnard. architecte
de S. A. Royale Électorale de Trêves. Strasbourg, 1791.
L'exemplaire relié en maroquin rouge du Cabinet des Estampes de la Biblio-
thèque Nationale est celui qui fut offert par l'auteur au roi Louis XVI.
Kleiner. — Die Kurfurstliche Mayntzsche Favorite, 1726.
Lang. — Reise auf dem Rhein, 1789.
LiBKRT (abbé). — Voyage pittoresque sur le Rhin depuis Mayence jusqu'à
Dûsseldorf. Francfort, 1807.
Lerouge. — Jardins anglo-chinois à la mode.
Le second cahier est consacré aux jardins de Schwetzingen ; le septième à la
Favorite de Mayence.
Peyre. — Œuvres d'architecture. Paris, 1818.
Quatremère db Quincy. — Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Peyre,
architecte. Paris, 1823.
Përcier et Fontaine. — Résidences de souverains. Paris, 1833.
il. — Ouvrages généraux
1. — En langue française :
Victor Hdgo. — Le Rhin. Paris, 1842.
DussiEUX. — Les artistes français à l'étranger. Paris, 1856, 3* éd. 1876.
Reynaud. — Histoire générale de l'influence française en Allemagne. Paris, 1914.
Barrés. — Le génie du Rhin. Paris, 1920.
Schmidt. — Les sources de l'histoire des territoires rhénans de 1792 à 1814. Paris.
1921.
AuLNEAU. — Le Rhin et la France, Paris, 1922.
Fange (Jean de). — Les libertés rhénanes. Paris, 1922.
RovÊRE. — Les survivances françaises dans l'Allemagne napoléonienne depuis
, 1815.
2. — En LANGUE ALLEMANDE :
DoHME. — Barock und Rokokoarchitektur, 3 vol. Berlin, 1884-1891.
— Geschichte der deutschen Baukunst. Berlin, 1886.
GuRLiTT. — Geschichte des Barockstils und des Rokoko in Deutschland. Stuttgart,
1889.
ANNEXES 177
Clemen. — Die Kanstdenkmâler der Rheinprovinz.
Le tome V est consacré aux moauments de la ville et du cercle de Bonn ; le
tome VII à Cologne. Diisseldorf, 1899 et sq.
Dehio — Handbuch der deutschen Kunstdenkmâler, 5 vol. Berlin, 1905-1912.
Lambert et STAHL.— Architektur von 1730-1850. Berlin, 1903.- Deutsche Residen-
zen und Gàrten des XVIllten Jahrhunderts. 1909.
Popp, — Die Architektur der Barock-und Rokokozeit in Deutschland (album).
Stuttgart, 1912.
III. — Ouvrages spéciaux
1. Alsace :
Kraus. — Kunst und Altertum im Elsass-Lothringen. Strasbourg, 1884.
Haus ann. — Elsassische Kunstdenkmâler (album). Strasbourg, 1896-1899.
Hermann. — Notes historiques et archéologiques sur Strasbourg, publiées
par Rod. Reuss. Strasbourg, 1905.
PoLACZEK. — Denkmâier der Baukunst im Elsass. Strasbourg, 1906.
Hallays. — En flânant. A travers l'Alsace. Paris, 1910.
— L'art du xviiie siècle en Alsace. Le château des cardinaux de Rohan
à Strasbourg. L'Alsace française. 1921.
Reuss. — Histoire de Strasbourg. Paris, 1922.
2. Électorat palatix :
Mathy. — Studien zur Geschichteder bildenden Kiinstein Mannheim im XVIllten
Jahrhundert. Mannheim, 1894.
Beringer. — Peter von Verschaffelt. Strasbourg, 1902.
— Rurpfâlzische Kunst und Kultur im XVIllten Jahrhundert, Fribourg-
en-Brisgau, 1907.
SiLLiB. -- Schloss und Garten in Schwetzingen. Heidelberg, 1907.
P. du Colombier. — Une œuvre d'art française en Allemagne. Les jardins de
Schwetzingen. La Renaissance, 1922.
3. Électorat de Mayence :
Schneider. — Der Dom zu Mainz. Berlin, 1886.
ScHAAB. — Geschichte der Stadt Mainz.
Frankfurt a. m. und seine Bauten. Francfort, 1886.
LuTHMER. — Dekorationen aus dem Palais Thurn und Taxis zu Frankfurt a. M.,
1890.
DoRST. — Charles Mangin und seine Bauten in den Trierer und Mainzer Lan-
den. Mainzer Zeitschrift, 1917.
Réau. — Un grand architecte français en Rhénanie : Jean-Charles Mangin
(1721-1807). L'Architecture, 1922.
12
1^8 ANNEXES
4. Electorat db Trêves :
Becker. — Das Kônigliche Schloss zu Koblenz, 1886.
LoHMEYER. — Johannes Seiz. Heidelberg, 1914.
5. Electorat de Cologne :
Merlng. — Gescliichte dervier letzten Kurfûrstea von Kôln. Cologne, 1841.
— Clemens August, Herzog von Bayern, Kurfûrst und Erzbischof zu Kôln.
Cologne, 1851.
Ennkn. — Der spanische Erbfolgekrieg und Churfurst Joseph Clemens von Kôln.
lena, 1851.
— Fraukreich und dcr Niederrhein oder Geschichte von Stadt und Kur-
staat Kôln seit dem 30 jâhringen Krieg bis zur franzôsischen Okkupation. 2 vol
Cologne, 1855.
DoHME-RiJcKWARDT. — Das Kônigliche Schloss zu Briihl. Berlin, 1878.
Merlc— Kôlnischo Kunstler, 2« éd. DUsseldorf, 1895.
Renard. — Die Bauten der Kurfurslen Joseph Clemens und Clemens August von
Kôln (Extrait de Bonner Jahrbiicher). Bonn, 1896.
Hauptmann. — Der Bau des Bonner Ralhauses. Bonner Archiv. III.
— Das Innere des Bonner Schlosses zur Zeit Clemens Augusts. Bonn,
1901.
FoRTLAGE. — Anton de Peters. Ein Côlner Maler des XVIIIten Jahrhunderts.
Strasbourg, t910.
ANNEXES 179
Répertoire des artistes français ayant travaillé
dans ou pour les pays rhénans aux XVII" et XVIIP siècles
i. Architectes :
Antoine (Jacques-Denis), dessine pour le prince de Salm-Kirburg les plans du châ-
teau de Rirburg près Kreuznach.
Antoine (Jean), de Metz, construit pour l'électeur de Trêves le château de
Wittlich (1761-1763).
Benoit dk Portier, envoyé en 1713 à Bonn par R. de Cotte pour y surveiller l'exé-
cution de ses plans.
Beuque, architecte de Besançon, chargé en 1766 par le Chapitre de l'abbaye de
Murbach de construire la nouvelle église Notre-Dame de Guebwiller.
Blondel (Jacques-François), élabore en 1767 un plan d'ensemble pour l'embellisse-
ment de la ville de Strasbourg.
BoFFRAND (Germain), collabore avec l'architecte allemand Maximilian von Welsch
à la décoration du château de la Favorite, construit près de Mayence sur le
modèle de Marly.
Carbonnet, élève de R. de Cotte, qui le délègue auprès du cardinal de Rohan pour
les travaux de Saverne et de Strasbourg.
Gaus (Salomon de), dessine et publie en 1620 l'Hortus Palatinus du château de Hei-
delberg.
Chevalier (ou Le Chevalier), protégé de R. de Cotte, qui le recommande au cardi-
nal de Rohan ; travaille à Saverne ; fait à Strasbourg les plans de deux hôtels
particuliers pour le prince de Birkenfeld et le comte de Hanau.
Cotte (Robert de), premier architecte du roi ; dirige de Paris de nombreux et
importants travaux en Alsace et dans l'Allemagne rhénane. Le cardinal de
Rohan lui confie la décoration de son château de Saverne et la construction de
son' palais épiscopal de Strasbourg. L'électeur de Cologne Joseph-Clément lui
demande les plans de ses châteaux de Bonn, de Poppelsdorf et de Bruhl. C'est
encore à R. de Cotte que sont dûs les plans de l'hôtel des princes de Tour et
Taxis à Francfort (1727).
CuviLLiÉs, architecte de l'électeur Charles-Albert de Bavière, travaille également
pour son frère l'électeur de Cologne Clément-Auguste. Il décore les appartements
du château de Briihl et construit dans le parc le pavillon de chasse de Falkenlust.
Delamaire, architecte du cardinal de Rohan ; construit en Alsace le château de
Saverne.
Dupuis (Etienne), travaille d'abord à Stuttgart sous la direction de Ph. de la Guê-
pière, puis achève en qualité de premier architecte de l'électeur de Cologne
Clément-Auguste la construction du château de Brùhl.
Fosse (Jérémie de la), auteur de plans pour la reconstruction du château de Darm-
stadt.
Froimont (Jean-Clément), commence la construction du château électoral de
Mannheim.
Girarb, jardinier, élève de Lenôtre, trace le parc du château de Briihl.
l8o ANNEXES
GouRLADK, architecte du cardinal de Rohan, désigné en 1727 pour diriger la
construction du château épiscopal de Strasbourg sur les dessins de
R. de Cotte.
GuÊPiÈRE (Pierre-Louis-Philippe de la), élève de J.-F. Blondel, architecte du duc
Charles-Eugène de Wurtemberg, offrit ses services pour la réfection de la
cathédrale de Strasbourg après l'incendie de 1759.
IIauberat (Guillaume), élève de R. de Cotte, qui l'envoie à Bonn en 1716 pour
remplacer Benoit de Portier et diriger, d'après ses dessins, la construction des
châteaux de Bonn et de Poppelsdorf. On retrouve Hauberat à Francfort, où il
construit, toujours sur les plans de R. de Cotte, l'hôtel de Tour et Taxis et plus
tard à Mannheim, où il travaille au château électoral.
IxNARD (Michel d'), élève de J.-F. Blondel et de Servandoni, patronné par la famille
des Rohan ; reconstruit après un incendie l'abbaye bénédictine de Saint-Blaiso
dans la Foret-Noire ; fait adopter par l'archevôque-élocteur de Trêves un projet
grandiose de résidence à Coblence, qui dut être abandonné en 1779 pour des
raisons d'économie; se réfugie après sa disgrâce en Alsace, où il construit la
bibliothèque du collège Royal de Colmar.
Levkilly (Michel), émigré en 1721 à Bonn, où il construit la Porte Saint-Michel et
l'hôtel de ville ; dirige les travaux du château de Brùhl.
Mangin (Charles), construit le château de Mon aise, près Trêves (1779), et
l'hôtel de la Grande Prévôté à Mayence.
Makolles (chevalier de), élève de J.-F. Blondel et de Servandoni, travaille en
1764 aux embellissements de Mannheim et de Schwetzingen.
Marot (Daniel), dessine dans le goût du château de Vaux un projet du château de
Mannheim, construit plus tard par Froimont et Nicolas de Pigage.
Massol (Joseph), construit sur les plans de R. de Cotte le château épiscopal de
Strasbourg. C'est à lui qu'il faut faire honneur également de quelques-uns des
plus beaux hôtels construits pour les chanoines du Chapitre de la Cathédrale
entre le Broglie et la rue Brûlée. Le plan du château de Reichshoffen porte
sa signature.
Oppenord (Gilles-Marie), premier architecte du duc d'Orléans. L'électeur de Colo-
gne Joseph-Clément lui commanda plusieurs dessins pour la décoration des
appartements de son château de Bonn et l'exécution d'un corps de logis por-
tatif (1722).
Patte (Pierre), architecte du duc de Deux-Ponts ; agrandit le château ducal et
décore l'hôtel de Deux-Ponts à Paris.
Peyre (Antoine-François), dit Peyre le jeune, remplace Michel d'Ixnard dans la
faveur de l'électeur de Trêves Clément- Wenceslas qui lui confie la construction
de son palais de Coblence (1779-1786). Peyre dessina également les plans d'un
pavillon à Kàrlich, d'une chapelle pour le château de Bonn.
Pigage (Nicolas de), architecte de l'électeur Palatin Charles-Théodore, construit une
aile de la résidence de Mannheim et le petit château de Benrath, près Diissel-
dorf ; dessine et décore les jardins de Schwetzingen.
Saint-Far (Eustache de), auteur des plans du Nouveau Théâtre de Mayence et
du palais du Conseil souverain d'Alsace à Colmar.
Salins de Montfort, reconstruit le château de Saverne après l'incendie de 1779,
prend part au concours pour le palais électoral de Coblence. Plus tard,
vers 1800, il construit à Francfort la maison Passavant-GontarJ.
ANNEXES l8l
Verschaffelt (Pierre-Antoine), construit sous l'influence de Pigage l'Arsenal de
Mannheira (1777).
IL Sculpteurs :
Laporterie (Pierre), de Bordeaux; fixé à Bonn à partir de 1735 ; décore la grotte
de coquillages (Muschelsaal) du château de Poppelsdorf, la chapelle de Falken-
lust près Brlihl et la grotte de Neuwied.
Le Clkrc, décore de groupes de putli le pavillon de Falkenlust, construit par
Cuvilliès dans le parc du château de Brùhl.
Lecomte, expose au Salon de 1789 un projet de décoration pour la chaire de la
chapelle du château électoral de Coblence.
Le Lorrain (Robert), sculpteur du cardinal de Rohan, décore le château de
Saverne et le palais épiscopal de Strasbourg.
MoNNOT, expose au Salon de 1781 deux figures en marbre commandées parle prince
de Deux-Ponts.
Radoux, exécute de nombreux travaux de sculpture au château de Brûhl.
Rousseau, arrive à Bonn en 1717 pour collaborer aux bâtiments de l'électeur de
Cologne. Hauberat lui fait sculpter le fronton et les consoles de balcon de l'hô-
tel du comte de Saint-Maurice (hôtel Boeselager)
Verschaffelt (Pierre-Antoine), Flamand francisé, élève de Bouchardon, décore
l'église des Jésuites et le palais électoral de Mannheim, le parc de Schvetzingen,
le château de Benrath.
IIL Peintres :
AuDRAN (Claude) ; l'électeur de Cologne Joseph-Clément lui demande en 1717 des
dessins de grotesques, pour décorer ses appartements intimes du château de
Bonn dans le goût des appartements du dauphin à Meudon.
Bertin (Nicolas), élève de Bon BouUongne, travailla à plusieurs reprises
pour l'électeur de Mayence, qui, d'après d'Argenville, possédait ses meil-
leurs ouvrages.
Desportes (François), chargé de peindre en 1722 pour le corps de logis portatif de
l'électeur de Cologne un tableau de buffet. Plusieurs de ses tableaux de
chasse ornaient la galerie de l'électeur Clément-Auguste.
Goudreaux (Pierre), portraitiste français émigré en Allemagne ; peintre de l'électeur
Palatin Charles-Philippe, à Mannheim, où il mourut en 1731.
Lagrenée jeune, peint pour le château électoral de Coblence l'esquisse d'un
plafond représentant La Justice terrassant le vice.
Laroque, peintre au service de l'électeur de Cologne Joseph-Clément qui propose de
lui faire exécuter sur place au château de Bonn les dessins d'Audran.
RoussEAUx (François), peint au château de Brûhl des dessus de portes et des pla-
fonds dans le goût des fêtes galantes de Watteau. Son fils Jacques grave un de
ses tableaux représentant l'incendie de la Résidence de Bonn en 1777.
Tardieu (J.), s'intitule graveur de S. A. S. Électorale de Cologne.
Vernansal (Louis Guy de), envoie en 1716 à l'électeur de Cologne Joseph-Clément
l'esquisse d'un plafond peint destiné au château de Bonn.
Vernet (Joseph), reçoit plusieurs commandes du duc Frédéric de Deux-Ponts et de
l'électeur palatin pour sa galerie de Mannheim.
l82 ANNEXES
Vivien (Joseph), premier peintre de l'électeur de Cologne, qui le recommande à R. de
Cotte pour un appartement aux Gobelins (1719), autorisé à aller travailler à
Munster en 1721, meurt au château de Bonn en 1735.
IV Artistes décorateurs : ébénistes, orfèvres, médailleurs, tapissiers.
BouLLE, exécute pour l'électeur de Cologne Joseph-Clément deux commodes ornées
de bronzes dorés d'or moulu.
DuGOURc, aurait dessiné l'ameublement du duc de Deux-Ponts.
Duvarlet, tapissier français au service de l'électeur de Cologne Clément- Auguste.
DuviviER (Jean), exécuta à Paris une médaille de Joseph-Clément, archevêque-élec-
teur de Cologne qui était en même temps évêque de Liège, sa ville natale, et plus
tard une médaille de la Confrérie de Saint-Michel, fondée par l'électeur.
FouRiÉ (Jean), maître tapissier d'Aubusson, exécute en 1767 une suite de tapisse-
ries représentant l'histoire de Joseph pour le chœur de l'église Saint-Géréon
de Cologne.
Germain (Thomas), célèbre orfèvre, cisèle un calice en or pour l'électeur de Cologne
Joseph-Clément.
RoETTiERs, exécute en 1749 pour l'électeur de Cologne Clément- Auguste un surtout
en argent représentant une chasse au cerf.
Vassé (Antoine), exécute en 1721 pour l'électeur de Cologne Joseph -Clément des
bras de bronze doré destinés au palais de Bonn.
ANNEXES lS3
Répertoire des artistes rhénans formés en France
I. Architectes.
Gau (Franz-Christian), né à Cologne en 1790; se fixe à Paris et se fait naturaliser
Français, construit en style gothique l'église Sainte-Clotilde ; meurt à Paris en 1653.
HiTTORF (Jakob-Ignaz), né à Cologne en 1792; émigré en 1810 à Paris où il tra-
vaille sous la direction de Percier ; adopté par l'architecte Bélanger, qui lui trans-
met sa charge d'architecte royal des fêtes et cérémonies de la Cour ; chargé de
la décoration de la cathédrale Notre-Dame de Paris pour le baptême du duc de
Bordeaux, de la cathédrale de Reims pour le couronnement de Charles X ; outre
ces décorations éphémères, on lui doit l'arrangement actuel de la place de la
Concorde, la construction de la gare du Nord et l'église Saint- Vincent de Paul.
II meurt à Paris en 1867.
Neumann (Johann-Balthasar), fait un voyage d'études à Paris en 1723 ; soumet à
l'approbation de R. de Cotte et de Boffrand les plans de la résidence épiscopale
de Wurzbourg. On lui attribue sans preuves la conception du grand escalier
du château de Briihl.
Neumann (Franz-Ignaz- Michel), fils du précédent, profite de son voyage en France
en 1757 pour étudier la cathédrale de Rouen ; soumet à l'Académie royale d'ar-
chitecture de Paris ses plans pour la reconstruction de la tour de la cathédrale
de Mayence (1770).
RoTH (Johann-Heinrich), fait en 1751 un voyage d'études à Paris aux frais de l'é-
lecteur de Cologne Clément-Auguste, construit sur le type des Maisons de plai-
sance de J.-F. Bloniel le pavillon de chasse d'Herzogsfreude près de Bonn.
Welsch (Maximilian von), architecte favori de l'électeur de Mayence pour lequel il
construit dans le goût français, sur le modèle de Marly, le château de La Favo-
rite.
II. Sculpteurs :
J. J. Flattkrs, né à Crefeld, élève de Houdon.
III. Peintres :
Frey, peintre du duc de Deux-Ponts.
KoBEL, peintre de paysages de l'électeur Palatin.
Kymli, peintre de portraits, pensionnaire de l'électeur Palatin.
Meyer, peintre d'histoire du duc de Deux-Ponts.
Peters (Anton de), né en 1723 à Cologne; formé à Paris sous l'influence de Greuze.
PiETZ, protégé du duc de Deux-Ponts.
IV. DÉCORATEURS :
Roentgen (David), originaire de Neuwied sur le Rhin ; ébéniste de la reine Marie-
Antoinette.
l84 ANNEXES
Répertoire des principaux monuments de l'art français
du XVIIie siècle sur le Rhin
Benrath. château de l'électeur Palatin, près de Dusseldorf, construit par Nicolas
de Pigage, décoré de sculptures par Verschaffelt.
Bonn, palais électoral (actuellement université) construit sur les plans de R. de Cotte
par Benoît de Fortier, Hauberat et Leveilly.
— Château de Poppelsdorf construit sur les plans de R. de Cotte par Hauberat.
— Hôtel de ville construit par Leveilly (1737).
Bruhl, château des éle(j^urs de Cologne construit sur les plans de R. de Cotte par
Leveilly, Cuvilliés, Dupuis (17251770). Décoration du sculpteur Radoux, du
peintre Roussaux. Parc tracé par Girard.
— Pavillon de Falkenlust construit par GuvilUès. Sculptures de Le Clerc.
Coblence, palais électoral, commencé par Michel d'Ixnard (1778), remanié et bâti
par Peyre le jeune (1779-1786).
Deux-Ponts, château ducal, agrandi par Pierre Patte.
Francfort, hôtel du prince de Tour et Taxis, construit par Hauberat sur les plans
de R. de Cotte.
Guebwiller, église Notre-Dame, élevée sur les plans de Beuque de Besançon.
Mannheim, palais électoral, construit par FroimontetN. de Pigage.
— Arsenal, construit par Verschaffelt.
— Palais Bretzenheim, décoré de sculptures par Verschaffelt
Mayence, château et jardins de la Favorite : œuvre de Boffrand et de Maximilian
von Welsch.
— Tour de la cathédrale reconstruite par Neumann le jeune après consul-
tation de l'Académie d'Architecture de Paris.
— Prévôté (Probstei) par Mangin.
Savbrne, château construit par Delamaire, agrandi et transformé par Carbonnet et
Le Chevalier sur les plans de R. de Cotte, reconstruit par Salins de Montfort
après Tinceidie de 1779.
Schwetzingen, parc tracé et pavillons construits par N. de Pigage. Sculptures de
Verschaffelt.
Strasbourg, palais épiscopal (château Rohan), construit par Massol sur les plans de
R. de Cotte. Sculptures de R. Le Lorrain.
— Hôtels du doyen et des chanoines du chapitre.
— Projet d'embeUissement de J. F. Blondel.
Trêves, château de Mon aise, construit par Mangin (1779).
WiTTLicH, château de l'élecleur de Trêves construit par Jean Antoine (1761).
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS D ARTISTES
Anguier
Antoine (Jacques-Denis)
Antoine (Jean)
AuDRAN (Claude)
Benoit de Fortier 49, 53
Beuque
Blondel (Jacques-François) 16, 81, 96
BoFFRAND (Germain) 29
BOULLE 169
Garbonnet U, 65, 66
Gaus (Salomon de) 21
Chevalier (Le) 11, 13, 15, 16, 66, 71
Clerc (Le) 5T
CONTOEN 35
Cotte (Robert de) 10, 13, 15. 16, 30, 48,
51. 52, 53, 65, 67, 68, 69, 70, 71,
87, 89, 123
COYPEL 67
CoYZEVOX - 75
cuvilliès • 57
David 43
Delamaire 12
Desportes i'François) 54, 59
DuGOURC 26
Duvarlet 58
DuviviER 54
Flatters 59
Fosse (Ch. de la) 67
Fourié 59
Froimont 23
Gabriel (Ange- Jacques) 18
Gau 59
Germain (Thomas) 54
Goudreaux 25
Gourlade 13, 65
GuÊpiÈRE (Philippe de la) 16, 80
Hauberat (Guillaume) 23, 31, 49, 53, 148,
149, 153, 160, 170
HÉRÉ 18
Hin 84
HiTTORF 59
Ixnard (d') 18, 41, 96, 99, 103, 118
Kléber 19
Lagrenée jeune 43, 122
Laporterie 53, 58
75
Laroque
26
Lecomtk
40
Lerouqe
52, 54, 158
Leveilly (Michel)
137, 139,
Lorrain (Robert
141, 143
Mangin (Charles)
18
Mares (Pierre des
54, 158
43
30
54, 58
11, 14, 74, 75
34, 36, 43, 44, 94
4
Marolles (Chevalier de)
Mariony (Marquis de)
Marot (Daniel)
Massol (Joseph)
Mechel (Christian)
ménageot
Meyer
MONNOT
Neumann (Balthazar)
Neumann le jeune
Nicéville (Chevalier de)
Nicolas de Verdun
Oppenord
Patte (Pierre)
Perdigué
Peters (Antoine de)
83
90, 96
23
13, 15, 18, 73
24
43
84
26, 85
55
32
35
4
53, 150. 171
15, 26
72
59
Peyre le jeune (Antoine- François) 42, 44
59, 101, 102, 105, 107, 110, 112,
113, 117, 121
Pietz 85
PiGAGE (Nicolas de) 23, 24, 83
Rœntgen (David) 45
Rœttiers 58, 172
RoTH 58
Rousseau 26, 54, 151, 153
Saint- Far (Eustache de) 37
Salins de Montfort 12, 41
Schlaun 55, 58
Seiz (Johannes) 40, 45
Vassé (Antoine) 168
Vernansal (Guy de) 50, 146, 147
Vernet (Joseph) 25
Verschaffelt 25
Vincent 43
Vivien (Joseph) ^ 54, 57, 142, 163, 164
Welsch (Maxirailien von) 29
Werner (Samuel) 16, 32
ZicK (Januarius) 95, 116
11^11^%^ ^^K.%^ I ■ VL>I
N Riau, Louis
684.6 L'art français siir le Rhin au
BA XVIIie siècle
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